Un jour viendra couleur d'orange par Sorcius, le 20 décembre 2020

Grégoire Delacourt possède un humour délicieux, un recul vis-à-vis de la noirceur du monde et un espoir sans faille. En cette période de fêtes, qui est en général joyeuse, les choses ne sont pas aussi brillantes que d'habitude. Alors, quoi de mieux qu'un livre lumineux, rempli d'espérance et de valeurs? Un livre d'un rare humanisme. Le dernier roman de Grégoire Delacourt est le cadeau de Noël idéal pour tout le monde: homme, femme, jeune ou moins jeune… pour ne pas oublier que demain est un autre jour et que bientôt "viendra un jour couleur d'orange"…

Parlons d'abord des titres. Celui du livre et ceux des chapitres. Pourquoi les couleurs en général, pourquoi l'orange en particulier?

Les couleurs viennent d’une particularité des enfants Asperger. Ils ont l’habitude de ranger le monde selon un classement qui leur est propre. Ca peut être des sons, des formes, des odeurs, des couleurs. Quand j’ai appris que certains enfants rangeaient par couleur, ça m’a tout de suite donné envie de classer les chapitres par couleur, un peu comme si je classais les choses selon le personnage de Geoffroy. Ensuite le titre est né après le livre. Une fois le livre terminé, je réfléchissais à un titre et j’écoutais à ce moment-là Jean Ferrat. Comme j’ai écrit ce livre loin de la France (Grégoire Delacourt vit à NY depuis un an environ), j’avais l’impression d’avoir écrit, d’une certaine manière, un livre sur la France. Comment l’exil encourage à regarder ce qu’on a quitté d’une manière un peu plus bienveillante ou pleine d’espérance. Et donc, j’écoutais la chanson "Ma France" de Ferrat et de là, j’ai réécouté "Ferrat chante Aragon" et en écoutant la chanson "Un jour un jour", d’après le poème d’Aragon, quand j’ai entendu le refrain, je me suis dis "mais c’est ça !". Un jour viendra, couleur d’orange… C’est ça que je veux dire, c’est ça qui encapsule le propos du livre, à savoir une violence, une colère, une noirceur, mais néanmoins l’espérance d’un poète sur des jours meilleurs, sur ces fameux jours orange. L’orange n’est pas une couleur qu’on cite en premier. Il y a d’ailleurs assez peu de couleurs dans l’imaginaire des gens. Il suffit de regarder les voitures ! L’orange est rare et c’est une couleur éphémère qu’on ne voit dans la nature qu’au coucher et au lever du soleil. C'est une couleur de passage, de transition, elle a une éphémérité qui est belle.

Justement, parlons un peu de Geoffroy qui est finalement le héros de votre roman. Sa différence le tient éloigné, quelque part, de cette réalité qui est très violente. Il a ses propres codes, ses propres souffrances, mais sa différence le tient à distance des soucis quotidiens. Pouvez-vous nous parler un peu de ça ? Vous retrouvez-vous quelque part dans Geoffroy?

D’abord, je voulais écrire sur l’adolescence et la différence à ce moment-là de la vie. Ce qui correspond un peu, sans doute, à ce que moi, j’ai ressenti à cette époque de ma vie. Je me sentais différent, à l’écart, en marge des choses. Quand on est dans l’enfance, on est dans une bulle. Même à la fin de l’enfance, dans l'adolescence, on est encore dans le rêve, dans la poésie, on est encore dans quelque chose qui ne connaît pas la fureur du monde. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas des enfances fracassées etc., mais de façon générale, on a encore une sorte de protection liée au statut de l’enfant, de l’adolescent. Renforcé par l’idée de sa singularité due au syndrome d’Asperger, Geoffroy a une vision très différente du monde. Et ce qui était intéressant pour moi en l’occurrence, c’est que sa vision du monde est très cartésienne, très mathématique, froide, analytique. Elle ne laisse pas de place à l’émotion. Et j’y retrouve là des similitudes avec la manière dont les adultes voient le monde. Presqu’avec une sorte d’arrière-pensée, de calcul. Or, à cette période de la vie, ce qui emporte tout, c’est la poésie, la capacité de s’émerveiller. La capacité de penser qu’en tendant la main, on peut attraper la lune. Quand on est adulte, on n’y croit plus. Et donc j’aimais bien que cet enfant, de par son syndrome d’Asperger, avait déjà d’une façon d’être adulte, froide, distancé de tout, et que la petite Djamila va fendre tout ça et remettre de la poésie dans son monde et lui redonner sa capacité d’émerveillement. Et je voulais dire aussi, de cette manière, aux adultes, de ne pas perdre de vue qui nous avons été.

