L'amour nous fait devenir ce que nous aimons de Johannes Eckhart

L'amour nous fait devenir ce que nous aimons de Johannes Eckhart

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Spiritualités

Critiqué par Fee carabine, le 4 février 2005 (Inscrite le 5 juin 2004, 50 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (13 105ème position).
Visites : 4 815  (depuis Novembre 2007)

"Le plus court chemin vers Dieu passe par la porte de l'amour ; Le chemin de la science t'y mène très lentement."

Depuis quelques semaines, il est beaucoup question de Maître Eckhart dans les pages de Critiques Libres. Libris Québécis a critiqué récemment le roman de Jean Bédard "Maître Eckhart 1260-1328" qui raconte la vie de ce prêtre domicain, un des principaux représentants de la "mystique rhénane" (voir: http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/6758 ), et ses sermons ont été cités à plusieurs reprises dans des forums. Tout cela a pu éveiller votre curiosité et vous donner l'envie de découvrir la pensée de ce théologien pour qui "On ne doit pas considérer ni envisager Dieu comme étant à l'extérieur de nous-mêmes, mais comme ce qui nous est propre, comme ce qui nous est le plus intime", une curiosité peut-être mêlée d'appréhension, avec la peur de manquer des connaissances théologiques nécessaires pour aborder son oeuvre. Alors ce petit volume des éditions Mille et une nuits est fait pour vous.

"L'amour nous fait devenir ce que nous aimons" rassemble quatre sermons de Maître Eckhart, à savoir (les titres sont de l'éditeur):

- "L'amour nous fait devenir ce que nous aimons" (sermon 5a, le titre est emprunté à Saint-Augustin) traite de l'amour de Dieu et des voies qui mènent à Lui: "Vous ne devez vous en remettre à aucune voie particulière pour trouver Dieu : Il n'est pas plus dans l'une que dans l'autre. Ceux qui en privilégient une Lui font tort. Ils ont la voie, ils n'ont pas Dieu. Tenez-vous en à ceci: n'ayez en vue que Dieu, ne cherchez que Lui. Réjouissez-vous des voies qui se présentent, quelles qu'elles soient. Vous ne devez avoir en vue que Dieu et rien d'autre. Que cela vous soit agréable ou non, là est le bien ; sachez que toute autre voie est erronée. C'est jouer à cache-cache avec Dieu que de chercher tant de voies vers Lui. Que ce soient les larmes, les soupirs ou le reste: rien de tout cela n'est Dieu. Qu'une voie se présente, empruntez-la et réjouissez-vous; qu'elle ne se présente pas, réjouissez-vous encore et prenez ce que Dieu vous envoie pour l'heure..." (p. 15)

- "Les justes" (sermon 6). Ce sermon est une réflexion sur un verset du livre de la Sagesse: "Les Justes vivront éternellement et leur salaire sera auprès de Dieu". Un sermon qui prend dans un 1er temps l'allure d'une analyse de texte car "Notre texte du jour paraît simple et de portée générale; presque personne, pourtant ne comprend tout ce qu'il comporte, bien qu'il soit véridique." Et Maître Eckhart d'expliquer un par un ces mots tout simples. Qui sont les justes? Selon Saint-Ambroise, « Juste est celui qui donne à chacun ce qui lui revient », ceux précise Maître Eckhart, qui "ne recherchent leur intérêt absolument en aucune chose", "ceux qui acceptent toute chose de Dieu d'un coeur égal" ce qui le conduit à élaborer une réflexion d'une extrême exigence concernant la prière de demande. "Les justes vivront... " d'une vie qui émane de Dieu, d'une vie "qui est l'être de Dieu", ni plus ni moins. Et enfin, "Les Justes vivent éternellement « auprès de Dieu », ni au-dessous ni au-dessus de Lui, hommes et femmes, égaux et semblables à Dieu car "Quand Dieu créa l'homme, il créa la femme en la tirant de la côte d'Adam, pour qu'elle lui soit égale et semblable. Il ne la créa pas à partir de la tête ou des pieds d'Adam, afin qu'elle ne lui soit ni supérieure ni inférieure : il la voulut égale et semblable*. De même, l'âme juste se tient auprès de Dieu, à côté de Lui, égale et semblable à Lui, ni supérieure ni inférieure." Une égalité et une ressemblance qui seront données à l'âme qui entre en Dieu par l'amour... Ce sermon est peut-être le plus accessible des quatre, et c'est celui où se manifeste le plus clairement la richesse de la pensée d'Eckhart, une pensée qui sollicite à un haut degré notre intelligence et notre attention, mais qui renonce sans transition à toute logique pour évoquer l'expérience de l'amour "sans parce que", l'amour qui est tout simplement, tel la rose d'Angelus Silesius qui "est sans pourquoi, elle fleurit parce qu'elle fleurit, N'a pour elle-même aucun soin, - ne demande pas : Suis-je regardée ?", l'amour que l'on peut éprouver - ou du moins pressentir confusément - dans un instant d'émerveillement: expérience par essence irrationnelle et inexplicable.

