Critique de l'existence capitaliste : Pour une éthique existentielle de l'économie de Christian Arnsperger

Critique de l'existence capitaliste : Pour une éthique existentielle de l'économie de Christian Arnsperger

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Philosophie

Critiqué par Saule, le 20 janvier 2006 (Bruxelles, Inscrit le 13 avril 2001, 58 ans)
La note : 8 étoiles
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Critique philosophique du capitalisme.

Le capitalisme est un système fortement inégalitaire dans lequel on assiste de plus en plus à l'exclusion d'agents, on peut même parler de logique de séparation entre les gagnants et les perdants du système. Les marxistes espéraient que le système allait s'autodétruire mais ça ne semble pas devoir arriver. En outre il est difficile d'attaquer le système : on se voit répondre par la théorie du moindre mal d'une part et surtout le système capitaliste a pour lui l'apparence de la rationalité. Bref nous sommes beaucoup à vouloir attaquer le capitalisme mais cela reste un exercice difficile. Dès lors ce livre vient vraiment à point. Je vais tenter de vous donner un aperçu de cette lecture enrichissante, en sachant qu'un tel ouvrage ne se résume pas facilement et que je risque inévitablement de faire apparaître la pensée de l'auteur comme plus simple et moins complète qu'elle n'est. Tant pis !

Pourquoi, malgré des carences humaines largement reconnues, le système capitaliste se maintient-il ? L'auteur donne la réponse dès les premières pages et c'est la thèse de base de son ouvrage. Je le cite : « Si la logique en place est si tenace, c'est que quelque chose au tréfonds de nous-même y consent. Quelque chose qui participe de l'angoisse et du déni de notre condition d'humains. ». Cela le conduit à déclarer que l'ennemi (le capitalisme) doit être combattu dans un autre domaine, celui de la philosophie existentielle : « Les voies de sortie les plus pertinentes de l'économie capitaliste ne sont donc pas économiques. Elles sont existentielles ».

Le capitalisme a pour lui une apparence de rationalité : rationalité factice car elle repose sur un refus de la part des agents économiques d'assumer leurs finitudes existentielles (c'est la thèse essentielle de l'auteur, voir plus loin sur les finitudes). Pire, le système encourage certains agents à nier leur finitude et à en faire porter le poids à d'autres (par exemple selon un mécanisme de domination-soumission). Ou encore : le capitalisme favorise l'aliénation de ses agents en les encourageant à vivre de manière faussée. Ce qui explique pourquoi, alors que tout le monde s'accorde à désirer une société égalitaire, chacun n'accepte pas moins sans trop de scrupules de vivre avec une telle inégalité : « si l'impératif d'égalité n'a pas de prise effective sur les motivations des personnes c'est justement que l'angoisse existentielle agit en sous-main ».

Dans une première partie, les mécanismes existentiels qui travaillent en sous-main et qui pervertissent le système sont analysés : cette partie est très intéressante. Les comportements de consommation/d'épargne/de travail pris dans une perspective existentielle apparaissent sous un jour nettement moins romantique que dans l'imaginaire occidental. Ainsi ce serait notre culpabilité atavique qui expliquerait certaines pathologies du travail, tel la construction par des magnats d'empires de plus en plus grand dans le plus de pays de différents. Derrière ces empires se cache un refus d'assumer sa condition de mortel. Ou encore : c'est notre angoisse existentielle qui nous conduit à accumuler de l'argent ou a consommer frénétiquement (pathologie de la consommation).

En effet l'homme est confronté à une finitude existentielle : ainsi en tant qu'être mortel nous sommes confrontés à notre finitude corporelle, en tant que vivant en société nous sommes confrontés à l'altérité (on ne peut pas vivre replié sur soi-même), bref en tant qu'être humain un certain degré de souffrance morale et physique sont inévitables. Le problème c'est que le capitalisme permet et encourage de la part de ses agents la négation de ces finitudes (ainsi le marketing a pour but d'empêcher les gens d'accéder au juste renoncement). Ce refus de la finitude perverti le système. Ainsi la concurrence perd son sens premier de "courir ensemble" pour devenir un mélange de cupidité et de peur par exemple, d'ou les rapports de domination-soumission, la haine, l'exclusion des perdants.

Dans une deuxième partie l'auteur essaye de mettre en place une éthique thérapeutique basée sur sa critique existentielle. Je passe sur les détails car ça devient assez technique (mais toujours intéressant pour celui qui s'accroche) : en gros après avoir montrer les limites des différentes théories alternatives (marxisme, incitants moraux,..), il propose de nettoyer les axiomes fondateurs du capitalisme de leur perversion existentielle. On aboutit à un mélange de libéralisme égalitaire (tout le monde aurait droit à un salaire de base indépendant du travail), de marxisme non déterministe et de philosophie existentielle. La fonction première du nouveau système ne doit pas être la création de richesse (ce qui est le but unique du capitalisme : la croissance), mais bien la "juste" répartition de ressources symboliques (pouvoir, reconnaissance), ressources spirituelles (au sens très large, religieuse ou philosophique) et matérielles qui permette d'avoir une existence authentique (vivre en « adéquation existentielle », ou encore « gérer la tension vitale et l'angoisse existentielle »). Finalement dans le prologue l'auteur compare la société tibétaine traditionnelle, ou les agents ne disposent pas de moyens matériels mais par contre disposent de moyens spirituels en abondance, avec le modèle Chinois ou le modèle américain : c'est amusant et donne à réfléchir.

Ce livre, dont je ne donne qu'un faible aperçu, est très intéressant. Il est assez pointu et fait appel à notre réflexion, c'est un livre qui se lit lentement et qui se relit plusieurs fois. L'inverse d'une lecture rapide donc. Il introduit des notions philosophiques et psychologiques intéressantes mais qui impliquent évidemment un effort de réflexion (il nous encourage à vivre de manière philosophique). Son plus grand mérite est de nous faire prendre conscience de certains soubassements peu glorieux de nos comportements d'agents économiques, et de nous armer pour combattre l'ennemi capitaliste sans tomber dans les travers des mouvements contestataires habituels.

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Les éditions

  • Critique de l'existence capitaliste [Texte imprimé], pour une éthique existentielle de l'économie Christian Arnsperger
    de Arnsperger, Christian
    les Ed. du Cerf / La Nuit surveillée
    ISBN : 9782204076944 ; 20,00 € ; 27/10/2005 ; 209 p. ; Broché
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