Il ne faut pas perdre notre enfance, notre capacité d’émerveillement.

C’est parce qu’on la perd qu’on devient des sauvages… Et dans le désastre qu'est un peu le monde aujourd’hui, je trouvais intéressant le parcours de ces deux enfants. Comment ce couple pur va traverser les flammes et aller vers quelque chose de plus apaisé, de réinventé. Parce que je pense qu’il est urgent de réinventer le monde dans lequel on vit.

Justement, votre livre parle de colère, d'injustice, de revendications. Les Français veulent "Juste une vie juste". Cela paraît une demande on ne peut plus raisonnable, finalement, une sorte de minimum vital. Et pourtant… on en est loin et on dirait qu’on s'en éloigne de plus en plus. Tout paraît d'abord sombre, sans issue. Et cependant, votre livre est porteur d'une espérance lumineuse. Comment gardez-vous cet optimisme?

Oui, je le garde. Plus que jamais. S’il n’y a pas cette fenêtre d’espérance, cette lueur quelque part, on se jette par la fenêtre. Franchement, ça ne vaudrait pas le coup car il y a trop de souffrance, de chagrin entre les gens. Trop de choses abîmées, cassées pour plein de raisons : politiques, historiques, raciales, de jalousie, d’origine, de religion; or la vie, elle est beaucoup plus simple que cela. La vie, c’est un petit espace entre deux grands vides qui sont l’avant et l’après. On a très peu de temps. Pourquoi, alors qu’en Occident on est censés être brillants, riches, créatifs, on en est à continuer à se mettre sur la gueule alors qu’on a si peu de temps à vivre? Ce qu’on rate, c’est l’autre. On n’a que soi, on rate le potentiel incroyable de l’amour, de l’amitié. Je pense sincèrement qu’on passe à côté. On est rentré dans un monde où quand on est lassé, on passe à quelqu’un d’autre, on va sur Internet et on trouve une autre personne et puis on recommence. On n’est plus dans le temps de l’attente, de la patience, du chemin qui mène à l’autre. Et ce qui était beau au début, dans le mouvement des gilets jaunes en France, c’est que c’était un mouvement individuel où une personne rencontrait une autre personne pour parler de son chagrin parce que personne d’autre ne l’écoutait. Et seuls ceux qui connaissaient cette même violence, cette même injustice, ce même rejet, se retrouvaient pour parler de ça. Et après, ils se sont dit "mais on a tous des revendications différentes. On a tous des rêves qu’on voudrait retrouver et ce qui nous unit, c’est juste cette envie de retrouver l’équilibre, de la considération, du respect. De retrouver l’importance de l’autre". Et puis évidemment, on a balancé les chiens là-dessus et puis voilà !

L'action de votre roman se déroule au début du mouvement des gilets jaunes. C’est pour parler de ces gens qui avaient des revendications uniques et qui en parlaient que vous avez commencé à en parler ?

J’ai écrit sur les gilets jaune à cause du gamin et de ses couleurs. Et j’ai même envie de dire que, lorsqu’on écrit à propos d’enfants, puisque le point de départ, c’était Djamila et Geoffroy, on leur fabrique une famille, romanesquement parlant. Quand on écrit sur des adultes, on s’en fout un peu. On évoque leurs enfants, leurs parents parfois, mais ils ne servent à rien dans les livres, sauf s’il y a un drame. Et là, il fallait créer des parents. Donc j’ai presqu’envie de dire que du fils est né le père.

Alors ça, c’est très intéressant…

En pensant à Geoffroy, je me suis dit "c’est qui son père, c’est qui sa mère ?" J’ai créé, en remontant du fils, un père entre deux orages, qui est dans une colère noire. Il va profiter du mouvement des gilets jaunes pour aller crier. Il n’est pas à l’origine du mouvement. Il s’en fout, lui, de sa dimension politique. Il profite d’un mouvement de meute. Il y a un phénomène de foule qui fait qu’on peut parler. Donc il va en profiter, et ça m’amusait que ce soit justement les gilets "jaunes", parce que ça rentrait dans la logique de couleurs. Et du coup, ça m’a fait réfléchir, penser; j’ai rencontré des gens et j’ai commencé à écrire là-dessus. A contrario, sa maman était bleue. Elle était à l’hôpital, elle était la mère, elle était l’eau, une sorte d’espérance entre la naissance et la mort, une passeuse, un pont entre deux rives. Et ce gamin, il est aussi entre deux pôles : son père qui est dans une grand colère, qui fait écho à une colère sociale, et une maman qui fait preuve d’un amour immense, qui fait presqu’écho à un amour divin, où on aime des gens dont on n’attend rien en retour. C’est ce qui nous manque. Aujourd’hui, même l’amour est devenu intéressé. Sartre disait qu’aimer c’est avant tout vouloir être aimé. Et elle, s’est une femme qui aime sans rien attendre en retour. Et ça, on n’en est plus capable. Et fondamentalement, c’est ça l’amour. C’est aimer l’autre parce qu’il est l’autre.

