Comment j'ai appris à lire de Agnès Desarthe

Comment j'ai appris à lire de Agnès Desarthe

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Essais

Critiqué par Paofaia, le 18 octobre 2013 (Moorea, Inscrite le 14 mai 2010, - ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (22 908ème position).
Visites : 3 222 

Apprendre à aimer lire

" Apprendre à lire a été, pour moi, une des choses les plus faciles et les plus difficiles. Cela s’est passé très vite, en quelques semaines ; mais aussi très lentement, sur plusieurs décennies.
Déchiffrer une suite de lettres, la traduire en sons fut un jeu, comprendre à quoi cela servait fut une traversée souvent âpre, et, jusqu’à l’écriture de ce livre, profondément énigmatique. "


Je n'ai aucun problème avec la lecture. j'ai un problème avec les livres.
Il me faudra plus de dix ans ( ce qui, en début de vie, est comparable à l'éternité) pour le résoudre.


Plus de dix ans, en fait, car Agnès Desarthe , normalienne, agrégée d'anglais, romancière et traductrice a quand même réussi à intégrer l'ENS sans avoir lu aucun livre du programme..


La bibliographie qu'on nous remet à la rentrée compte ( rien que pour le français) une soixantaine de titres. Il m'apparaît, en toute logique, qu'on ne peut pas lire autant d'ouvrages en une année, surtout lorsque, comme moi, on est atteint de " librophobie". Je décide donc de n'en lire aucun par souci d'équité, par esprit de justice.


Arnaud Viviant , assez méchant par ailleurs- il ne se cachait pas de ne pas aimer Agnès Desarthe : c'est une bourge, suprême insulte- a reconnu, au Masque , que c'était tout à fait possible.

Et c'était une vraie phobie: Il est hors de question que cela pénètre en moi.

Mais pas pour tous les livres.. et ceci dès l'enfance, mais peut être plus intéressant à l'adolescence.

Ainsi puis-je expliquer pourquoi Phèdre me parle alors que Madame Bovary me navre. nous lisons ces deux oeuvres en classe de seconde. L'une m'enchante, l'autre m'assomme.
Une femme mûre ( elle a l'âge de nos mères, autant dire qu'elle est vieille) est amoureuse d'un homme qui n'est pas son mari.. Je considère, à l'époque, que ce genre d'histoire devraient être interdites aux moins de dix-huit ans. Non parce qu'elles sont immorales ou choquantes, mais parce qu'elles ne nous intéressent pas; nous n'avons pas envie d'échafauder quelque rêverie que ce soit sur la sexualité de nos mères..



Avec Phèdre, c'est la même chose, mais c'est différent. Une femme mariée tombe amoureuse, mais cette fois-ci, ce n'est pas une bourgeoise pleurnicheuse, ce n'est pas une vieille qui a des regrets, ce n'est pas une histoire, c'est La Jeune Fille et la Mort de Schubert. De la musique.

En fait, elle résiste au contenu, elle ne tolère que la forme.


C'est un livre très personnel , enquête sur son propre trajet par rapport à la lecture, qui renvoie bien sûr à d'autres choses, les origines, les traumatismes en tous genres dans les parcours scolaires ( notamment rencontrés par les petites filles dans certaines cours de récréation), les programmes, une ode à certains enseignants qui font qu'un jour , un déclic se fait.
J'ai beaucoup aimé tout ce qui concerne l'enfance et l'adolescence, ce qu'elle écrit sur la traduction. La découverte des causes réelles de ce rejet de la lecture est un peu plus, à mon sens , laborieusement amenée.

Et j'aime beaucoup la dernière phrase:
A présent que lire est devenu mon occupation principale, mon obsession, mon plus grand plaisir, ma plus fiable ressource, je sais que le métier que j'ai choisi, le métier d'écrire n'a servi et ne sert qu'une seule cause: accéder enfin et encore à la lecture, qui est à la fois le lieu de l'altérité apaisée et celui de la résolution, jamais achevée, de l'énigme que constitue pour chacun sa propre histoire.