- "L'Innommable" (sermon 28) aborde le sujet de l'amour de Dieu, et de la bonté et de la perfection de sa nature, par opposition à tout ce qui est créé et qui est - par nature - imparfait: "C'est l'un en soi, qui n'a rien de commun avec quoi que ce soit. C'est ici qu'achoppent tous ces grands clercs, dans cette contrée étrangère et désolée, trop innommable pour qu'on lui donne un nom, trop inconnaissable pour qu'on la connaisse." Une contrée étrangère et désolée dans laquelle, n’étant pas grand clerc, je me suis complètement perdue...

- "Les trois facultés de l'âme" (sermon 32) reprend le thème des voies qui mènent vers Dieu, en se référant plus particulièrement au rôle des 5 sens et des 3 facultés de l'âme (une notion classique de la théologie médiévale, ces 3 facultés sont (1) la connaissance, (2) la faculté irascible - par laquelle Dieu entre en guerre contre le mal - et (3) la volonté).


Ce mince volume - mince mais très dense - propose en outre une courte biographie de Maître Eckhart ainsi qu'un commentaire très intéressant par le traducteur, Jérôme Vérain, qui vient fort à propos éclairer l'originalité de sa pensée. Et puisque je dois bien attribuer des étoiles à ce livre au moment de poster ce texte qui ne se veut bien évidemment pas une "critique" d'une pensée qui me dépasse largement, j'en retire une demi... seulement parce que ce tout petit livre m'a donné l'envie d'en savoir plus sur l'oeuvre de Maître Eckhart et que, revers de la médaille, il m'a un peu laissée sur ma faim.


* J'espère - et je pense - que la plupart de CLibristes, croyants ou non, seront d'accord pour reconnaître qu'Eckhart fait preuve de beaucoup de bon sens dans son interprétation de cette vieille histoire de côtelette ;-).

NB: Le titre de ma critique est emprunté à Angelus Silesius, une citation dont il me semble qu'elle vient aussi éclairer la pensé d'Eckhart

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Une mystique du détachement

9 étoiles

Critique de Saule (Bruxelles, Inscrit le 13 avril 2001, 58 ans) - 17 février 2005

J'ai lu les sermons de Maître Eckhart à une période très particulière de ma vie, il y a quelques années, j'avais été tenté en lisant les références que fait Jung à cette figure du mysticisme moyenâgeux (quoique Eckhart ne soit pas qu'un mystique, c'est en outre un immense théologien et un philosophe). Je l'avais lu dans une belle édition en deux volumes avec une préface et une introduction à chaque sermon. Pour autant que je me souvienne j'étais arrivé jusqu'au dixième sermon, il faut en effet savoir que Maître Eckhart ne se lit pas très vite. J'en avais retiré quelque chose à l'époque : je me souviens avoir été marqué par sa mystique du détachement et aussi par sa manière d'interpréter les paraboles de l'évangile dans ce sens : ainsi les vendeurs chassés du temple deviennent les compromissions et marchandages auxquels on se livre dans notre âme (qui est le temple de Dieu) par exemple.

Pour Maître Eckhart il y a unité entre le plus profond de l'âme et Dieu. Mais ceci ne concerne que l'homme juste, c'est-à-dire celui qui s'est totalement détaché des images, du créé. Cette union mystique fascine les gens et Maître Eckhart est à la mode. Il suffit de voir comme les Jungiens se le sont appropriés, ce qui très bien d'ailleurs (mais par contre il me semble que ceux-ci ont tendance à confondre le Soi de Jung avec Dieu alors que Jung précise toujours que lorsqu'il parle de Dieu, il parle uniquement de l'image de Dieu dans la psyché, c'est-à-dire de l'image qui est produite par l'âme elle-même, ce qui évidemment ne correspond pas à la divinité au sens métaphysique du mot, sur laquelle on ne peut rien dire.). Pour revenir à Maître Eckhart, il faut savoir que lui-même a vécu cette union mystique, son âme a pénétré dans la chambre nuptiale, dans le secret de la chambre nuptiale il a eu accès à des paroles divines sur lesquelles il a été capable de baser sa doctrine.

Suite à la belle critique de Fée j'ai essayé de relire les sermons, toujours dans l'édition Seuil mais en poche cette fois, mais je n'en suis toujours pas arrivé au bout. Reste l'excellente préface et les introductions aux sermons, qui nous éclairent sur la doctrine de ce personnage qui apparaît en outre comme très humain On y apprend aussi le pourquoi de son procès en hérésie (raisons politiques principalement).

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