Ce roman est important pour nous faire comprendre le mouvement des gilets jaunes. De loin, ça paraissait un peu abstrait. Là, vous donnez un visage humain à ces personnes, et ça, c’est intéressant. On voit le mouvement d’une autre manière que celle véhiculée par les différents media.

C’est ce que tout le monde m’a dit, tant ceux qui ne connaissaient pas le mouvement, tant ceux qui en étaient effrayés, que les gilets jaunes eux-mêmes qui ont dit qu’enfin on avait parlé d’eux. Je n’ai pas de dimension journalistique ou sociologique, c’est uniquement une dimension romanesque, humaine. J’ai voulu retourner à l’essence même des gens, des humains qui ont fait ça, qui partaient en couple le samedi pour aller manifester. Manifester comme on manifeste un sentiment, pour marquer le coup. Ils ne cassaient pas ; ce n’est que quand ils sont venus à Paris qu’il y a eu des connards, comme les Black Blocs… Au départ, c’est quelque chose presque de bienveillant, des gens qui essayent de discuter gentiment ensemble. Qu’est-ce qu’on peut faire ensemble parce qu’on en a marre d’être toujours les dindons de la farce, les éternels oubliés dès qu’on sort des grandes villes, de Paris notamment? On voit à Paris l’ultra concentration des pouvoirs, c’est quelque chose de terrible. Au départ il y avait un truc très humain, très français, qui fait partie de ces grands mouvements français depuis la Révolution, qui ont changé le monde. Parce que la révolution française a quand même changé le monde. Ca a réécrit beaucoup de choses dans le monde entier ; que ce soit cette révolution, la déclaration des droits de l’homme, etc. Au départ, ça a toujours été des hommes qui se lèvent et se mettent en marche. Evidemment, ça fait peur à ceux qui sont installés, alors on met les gendarmes en face… Mais dès qu’on met une violence et une menace en face d’une revendication, ça crée de la violence. C’est fait pour, pour décrébiliser les mouvements. Mais il y a un mouvement de fond qui est parti avec ces gilets jaunes, qui vient de très loin et qui ira très loin. Qui prendra d’autres formes; ça ne sera probablement plus les gilets jaunes mais il y a quelque chose qui est en marche et qui va faire que ça doit changer. Et ça changera. Ca prendra peut-être du temps, 1 an, 10 ans, 20 ans, mais ça changera.

En attendant, le Covid est passé par là… Votre livre devait sortir au printemps. Il sort à l'automne. L'actualité a changé depuis. Après les gilets jaunes est arrivé le Covid et les inégalités sociales sont apparues plus criantes encore. Etes-vous encore aussi optimiste?

Oui, je le suis… Il y a le Covid mais aussi l’islamisme… Il y a des choses là aussi terribles et qui nous forcent à nous interroger sur ce qu’on veut, ce qu’on veut pour notre société, comme monde, dans le peu de temps qu’on est sur terre. Je crois qu’il y a quelque chose qui doit changer de toute façon.

Avec cette situation inédite, on se recentre sur les choses essentielles, la famille… ça fait réfléchir les gens.

La deuxième vague est pire que la première. Dans la première vague, il y avait quelque chose d’un peu exotique : tiens, on est confiné, qu’est-ce qui se passe ? Oh, notre vie change. Et puis on a dit c’est de la rigolade. Ensuite, les politiques ont eu peur ; il faut relancer l’économie : vite, il faut retourner au travail. On a bien rigolé et du jour au lendemain, c’était fini. Et puis là, ça reprend de manière beaucoup plus sournoise parce qu’il n’y a plus l’accord des gens pour faire un effort, parce qu’on n’a rien compris et que les politiciens, au lieu de dire qu’ils ne savaient pas et qu’on allait essayer de trouver des solutions ensemble, n’ont pas arrêté d’assener des contre-vérités ou de démontrer une méconnaissance des choses et ça énerve les gens. Regardez la population des gamins aujourd’hui. Les jeunes qui devaient commencer leur vie, chercher leur premier travail, sont pétrifiés, paralysés, ils ne peuvent rien faire. Ils ne savent pas à quoi demain va ressembler, ils ne savent plus rien. C’est terrible, car on est en train de fabriquer une génération de gamins perdus qui vont être très très en colère. La jolie chose – et ça rejoint ce que je vous disais par rapport à l’autre – c’est la prise de conscience que la chose dont on est absolument privé à cause de ce virus, c’est justement l’autre. On est privé de l’autre, on ne peut plus le toucher, l’embrasser, le prendre dans ses bras, le cajoler le sentir… Moi, c’est la chose qui me manque le plus. Etre confiné, je m’en fous, ne pas aller dîner le soir, je m’en fous, mais c’est de ne plus être avec l’autre, de ne plus avoir la chair de l’autre. Et là, on se rend compte à quel point ce qui nous lie à l’autre est important. C’est la seule chose qui est abîmée depuis des années et le Covid rappelle que la personne la plus importante dans nos vies, c’est l’autre.