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Les éditions

  • Comment j'ai appris à lire [Texte imprimé] Agnès Desarthe
    de Desarthe, Agnès
    Stock
    ISBN : 9782234071667 ; 12,57 € ; 02/05/2013 ; 180 p. ; Broché
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écrire sans lire

9 étoiles

Critique de Marvic (Normandie, Inscrite le 23 novembre 2008, 65 ans) - 22 mai 2016

Dès son enfance, Agnès aime écrire. Grâce à son grand frère, elle maîtrise le B-A BA dès l'age de 4 ans et entre avec une année d'avance en classe de CP… dans l'école de garçons. "4 filles sur les dix classes exclusivement masculines" de l'école. Elle se retrouve devant "Daniel et Valérie" qu'elle lit facilement, une lecture orale aisée… mais une incompréhension totale du texte et de ces drôles de personnages vêtus de "chandails".
Incompréhension qui durera longtemps, malgré la grande variété d'ouvrages qu'elle aura entre les mains.
Son père lui mettra avec beaucoup de perspicacité des romans policiers entre les mains, elle essaiera les Bandes dessinées qui amusent tant son frère, ainsi que les inévitables Bibliothèques rose et verte de ces années là.
L'adolescence n'arrangera pas son problème de lecture avec la lecture imposée d'ouvrages peu adaptés. L'occasion de chapitres pertinents :
"Ainsi puis-je m'expliquer pourquoi Phèdre me parle, alors que Madame Bovary me navre…. Une femme mûre (elle a l'âge de nos mères, autant dire qu'elle est vieille) est amoureuse d'un homme qui n'est pas son mari. Voilà comment, pour moi-même, je résume l'intrigue de ces chefs-d’œuvre…. qu'on en finisse avec les yeux révulsés, autant regarder L'exorciste en boucle."

Curieusement, alors qu'elle "n'aime pas lire", elle choisira des études littéraires ; hypokhâgne lui permettant surtout de devenir financièrement indépendante.
Survient la rencontre avec certains auteurs comme Marguerite Duras, Albert Camus ou William Faulkner qui va transformer sa lecture.
"Avec Phèdre de Racine, c'est la même chose, mais cette fois-ci, ce n'est pas une vieille qui a des regrets, ce n'est pas une histoire, c'est La Jeune Fille et la Mort de Schubert. De la musique. Une musique qui n'est pas esclave de la linéarité grammaticale, encore moins de l'assommante corrélation du sens, une musique qui transgresse, contredit, contrechante ce qui est écrit. Plutôt que d'aller fumer dans la cour, je monte en salle de permanence pour écrire des tragédies en alexandrins."

Et c'est après toutes des années d'enseignement, après ces rencontres littéraires fortes que l'auteure comprendra enfin l'origine de sa bibliophobie ; il lui faudra remonter le fil de son histoire familiale multi-culturelle pour pouvoir dire en sortant de sa classe de khâgne "à dix-neuf ans, je ne dis plus que je n'aime pas lire."

L'auteure terminera par une description très instructive de son métier de traducteur, nous faisant partager la complexité et les questionnements devant les textes proposés. L'exemple du prénom "Bea" qui devient "Doris" dans la version française d'un livre de Cynthia Ozick (Bodies / Corps étrangers), est passionnante.

Un témoignage captivant d'un parcours personnel original, de l'importance des lignages dans l'apprentissage de la lecture.
Un livre qui devrait faire réfléchir les auteurs de livres scolaires ainsi que les chargés de programmes, que ce soit en élémentaire, collège ou lycée, qui devrait intéresser enseignants et parents d'enfants jeunes ou moins jeunes rechignant à la lecture, ou tout simplement les amateurs de littérature étrangère qui admirent le travail de traduction.

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