Voilà ma dernière histoire... j'attends vos critiques pour voir quelques améliorations...
RENCONTRE AVEC LE KING...
Rencontre avec le King
Désert du Nevada, USA, 2800 mètres, atmosphère terrestre
Quand la poignée d'ouverture de son parachute se bloqua, Didier poussa un petit cri de chaton et se mit à mouiller son pantalon en acrylique – cinq $ de caution ! fumiers de ricains ! – tout en fixant le sol se rapprochant à plus de 300 km/h. Autant dire que ses Nike à coussins d'air n'allaient pas réussir à le faire rebondir un peu plus loin.
Le vent fouettait ses joues avec violence et l'étouffait. Un brusque courant d'air le fit tournoyer comme une toupie et son estomac se souleva.
Je reprendrais bien un peu de pancakes pour finir ma moutarde !
Une nausée dantesque le prit et les restes de son copieux déjeuner à demi-digéré s'envolèrent aux quatre vents, traçant dans le ciel quelques belles arabesques du plus bel effet abstrait. Une œuvre vivante et éphémère, pensa-t-il brièvement. Après quelques distorsions, il réussit à se stabiliser en position verticale, dans l'attente du choc fatal.
Ses hurlements étaient vains, perdus dans les airs tels des postillons d'éternuements lors d'un tour de grand huit. Il pensa à tous ces survivants de la mort qui avaient déclaré avoir vu leur vie défiler devant leurs yeux en quelques secondes. Ce ne fut pas son cas. Il pensa à ses beaux-parents et à sa femme. Merci la petite famille pour le voyage hautes-sensations, on s'en souviendra de celui-là, dommage qu'on n’ait pas filmé !
Pourquoi avait-il accepté ce cadeau à la con ? Après la descente des rapides du Grand Canyon sur canoë dégonflé avec comme copilote une vieille Hollandaise croisée avec une dinde, une virée dans les attrape-blaireaux de Vegas, puis ce magnifique saut en parachute – para-chute mon cul oui ! – au-dessus du désert californien...
Son esprit en panique lui montra une image bien distincte : des types du pentagone en costards et lunettes noirs, leurs grosses berlines aux verres teintés garées à l'arrache en plein désert, touillant ses restes sanguinolents à l'aide de triques en fibres de verre afin de décider si oui ou non il s'agissait bel et bien d'un authentique spécimen de p'tit homme vert (Lustucru), qu'on enverrait sans tarder dans une suite congélo première classe du Hangar 18* pour plus d'analyses... Il pensa à ses saloperies de tuilas, qu'il n'aurait pas la chance de voir pousser. Son vicieux de voisin aurait encore la chance de mater sa femme bronzer sur la terrasse... La trilogie de Lelouch dont il ne verrait pas la fin ! La Star Ac' 4, dont il ne connaîtrait pas le vainqueur, le trou dans la couche d'ozone au-dessus de l'Indre-et-Loire, le triple pontage coronarien de son patron, le brevet de son gamin, Windows XP à installer...
Il osa jeter un dernier regard vers le sol, et discerna une vague ombre, qui grossit à vue d'œil. Il fila droit dessus, comme un parpaing de dix-huit jeté depuis la lune. Il émit une brève et incohérente prière
Dieu Jésus Marie Joseph priez pour moi adieu mamannnnnnnn
avant de hurler à s'en faire couler une bielle.
AHHHHHHHHHHHHHHHhhhhhh...
Le choc fut moins violent qu'il ne l'attendait. Il pénétra dans une matière molle et fibreuse, et ne ressentit aucune douleur. Mais où était donc cette foutue lumière-blanche-au-bout-du-tunnel dont les gars parlaient dans les émissions sur le paranormal ?
Son corps s'immobilisa, et il se sentit étouffer de la plus horrible façon. C'était donc ça mourir ? Quelle saloperie ! Il sentit un goût envahir sa bouche. Un goût de... Oui ! un goût de merde !! Il se demanda ce qu'il avait bien pu faire d'assez dégueulasse dans sa vie pour mériter pareille éternité ? Un sac de billes volé chez Moduit ? Trois cent euros non déclarés en 1993 ?
Il nageait dans l’au-delà, dans une merde épaisse et collante. Il s'enlisa brusquement quand...
Deux bras vigoureux le saisirent sous les aisselles et le sortirent de l'enfer. On le déposa sur une surface molle, comme un coussin d'herbe. Il toussa et hoqueta pour reprendre sa respiration. Une main charnue vint enlever les excréments qui obstruaient sa bouche, son nez et ses yeux.
Il remercia à demi-voix les anges qui l'avaient tiré de là et activa son débarbouillage afin de contempler leurs divines trombines.
Les anges rirent, un doux rire qui sentait bon la vie...