Vous vivez à New York aujourd'hui. Cela change-t-il la manière dont vous appréhendez les événements, la vie qui se déroulent en France?

Un peu, ça commence. C’est nouveau pour moi, ça ne fait qu’un an que j’ai quitté la France pour vivre à New York. J’ai écrit ce livre là-bas. Oui, ça fait regarder les choses avec à la fois plus de bienveillance, de chagrin, de recul et en même temps, c’est petit, si petit. C’est un pays si petit. Paris, c’est comme une sous-préfecture, il y a quelque chose de petit ; il n’y a pas d’air à Paris. Alors qu’on s’attend à un souffle, il n’y en a pas. J’ai vécu 5 ans à Bruxelles et pour moi, cette ville est presque plus vive que Paris, plus européenne, plus cosmopolite, plus créative. Pour l’instant, vivre à NY avec les Présidentielles qui sont purement HALLUCINANTES, dans un pays et une ville, NY, qui ont été l’épicentre du COVID au printemps où il y a eu des milliers et des milliers de personnes qui ne savaient plus quoi faire. Des malades ont été refusés dans les hôpitaux parce qu’ils n’avaient pas d’assurance. Et c’est un pays qui doit se réinventer aussi. C’est fascinant de voir ça des deux côtés…

La manière dont les gens vivent la situation aujourd’hui est-elle fort différente entre NY et Paris par exemple ?

Oui, radicalement différente, parce qu’en France, on paye les gens tous les jours. On paye, on paye. C’est le côté français, très très social. Tout le monde est payé : on bosse, on ne bosse pas, on a quasi le même salaire. Là-bas, au bout de 3-4 jours, vous n’avez plus de travail, vous n’avez plus d’argent. Parce que le système est comme ça. Il y a une grande misère qui démarre, une violence qui revient. Ceci dit, c’est dans des proportions modestes. Je pense qu’il y a autant de violence ici. Il n’y a qu’à voir la France ; il n’y a pas un jour où on ne tue pas des flics, où on ne viole pas des gamines, où on ne décapite pas des gens… C’est pareil, sauf qu’aux USA c’est impressionnant parce qu’il y a des armes. Il y a 380 millions d’armes pour 320 millions d’habitants ! Donc c’est vrai que, quand on s’énerve, on tire un coup de feu. Ici, on écrase les policiers avec une voiture… c’est pareil… Là-bas, économiquement, c’est dur parce que les gens n’ont pas toutes ces protections sociales. Donc l’inquiétude n’est pas au même endroit. Elle est beaucoup plus essentielle : de quoi je vais vivre, comment je mange, comment je fais pour payer mon loyer ? Ici, les gens sont payés, c’est couvert. Il n’y avait pas d’argent pour les gilets jaunes. Le gouvernement a dit "y a pas un balle, y a pas un balle" et du jour au lendemain, il y a 460 milliards. Donc, il y a un truc qui ne va pas.

Chacun de vos livres est fort différent du précédent. Les idées viennent-elles à vous? A quel moment choisissez-vous votre sujet?

Il y a une idée, une colère, un contexte, une dimension sociale, il y a une énigme d’une certaine manière que j’essaye de résoudre. Pourquoi ne s’occupe-t-on pas des enfants abusés ? Pourquoi dans le monde dans lequel on vit, censé être moderne, après que les femmes se soient battues pendant des décennies pour leurs droits, leur liberté, quand une femme quitte son mari, ses enfants continuent de penser que c’est une femme horrible ; là j’ai écrit "Danser au bord de l’abîme". Chaque fois, ça correspond à des sujets qui me touchent en tant qu’individu et j’essaye, en écrivant, de faire que l’écriture ouvre des petites portes, fasse regarder les choses d’un autre point de vue, et puis aussi parce que je n’ai absolument pas envie de rester dans le même livre à chaque fois. J’ai toujours envie d’écrire un premier roman et chacun de mes livres, c’est comme un premier roman. Je remets tout sur la table et je réinvente l’écriture, le sujet, la manière de tisser mes histoires, parce que c’est ça qui rend joyeuse l’écriture elle-même. Sinon, c’est un boulot. Et pour moi, ce ne sera jamais un boulot d’écrire.

