Marx à rebours de Bruno Pinchard

Marx à rebours de Bruno Pinchard

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Essais

Critiqué par Patmos, le 19 juillet 2014 (Inscrit(e) le 6 décembre 2010, - ans)
La note : 2 étoiles
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Ébouriffant.

On s’interrogera sur les motivations qui auront poussé l’auteur à publier ce livre quelque peu improvisé, malgré une tentative d’explication faiblement convaincante affirmant même qu’il aurait dû commencer sa philosophie « par le débat avec Marx » (p. 10)…
Comme dans son précédent livre on trouvera ici bon nombre de contradictions ébouriffantes, à commencer par celle qui entend distinguer Marx de sa postérité révolutionnaire (p. 9), alors qu’il est affirmé exactement l’inverse page 171 !
Faire aussi de son matérialisme athée un aristotélisme (p. 23), au point de trouver les traces d’un hylémorphisme dans ses écrits (p. 104), nous semble singulièrement forcé, sachant que c’est la leçon d’Epicure que suit Marx dès sa thèse de doctorat et non celle d’Aristote que B. Pinchard oppose sans doute trop radicalement à une « tyrannie platonicienne » dont nous serions victimes ! Rappelons qu’Aristote est aussi et surtout un théologien !
Mais le plus étrange réside dans l’assimilation de Marx à un Moïse « brisant l’idole du capitalisme pour libérer l’humanité de ses illusions païennes » (p. 86). Il y a une apparence de vérité dans cette impression d’autant plus trompeuse que Marx est en réalité le type même du faux prophète qui , suivant une logique de l’inversion que B. Pinchard confond gravement avec la Table d’émeraude (p. 68), cherche à subvertir le rapport normal entre conscience et existence, mais aussi bien sûr, entre l’homme et la religion puisque selon Marx, comme chez son ami Bruno Bauer, ce « théologien à rebours » (M. Rubel), c’est l’homme qui invente la religion ! En faisant de l’idolâtrie de l’argent, suivant l’image du veau d’or, un effet secondaire du culte rendu au Dieu infini de la Bible, B. Pinchard dépasse par conséquent les limites (p. 88) ! Car c’est oublier l’injonction célèbre du Christ (Mat 6 : 24)  « vous ne pouvez servir Dieu et l’argent », mais c’est oublier aussi que l’argent ne peut devenir une idole que s’il subit lui-même paradoxalement sa propre désacralisation, que le phénomène capitaliste, historiquement tardif, imposera simultanément au travail humain ; bien entendu, de cela il n’est pas question chez Marx. En revanche, B. Pinchard aurait pu nous parler de la « dégénérescence de la monnaie » (Guénon), mais il a fait le choix de ne pas évoquer ce point essentiel …
En Darwin du développement social, Marx renverse également le juste rapport entre pensée et technique (p. 75), là encore contre la précieuse doctrine d’Aristote. C’est d’ailleurs sur ce terrain que le philosophe allemand approche parfois si près de la vérité qu’il parait pouvoir libérer les peuples, mais au lieu de cela, il nous propose ses terribles dix mesures que le Manifeste communiste (II) énonce froidement sans nier, d’après Marx lui-même, qu’elles impliquent un certain… « despotisme » ! Nous sommes assurément très loin ici du thélèmisme, dont on se demande ce qu’il vient faire là (p . 124), si ce n’est pour se consoler des sanguinaires errances révolutionnaires. Quoique déjà subversive, l’utopie rabelaisienne, qu’affectionne tant B. Pinchard, paraîtra en effet plus fastueuse et moins populaire que les très marxistes « armées industrielles », si éloignées des bibliothèques de la Renaissance !
Voir ainsi dans le Marx de la dictature du prolétariat et du Parti un moyen de « re-qualifier le monde détruit par la quantité » (p. 170) pourra donc sembler injustifiable.
Patrick Geay pour Patmos.

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