La merde décollée de ses paupières, il put découvrir ses sauveurs.
Il étouffa un cri de surprise et avala quelques morceaux de merde qui faillirent l'étouffer.
Deux vieux paysans. Un homme et une femme, vêtus à la mode bouse profonde, l'air amusé et jovial. Rien de bien terrible.
Ce qui avait coupé la chique à Didier, ce n'était pas le fait d'avoir tout compris en quelques secondes : sa chute dans une profonde fosse à purin, ou son sauvetage in extremis par un vieux paysan...
Ce qui lui avait coupé le sifflet, c'était la tête du paysan.
C'était Elvis Presley.
C'était lui, à n'en pas douter. Malgré les rides et la barbe blanche, c'était le King, en chair et en os, un mégot brunâtre à la commissure des lèvres, un chapeau défraîchi sans couleur et une paire de bernicles rafistolées sur le nez. Didier en était bouche bée. Il devait faire erreur, Elvis était mort à la fin des seventies, il ne pouvait pas...
Le paysan parla, et Didier n'eut plus aucun doute. Le débit grave et enveloppant jaillit de la bouche à demi édentée, telle la voix d'un ange qui vient de sortir de désintox. Il félicita Didier en anglais pour son impressionnant atterrissage et ajouta avec un fort accent roulant quelques mots sur une possible bénédiction de Dieu.
Devint la mine stupéfaite du miraculé, Elvis rit de bon cœur et l'aida à se relever. Sa compagne (ou bien était-ce juste une amie ?) le sermonna à propos de son vieux dos mais il repoussa ses réprimandes d'un sec revers de la main.
Ils le conduisirent jusqu'à leur maison, une cabane en bois toute en longueur qui penchait de partout. La femme le nettoya et l'aida à retirer ses vêtements souillés. Elle insista pour le faire grimper dans une baignoire antique, dont l'arrivée d'eau se réglait à l'aide d'une pompe. Elle le laissa faire et revint juste pour lui déposer quelques vêtements élimés mais propres.
Je vais mettre des fringues du King, putain ! pensa-t-il avec incrédulité. Ça manquait un peu de paillettes en ivoire et de franges, mais la symbolique était là.
Il s'habilla et rejoignit le couple qui l'attendait dans ce qui semblait être la salle commune : cuisinière d'une autre époque, avec poêle en fonte, table grossièrement taillée mais solide et cerclée de chaises faites main. Elvis l'attendait là, avachi sur un authentique rocking-chair, occupé à servir de la citronnade dans deux verres ébréchés.
Didier s'assit et eut un peu de mal à ouvrir la bouche. Son anglais s'embrouillait et se mélangeait à ses restes d'allemand appris au lycée, mais petit à petit, Elvis sembla le comprendre. Amusé, le sourire au coin des lèvres, il écouta le français. C'était bien le même Elvis, toujours aussi charmeur, l'œil sauvage et naïf à la fois.
Didier lui parla de sa mort, en 77, son enterrement en grandes pompes à Graceland, le défilé de Cadillacs, les fans fous de chagrin, le monde entier en émoi... Elvis hochait la tête avec indulgence. Il savait tout ça, il avait tout vu à la télé, comme tout le monde.
Il expliqua à Didier comment il avait tout organisé de A à Z. « Mais le corps, monsieur Presley ? Le corps ? L'autopsie ? ». Elvis rit de bon cœur et demanda à la femme (Didier l'avait entendu l'appeler Janice) de préparer un bon poulet grillé. Une fois qu'elle se fut éloignée derrière la maison, il se rapprocha et parla plus bas, comme s'il avait peur qu'on l'entende, au beau milieu de son désert aride et sans route.
« Avec de l'argent, on peut tout faire mon ami ».
Ainsi, le corps qui avait subi l'autopsie était celui d'un sosie. Il n'était pas le seul à avoir pratiqué ce genre de disparition. Didier le bombarda de questions et Elvis daigna donner quelques explications et noms de personnages célèbres, dont la mort avait souvent bouleversé des millions de personnes.
Tout a commencé avec James Dean...
Peu avant sa prétendue mort, il s'était viandé en moto un soir de beuverie sur un tournage (son dernier), et avait eu le visage méchamment amoché. Il était méconnaissable le beau gosse ! Plutôt que de paraître aux yeux du monde (les gens sont si cruels) avec sa tête en gelée de groseilles (souvenez-vous que la chirurgie de l'époque n'était pas ce qu'elle est de vos jours...), il a cherché une solution pour disparaître aux yeux du monde entier sans ternir son image d'étoile montante. Il a préféré la mort plutôt que la déchéance... C'était un fier, le gars... Un de ces proches – je ne me rappelle plus son nom – a mis au point un plan au poil et l'accident de voiture fut organisé. Dean devint une légende avant l'heure et put disparaître sans laisser de trace. Aujourd'hui ? Il est mort en 85, je crois. En Alaska ! Il y chassait le phoque avec sa femme, une esquimaude pure souche. Enfin, c'est ce que J... ce qu'on m'a dit quoi...