D’accord mais ici, ce n’est pas un livre qui est très très long et pourtant vous arrivez à y mettre tellement de choses, tellement de thèmes, que ce soient les problèmes sociaux, la précarité, les problèmes des Français, le racisme aussi, le poids de l’identité, de l’hérédité, la fin de vie, les soins palliatifs, la nature aussi… Il y tellement de choses, c’est très abouti par rapport à vos autres livres, c’est un tour de force de mettre autant de thèmes dans un seul roman. Est-ce que vous sentez une évolution dans votre manière d’écrire, dans votre écriture ?

Non, non. Tout le monde me dit que je m’améliore de livre en livre. Donc, il doit se passer quelque chose. Est-ce que j’en ai conscience ? Non. Je crois que j’évolue moi en tant qu’être humain. Ca fait 10 ans que j’écris, et c’est vrai que de livre en livre, j’ose plus de choses, j’ose m’affronter à des montagnes plus hautes, à des voies plus verglacées. Je peux à la fois parler d’amour, d’autisme, de gilets jaunes, parce que la vie est comme ça. Donc j’ose. Peut-être parce que j’ai un petit peu moins peur d’écrire. Je suis moins impressionné par la difficulté de l’écriture. Je relève des défis à chaque fois. Celui-ci est particulier car il correspond aussi à un changement d’éditeur, un changement de vie, de pays. Et je pense que ça m’a libéré d’un tas de choses.

Justement, en parlant d’éditeur, est-ce que c’est arrivé petit à petit ou Grasset a-t-il toujours été une envie particulière, un rêve, une ambition?

Grasset a toujours été une maison d’édition – même avant que j’écrive – qui avait dans mon cœur, une lueur extraordinaire, jaune d’ailleurs… (rire) et pas orange. Et que j’aimait beaucoup parce qu'un des livres de chevet de ma mère était chez Grasset. J’ai toujours vu cette couverture à la maison et c’est vraiment une maison qui me fascinait parce que je me disais "c’est la maison d’édition qui fait des livres qui font pleurer ma mère". Après, je n’y ai plus repensé et ensuite, j’y suis allé à la faveur d’un changement d’éditeur chez Lattès. Mon éditrice est partie et j’ai eu la possibilité de moi aussi regarder ce qui se passait ailleurs; j’avais envie de rencontrer une éditrice de chez Grasset. On s’est rencontré et il y a eu une sorte de coup de foudre écrivain/éditrice, et ça s’est fait très très simplement; et du coup il y a eu une régénération de tout. Je pense qu’elle m’a poussé davantage, j’ai eu envie de me jeter de plus haut avec elle pour ce livre et je pense que tout ça a fait ce livre qui est plus ambitieux, sûrement plus abouti, plus risqué aussi.

Il paraît que vous êtes fan de séries. Quelle série regardez-vous en ce moment?

Animal Kingdom ; c’est incroyablement bien !

Aimeriez-vous un jour écrire un "livre à série"? Un livre qui pourrait être adapté en série?

Sans doute, oui. Oui, et même écrire directement une série.

Carrément écrire le scénario d’une série ?

Pourquoi pas ? C’est un truc qui me titille pas mal. Là, en ce moment. Je dois d’abord comprendre comment ça se fabrique parce que c’est très très codé. C’est l’antithèse d’un livre. Il faut déjà tout avoir avant d’écrire. Curieusement, un livre, vous l’écrivez dans votre tête puis il est écrit. Vous le mettez au propre. Pour une série, il faut pratiquement l’écrire avant de l’écrire. C’est-à-dire que vous devrez faire la "bible", déterminer les personnages. Il faut faire le contraire de mon travail. Moi je vis avec mes personnages, je les pousse à bout. Par exemple, dans mon livre, je fais tomber Pierre, je le fais se relever. Dans une série, il faut savoir à l’avance qui va tomber, comment il va tomber, comment il va se relever. Parce qu’il faut délivrer le propos à l'avance, pour que les gens disent "oui, ça vaut le coup de mettre de l’argent dedans". Ca, je ne sais pas le faire, donc je suis en train de regarder, d’apprendre; et quand j’aurai compris, que ça ne m’effrayera plus, je pense que je me sentirai capable d’écrire directement un scénario.

On attend avec impatience…

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