Voilà une belle histoire qui relève presque plus du conte que de l’aventure réaliste, même si l’auteur convoque toute l’imagerie traditionnelle du western : les indiens (les gentils Potawatomis), les esclaves en fuite, les petites villes de l’Amérique profonde et la vie difficile des pionniers. Tout est loin d’être enjolivé, loin de là (voir par exemple le dur récit de Lizzie sur la fin tragique de sa famille) mais moult épisodes relèvent clairement du merveilleux. Les fameuses dindes, surprenantes, attachantes, (presque) imperturbables en dépit des difficultés rencontrées forment un cheptel inattendu que leurs gardiens et sont beaucoup évidemment dans l'originalité de cette "Grande Traversée !".

Si l’on met donc de côté les péripéties qui peuvent relever du conte comme je le disais, je mettrais un seul petit bémol à la cohérence de ce récit : ce qui émane de Simon à travers ses performances scolaires et son propre jugement (il a redoublé un nombre incalculable de fois à l’école, sait à peine compter, écrit peu et mal) donne l'impression parfois qu'il est presque un peu "simplet". C'est pourtant totalement contredit par la qualité de sa narration (c’est lui qui raconte l’histoire), son sens de l’organisation et sa grande sensibilité.

Kathleen Karr a voulu mettre ici à l’honneur l’amitié, la bienveillance, la solidarité, et cela fait chaud au cœur. Le sens de la famille aussi, enfin un certain sens de la famille, celui des amis rencontrés sur le chemin plutôt que la famille biologique. En effet, le père du héros, personnage mesquin et mauvais, qui a abandonné son fils quant il était petit, ne parviendra pas à changer son comportement. Il sera même un des principaux obstacles récurrents à l’aventure de « la Communauté de la Dinde ». Je dois dire que cela m’a rendu triste, en dépit du côté bras cassé et pathétique de ce personnage de père, et m’a mis presque mal à l’aise. Mais cela prouve que l’autrice est vraiment ici sur la frontière entre une certaine vraisemblance, sans concession parfois, et un récit extraordinaire, ne serait-ce que par l’idée même de voyager avec mille dindes pendant des centaines de kilomètres ! Pour moi La longue marche des Dindes a toutes les qualités pour devenir peut-être un classique de la littérature jeunesse !