Fier de son coup, son ami a initié quelques grandes vedettes au secret et leur a proposé le même deal. Très vite, son activité est devenue florissante. Je vous laisse imaginer le cachet qu'il se tapait à chaque coup ! De quoi racheter trois ou quatre casinos !
Ouais. Beaucoup y sont passés, des politiques, des stars du passé aux carrières en perte de vitesse, Marylin ! Oui, la Monroe mon vieux ! Elle en avait marre d'être célèbre la petite. Elle a versé toute sa fortune à notre ami et a disparu en Argentine. J'ai reçu une carte postale un jour, je dois l'avoir quelque part dans mon bazar... si vous me laissez deux minutes...
Pourquoi moi ?... parce qu'il le fallait. Tout simplement. Je crevai à petit feu dans ma baraque, et mon bide... j'avais pris un paquet de kilos, j'arrivai même plus à voir si mes ongles de panards étaient bons pour la coupe ! Je connaissais Jo... enfin, notre ami, depuis quelques années, et il m'avait mis dans la confidence. J'ai pris ma décision et il a tout organisé : le sosie, les médocs, la petite amie, le garde du corps, l'autopsie, les obsèques, ma fuite, la cabane perdue en plein désert... J'ai rien eu d'autre à foutre que de monter dans le pick-up, et hop, direction ma nouvelle vie ! Mais je ne regrette pas...
Pourquoi si près de Vegas ? Boh... je n'ai jamais aimé prendre l'avion, ça me fout les pétoches. Le colonel – mon manager – n'a jamais accepté que je parte faire quelques shows ailleurs qu'en Amérique, pourtant y avait de la demande ! J'ai mis un peu de temps, trop même, à me rendre compte que c'était à cause de ses papiers ! Il était pas en règle ! Enfin bref, j'ai choisi ce coin parce que je suis pas trop loin de Vegas, de mon ancienne vie quoi... J'ai hésité à partir au bout du monde, chez les chinois ou en Sibérie, mais l'avion... Ici, on est pépère avec Janice dans nôtre... Janice ? Une vieille copine ! Je l'ai toujours considéré comme ma frangine. Elle aussi en avait marre de la coke, des gens du milieu... Ça fait un bail qu'on vit là tous les deux et on peut dire qu'on est bien.
Mes chansons ? Elles sont toutes là (il se tapota la tempe du bout des doigts). J'ai bien un vieux tourne-disque qui doit traîner dans l'atelier mais je crois que j'ai perdu le cordon. Et puis je les ai tellement chantées, pas besoin de les réécouter. Les bandes enregistrées ? Celles avec les Beatles au cours d'un bœuf improvisé ? Ouais, je dois les avoir quelque part... Si j'ai continué à écrire ? Non. Quand je suis parti de Graceland, j'ai tout laissé derrière moi, surtout ma carrière de chanteur, sans parler de celle d'acteur... Pour être franc, il m'arrive parfois de pousser un petit air, surtout quand je bêche. Et bien, figurez-vous que j'ai tout le temps peur qu'un péquin ne m'entende et me reconnaisse. Vous imaginez les titres dans la presse : Elvis est vivant, retrouvé dans une ferme crasseuse perdue en plein désert, avec de la merde de cochon séchée sous les ongles ! Okay, ça boosterait les ventes et ferait rentrer un paquet de royalties pour ma fille mais bon... elle en a assez pour voir venir, ses gamins aussi... Si j'ai des nouvelles d'elle ? Non, j'ai préféré la garder hors de tout ça. Ça peut vous paraître cruel, mais il fallait que le moins de personnes possible soit mis au courant. Surtout les personnes proches. Ce sont leur chagrin à eux qui rendent une disparition vraiment crédible. Je vous resserre un peu de citronnade ?
Le soleil se coucha sur la plaine. Sur le porche, les deux hommes contemplèrent le paysage en silence : longue bande d'horizon régulier où les couleurs les plus chaudes vacillaient en un mirage en fusion.
Janice servit le poulet et ils dînèrent avec bonne humeur. Excité par le fort digestif que lui servit Elvis, Didier se mit à chantonner quelques refrains qui avaient fait la gloire du King. That's Allright Mamma, Hound Dog, Suspicious Minds, Love me Tender... Le vieil homme partit farfouiller dans sa grange et revint avec une guitare couverte de poussière. Il souriait comme un gamin, et Janice eut les larmes aux yeux. Ils passèrent une bonne soirée et partirent se coucher, complètement ivres.
Quand Didier se réveilla, il se retrouva dans le noir. Ses mains tâtonnèrent et il comprit qu'il était enfermé dans un endroit exigu. Une sorte de débarras. Il commença à crier et à taper contre les planches. Très vite, la voix étouffée d'Elvis se fit entendre à travers la mince cloison de bois.
– Fermez-là ! il y a les gars de l'avion qui vous cherchent dehors !
– Mais faites-moi sortir de là, j'étouffe là-dedans !
– Pas possible, j'ai pas envie qu'ils vous trouvent !
– ... comment ça ? Il faut leur dire que je suis là, monsieur Presley...
Il commençait à comprendre.
– Vous croyez que j'allais vous laisser repartir ? Pour aller raconter à vos amis que vous m'aviez rencontré ? Vous êtes cinglé ?
– Mais ?
Sa voix se mit à trembler.
– Je... je ne dirai rien, je vous le jure, je ne suis pas du genre à...
– Fermez-là, ils sont sur le porche avec Janice, là. Je vous préviens, si vous hurlez, je vous fous un coup de fusil ! (un coup sec résonna deux fois contre les planches, sûrement le canon d'une vieille pétoire). Maintenant, vous êtes là, avec nous. Vous y restez.
FIN
RENCONTRE AVEC LE KING...
Rencontre avec le King
Désert du Nevada, USA, 2800 mètres, atmosphère terrestre
Quand la poignée d'ouverture de son parachute se bloqua, Didier poussa un petit cri de chaton et se mit à mouiller son pantalon en acrylique – cinq $ de caution ! fumiers de ricains ! – tout en fixant le sol se rapprochant à plus de 300 km/h. Autant dire que ses Nike à coussins d'air n'allaient pas réussir à le faire rebondir un peu plus loin.
Le vent fouettait ses joues avec violence et l'étouffait. Un brusque courant d'air le fit tournoyer comme une toupie et son estomac se souleva.
Je reprendrais bien un peu de pancakes pour finir ma moutarde !
Une nausée dantesque le prit et les restes de son copieux déjeuner à demi-digéré s'envolèrent aux quatre vents, traçant dans le ciel quelques belles arabesques du plus bel effet abstrait. Une œuvre vivante et éphémère, pensa-t-il brièvement. Après quelques distorsions, il réussit à se stabiliser en position verticale, dans l'attente du choc fatal.
Ses hurlements étaient vains, perdus dans les airs tels des postillons d'éternuements lors d'un tour de grand huit. Il pensa à tous ces survivants de la mort qui avaient déclaré avoir vu leur vie défiler devant leurs yeux en quelques secondes. Ce ne fut pas son cas. Il pensa à ses beaux-parents et à sa femme. Merci la petite famille pour le voyage hautes-sensations, on s'en souviendra de celui-là, dommage qu'on n’ait pas filmé !
Pourquoi avait-il accepté ce cadeau à la con ? Après la descente des rapides du Grand Canyon sur canoë dégonflé avec comme copilote une vieille Hollandaise croisée avec une dinde, une virée dans les attrape-blaireaux de Vegas, puis ce magnifique saut en parachute – para-chute mon cul oui ! – au-dessus du désert californien...
Son esprit en panique lui montra une image bien distincte : des types du pentagone en costards et lunettes noirs, leurs grosses berlines aux verres teintés garées à l'arrache en plein désert, touillant ses restes sanguinolents à l'aide de triques en fibres de verre afin de décider si oui ou non il s'agissait bel et bien d'un authentique spécimen de p'tit homme vert (Lustucru), qu'on enverrait sans tarder dans une suite congélo première classe du Hangar 18* pour plus d'analyses... Il pensa à ses saloperies de tuilas, qu'il n'aurait pas la chance de voir pousser. Son vicieux de voisin aurait encore la chance de mater sa femme bronzer sur la terrasse... La trilogie de Lelouch dont il ne verrait pas la fin ! La Star Ac' 4, dont il ne connaîtrait pas le vainqueur, le trou dans la couche d'ozone au-dessus de l'Indre-et-Loire, le triple pontage coronarien de son patron, le brevet de son gamin, Windows XP à installer...
Il osa jeter un dernier regard vers le sol, et discerna une vague ombre, qui grossit à vue d'œil. Il fila droit dessus, comme un parpaing de dix-huit jeté depuis la lune. Il émit une brève et incohérente prière
Dieu Jésus Marie Joseph priez pour moi adieu mamannnnnnnn
avant de hurler à s'en faire couler une bielle.
AHHHHHHHHHHHHHHHhhhhhh...
Le choc fut moins violent qu'il ne l'attendait. Il pénétra dans une matière molle et fibreuse, et ne ressentit aucune douleur. Mais où était donc cette foutue lumière-blanche-au-bout-du-tunnel dont les gars parlaient dans les émissions sur le paranormal ?
Son corps s'immobilisa, et il se sentit étouffer de la plus horrible façon. C'était donc ça mourir ? Quelle saloperie ! Il sentit un goût envahir sa bouche. Un goût de... Oui ! un goût de merde !! Il se demanda ce qu'il avait bien pu faire d'assez dégueulasse dans sa vie pour mériter pareille éternité ? Un sac de billes volé chez Moduit ? Trois cent euros non déclarés en 1993 ?
Il nageait dans l’au-delà, dans une merde épaisse et collante. Il s'enlisa brusquement quand...
Deux bras vigoureux le saisirent sous les aisselles et le sortirent de l'enfer. On le déposa sur une surface molle, comme un coussin d'herbe. Il toussa et hoqueta pour reprendre sa respiration. Une main charnue vint enlever les excréments qui obstruaient sa bouche, son nez et ses yeux.
Il remercia à demi-voix les anges qui l'avaient tiré de là et activa son débarbouillage afin de contempler leurs divines trombines.
Les anges rirent, un doux rire qui sentait bon la vie...
La merde décollée de ses paupières, il put découvrir ses sauveurs.
Il étouffa un cri de surprise et avala quelques morceaux de merde qui faillirent l'étouffer.
Deux vieux paysans. Un homme et une femme, vêtus à la mode bouse profonde, l'air amusé et jovial. Rien de bien terrible.
Ce qui avait coupé la chique à Didier, ce n'était pas le fait d'avoir tout compris en quelques secondes : sa chute dans une profonde fosse à purin, ou son sauvetage in extremis par un vieux paysan...
Ce qui lui avait coupé le sifflet, c'était la tête du paysan.
C'était Elvis Presley.
C'était lui, à n'en pas douter. Malgré les rides et la barbe blanche, c'était le King, en chair et en os, un mégot brunâtre à la commissure des lèvres, un chapeau défraîchi sans couleur et une paire de bernicles rafistolées sur le nez. Didier en était bouche bée. Il devait faire erreur, Elvis était mort à la fin des seventies, il ne pouvait pas...
Le paysan parla, et Didier n'eut plus aucun doute. Le débit grave et enveloppant jaillit de la bouche à demi édentée, telle la voix d'un ange qui vient de sortir de désintox. Il félicita Didier en anglais pour son impressionnant atterrissage et ajouta avec un fort accent roulant quelques mots sur une possible bénédiction de Dieu.
Devint la mine stupéfaite du miraculé, Elvis rit de bon cœur et l'aida à se relever. Sa compagne (ou bien était-ce juste une amie ?) le sermonna à propos de son vieux dos mais il repoussa ses réprimandes d'un sec revers de la main.
Ils le conduisirent jusqu'à leur maison, une cabane en bois toute en longueur qui penchait de partout. La femme le nettoya et l'aida à retirer ses vêtements souillés. Elle insista pour le faire grimper dans une baignoire antique, dont l'arrivée d'eau se réglait à l'aide d'une pompe. Elle le laissa faire et revint juste pour lui déposer quelques vêtements élimés mais propres.
Je vais mettre des fringues du King, putain ! pensa-t-il avec incrédulité. Ça manquait un peu de paillettes en ivoire et de franges, mais la symbolique était là.
Il s'habilla et rejoignit le couple qui l'attendait dans ce qui semblait être la salle commune : cuisinière d'une autre époque, avec poêle en fonte, table grossièrement taillée mais solide et cerclée de chaises faites main. Elvis l'attendait là, avachi sur un authentique rocking-chair, occupé à servir de la citronnade dans deux verres ébréchés.
Didier s'assit et eut un peu de mal à ouvrir la bouche. Son anglais s'embrouillait et se mélangeait à ses restes d'allemand appris au lycée, mais petit à petit, Elvis sembla le comprendre. Amusé, le sourire au coin des lèvres, il écouta le français. C'était bien le même Elvis, toujours aussi charmeur, l'œil sauvage et naïf à la fois.
Didier lui parla de sa mort, en 77, son enterrement en grandes pompes à Graceland, le défilé de Cadillacs, les fans fous de chagrin, le monde entier en émoi... Elvis hochait la tête avec indulgence. Il savait tout ça, il avait tout vu à la télé, comme tout le monde.
Il expliqua à Didier comment il avait tout organisé de A à Z. « Mais le corps, monsieur Presley ? Le corps ? L'autopsie ? ». Elvis rit de bon cœur et demanda à la femme (Didier l'avait entendu l'appeler Janice) de préparer un bon poulet grillé. Une fois qu'elle se fut éloignée derrière la maison, il se rapprocha et parla plus bas, comme s'il avait peur qu'on l'entende, au beau milieu de son désert aride et sans route.
« Avec de l'argent, on peut tout faire mon ami ».
Ainsi, le corps qui avait subi l'autopsie était celui d'un sosie. Il n'était pas le seul à avoir pratiqué ce genre de disparition. Didier le bombarda de questions et Elvis daigna donner quelques explications et noms de personnages célèbres, dont la mort avait souvent bouleversé des millions de personnes.
Tout a commencé avec James Dean...
Peu avant sa prétendue mort, il s'était viandé en moto un soir de beuverie sur un tournage (son dernier), et avait eu le visage méchamment amoché. Il était méconnaissable le beau gosse ! Plutôt que de paraître aux yeux du monde (les gens sont si cruels) avec sa tête en gelée de groseilles (souvenez-vous que la chirurgie de l'époque n'était pas ce qu'elle est de vos jours...), il a cherché une solution pour disparaître aux yeux du monde entier sans ternir son image d'étoile montante. Il a préféré la mort plutôt que la déchéance... C'était un fier, le gars... Un de ces proches – je ne me rappelle plus son nom – a mis au point un plan au poil et l'accident de voiture fut organisé. Dean devint une légende avant l'heure et put disparaître sans laisser de trace. Aujourd'hui ? Il est mort en 85, je crois. En Alaska ! Il y chassait le phoque avec sa femme, une esquimaude pure souche. Enfin, c'est ce que J... ce qu'on m'a dit quoi...
Fier de son coup, son ami a initié quelques grandes vedettes au secret et leur a proposé le même deal. Très vite, son activité est devenue florissante. Je vous laisse imaginer le cachet qu'il se tapait à chaque coup ! De quoi racheter trois ou quatre casinos !
Ouais. Beaucoup y sont passés, des politiques, des stars du passé aux carrières en perte de vitesse, Marylin ! Oui, la Monroe mon vieux ! Elle en avait marre d'être célèbre la petite. Elle a versé toute sa fortune à notre ami et a disparu en Argentine. J'ai reçu une carte postale un jour, je dois l'avoir quelque part dans mon bazar... si vous me laissez deux minutes...
Pourquoi moi ?... parce qu'il le fallait. Tout simplement. Je crevai à petit feu dans ma baraque, et mon bide... j'avais pris un paquet de kilos, j'arrivai même plus à voir si mes ongles de panards étaient bons pour la coupe ! Je connaissais Jo... enfin, notre ami, depuis quelques années, et il m'avait mis dans la confidence. J'ai pris ma décision et il a tout organisé : le sosie, les médocs, la petite amie, le garde du corps, l'autopsie, les obsèques, ma fuite, la cabane perdue en plein désert... J'ai rien eu d'autre à foutre que de monter dans le pick-up, et hop, direction ma nouvelle vie ! Mais je ne regrette pas...
Pourquoi si près de Vegas ? Boh... je n'ai jamais aimé prendre l'avion, ça me fout les pétoches. Le colonel – mon manager – n'a jamais accepté que je parte faire quelques shows ailleurs qu'en Amérique, pourtant y avait de la demande ! J'ai mis un peu de temps, trop même, à me rendre compte que c'était à cause de ses papiers ! Il était pas en règle ! Enfin bref, j'ai choisi ce coin parce que je suis pas trop loin de Vegas, de mon ancienne vie quoi... J'ai hésité à partir au bout du monde, chez les chinois ou en Sibérie, mais l'avion... Ici, on est pépère avec Janice dans nôtre... Janice ? Une vieille copine ! Je l'ai toujours considéré comme ma frangine. Elle aussi en avait marre de la coke, des gens du milieu... Ça fait un bail qu'on vit là tous les deux et on peut dire qu'on est bien.
Mes chansons ? Elles sont toutes là (il se tapota la tempe du bout des doigts). J'ai bien un vieux tourne-disque qui doit traîner dans l'atelier mais je crois que j'ai perdu le cordon. Et puis je les ai tellement chantées, pas besoin de les réécouter. Les bandes enregistrées ? Celles avec les Beatles au cours d'un bœuf improvisé ? Ouais, je dois les avoir quelque part... Si j'ai continué à écrire ? Non. Quand je suis parti de Graceland, j'ai tout laissé derrière moi, surtout ma carrière de chanteur, sans parler de celle d'acteur... Pour être franc, il m'arrive parfois de pousser un petit air, surtout quand je bêche. Et bien, figurez-vous que j'ai tout le temps peur qu'un péquin ne m'entende et me reconnaisse. Vous imaginez les titres dans la presse : Elvis est vivant, retrouvé dans une ferme crasseuse perdue en plein désert, avec de la merde de cochon séchée sous les ongles ! Okay, ça boosterait les ventes et ferait rentrer un paquet de royalties pour ma fille mais bon... elle en a assez pour voir venir, ses gamins aussi... Si j'ai des nouvelles d'elle ? Non, j'ai préféré la garder hors de tout ça. Ça peut vous paraître cruel, mais il fallait que le moins de personnes possible soit mis au courant. Surtout les personnes proches. Ce sont leur chagrin à eux qui rendent une disparition vraiment crédible. Je vous resserre un peu de citronnade ?
Le soleil se coucha sur la plaine. Sur le porche, les deux hommes contemplèrent le paysage en silence : longue bande d'horizon régulier où les couleurs les plus chaudes vacillaient en un mirage en fusion.
Janice servit le poulet et ils dînèrent avec bonne humeur. Excité par le fort digestif que lui servit Elvis, Didier se mit à chantonner quelques refrains qui avaient fait la gloire du King. That's Allright Mamma, Hound Dog, Suspicious Minds, Love me Tender... Le vieil homme partit farfouiller dans sa grange et revint avec une guitare couverte de poussière. Il souriait comme un gamin, et Janice eut les larmes aux yeux. Ils passèrent une bonne soirée et partirent se coucher, complètement ivres.
Quand Didier se réveilla, il se retrouva dans le noir. Ses mains tâtonnèrent et il comprit qu'il était enfermé dans un endroit exigu. Une sorte de débarras. Il commença à crier et à taper contre les planches. Très vite, la voix étouffée d'Elvis se fit entendre à travers la mince cloison de bois.
– Fermez-là ! il y a les gars de l'avion qui vous cherchent dehors !
– Mais faites-moi sortir de là, j'étouffe là-dedans !
– Pas possible, j'ai pas envie qu'ils vous trouvent !
– ... comment ça ? Il faut leur dire que je suis là, monsieur Presley...
Il commençait à comprendre.
– Vous croyez que j'allais vous laisser repartir ? Pour aller raconter à vos amis que vous m'aviez rencontré ? Vous êtes cinglé ?
– Mais ?
Sa voix se mit à trembler.
– Je... je ne dirai rien, je vous le jure, je ne suis pas du genre à...
– Fermez-là, ils sont sur le porche avec Janice, là. Je vous préviens, si vous hurlez, je vous fous un coup de fusil ! (un coup sec résonna deux fois contre les planches, sûrement le canon d'une vieille pétoire). Maintenant, vous êtes là, avec nous. Vous y restez.
FIN
je comprends pas qu'on t'ait pas encore lu!!
je voulais hier mais la fatigue*et la!!! excellent, j'ai bien ri et quelle fin surprenante
j'aime être surprise et j'ai eu mon compte la,
;-)
je me disais ouais elvis moi bof, et puis je me suis dit allez lis, ne juge pas sans savoir
et c'est très bon
je voulais hier mais la fatigue*et la!!! excellent, j'ai bien ri et quelle fin surprenante
j'aime être surprise et j'ai eu mon compte la,
;-)
je me disais ouais elvis moi bof, et puis je me suis dit allez lis, ne juge pas sans savoir
et c'est très bon
Merci Acie !!! merci de m'avoir lue !!!
Je suis tombé en disgrâce sur ce forum ! va falloir que je lise 75 nouvelles avec réponses à l'appui pour remonter dans les cœurs !! :D
Je suis tombé en disgrâce sur ce forum ! va falloir que je lise 75 nouvelles avec réponses à l'appui pour remonter dans les cœurs !! :D
Non Thomas. Simple overdose de choses à lire, à écrire, à préparer. Par ex. là je ne t'ai pas encore lu. Mais je vais le faire .
Non Thomas. Simple overdose de choses à lire, à écrire, à préparer. Par ex. là je ne t'ai pas encore lu. Mais je vais le faire .
T'inquiètes Tistou, je plaisantais !!! prends ton temps !
Excellent, Thomas, excellent. Je me suis régalé. Imagination/réalisation au diapason.
ah oui, excellent ! je me suis bien marrée !!! ;-DDDD ah putaing, tu casses le mythe, ou plutôt les mythes hein... Le "Elvis", avec sa Janice... looool... et le James, avec son esquimaude !!!
Très bien aussi les rebondissements, l'au-delà qui se transforme en fosse à purin ! ;-D et la chute finale, bien sûr, même si on s'en doutait un peu...
Beaucoup d'humour, un texte bien écrit, du rythme, c'est sympa ! ;-D
Très bien aussi les rebondissements, l'au-delà qui se transforme en fosse à purin ! ;-D et la chute finale, bien sûr, même si on s'en doutait un peu...
Beaucoup d'humour, un texte bien écrit, du rythme, c'est sympa ! ;-D
Tistou et Paracelse : grand merci à vous !!! apparemment j'ai réussi ma mission, vous distraire !!! c'est ma seule ambition ! si vous voulez de la grande littérature, allez voir ailleurs ! mdr !
Et si c'était vrai qu'il était pas mort? On l'a tellement dit, allez savoir!
J'ai bien ri Thomas, il y a beaucoup d'humour et c'est bien rythmé, bien balancé, ton écriture est fluide et le récit se lit d'une traite. Pas d'accroc, ni trop ni trop peu de dialogues, l'idée de base est classique mais traitée avec succès.
J'ai bien ri Thomas, il y a beaucoup d'humour et c'est bien rythmé, bien balancé, ton écriture est fluide et le récit se lit d'une traite. Pas d'accroc, ni trop ni trop peu de dialogues, l'idée de base est classique mais traitée avec succès.
Excelent, génial...tout: l'idée,l'écriture.Du début à la fin. Formidable!
Merci à vous deux, mon cœur palpite de tant de forts compliments ! vous me donnez envie d'écrire, et c'est beau...
Merci du fond du corps !
ps : I believe I can fly...
Merci du fond du corps !
ps : I believe I can fly...
et Thomas, je peux faire un copié-collé de ton texte pr le mettre sur allociné ?! ;-D (sur un film du King par ex...) ; à mon avis, tu vas avoir un franc succès là-bas ! ;-DDD
Paracelse : vas-y banco ! balance le partout !!!!!!!! un sfilm sur le King ?? quoi donc ???
Pour un texte qui se voulait distrayant, c'est réussi! Bravo Thomas, j'ai bien rigolé et ça fait du bien. Rien que pour ça j'en voudrais bien d'autres, même si tu ne prends pas le temps de lire tous ceux des autres. Après tout, il n'y a pas d'obligations. Moi j'essaye de tout lire mais je ne réagis jamais à tout ce qui est poésie car je m'en sens incapable. Et puis, il faut du temps pour suivre toute cette production. Toi, là, tu as fait dans la qualité: bien écrit, rythmé, humoristique, presque véridique. Tout y est. J'ai donc beaucoup aimé.
Paracelse : vas-y banco ! balance le partout !!!!!!!! un sfilm sur le King ?? quoi donc ???
je l'ai mis là... ;-D
http://allocine.fr/communaute/forum/…
et si tu veux dialoguer après avec tes "admirateurs", tu peux te créer un pseudo (ça prend 2 secondes) là :
http://allocine.fr/communaute/membre/…
Merci Paracelse ! je vais aller voir ça !! et puis ce film sur Elvis m'intrigue, car vous l'avez tous compris, je suis fan (de sa vie surtout...) !!!
Tu as trouvé un moyen incroyable pour découvrir un nouveau lectorat ! merci à toi !
Tu as trouvé un moyen incroyable pour découvrir un nouveau lectorat ! merci à toi !
car vous l'avez tous compris, je suis fan (de sa vie surtout...) !!!et moi de sa voix, seulement de sa voix.
car vous l'avez tous compris, je suis fan (de sa vie surtout...) !!!et moi de sa voix, seulement de sa voix.
de la voix aussi, surtout celle des débuts...
ps : vindiou c'est un vieux film en fait !!! Ils mettent "1980" pour la prod alors qu'il est mort en 77.... en tout cas le forum est bien vide Paracelse... je sais pas si qqun verra la nouvelle un jour ?...
car vous l'avez tous compris, je suis fan (de sa vie surtout...) !!!et moi de sa voix, seulement de sa voix.
de la voix aussi, surtout celle des débuts...
ps : vindiou c'est un vieux film en fait !!! Ils mettent "1980" pour la prod alors qu'il est mort en 77.... en tout cas le forum est bien vide Paracelse... je sais pas si qqun verra la nouvelle un jour ?...
pas si vide le forum, t'inquiètes... il y a tellement de sujets à la fois, qu'on zappe beaucoup ! ;-D ça n'empêche pas de lire... ton sujet a déjà été ouvert 38 fois, c'est pas mal ! ;-D
Il est vraiment amusant ton texte, j'ai beaucoup ri et je l'aime bien. Il y a un bon sens de la situation, de la répartie, et puis juste les petits excès qu'il faut.
Concernant le style, je trouve que le ton est tout à fait juste pour raconter cette histoire, un peu d'outrance mais ça reste mesuré. La lecture a été très fluide pour moi. J'adore cet humour.
La question qui tue : Euh ... c'est autobiographique ?
Concernant le style, je trouve que le ton est tout à fait juste pour raconter cette histoire, un peu d'outrance mais ça reste mesuré. La lecture a été très fluide pour moi. J'adore cet humour.
La question qui tue : Euh ... c'est autobiographique ?
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