Le rat des champs
avatar 19/04/2013 @ 08:40:51

Tu me rappelles une citation de Woody Allen: "un rabbin se promène en demandant qui a des questions? J'ai des questions."

Heu... Je voulais écrire: "qui a des questions, j'ai des réponses."

Oburoni
avatar 19/04/2013 @ 09:02:49


Est-ce que les Chinois se sont posés ce type de question? à mon avis, oui. Le contraire me parait impossible, mais en fait, je n'en sais trop rien.

L’hindouisme, par contre (...)

En fait je ne connais pas très bien leur mode pensée mais si tu en sais plus, Yokyok, ça m'intéresse.

Avec l'Inde, on reste dans le cadre indo-européen, avec des racines linguistiques et/donc culturelles communes. La Chine est encore plus éloignée, et c'est pour ça que son étude est intéressante : en montrant une autre voie, elle permet de mettre en évidence les partis pris de la philosophie occidentale, dont on n'est pas conscient sinon puisque on baigne dedans.

Ainsi, le Tao cité par Stavroguine est une pensée des processus, qui ne pense pas le « pourquoi » mais le « comment ». Je n'ai pas le sentiment qu'ils « évitent certaines questions en préjugeant que nous n'avons pas les réponses », je crois qu'ils ne se les sont tout simplement pas posées parce que, dans leur cadre de pensée, ces questions n'ont pas de sens. A cet égard, la langue est révélatrice : le chinois, contrairement à nos langues latines qui disposent de tout un arsenal permettant de philosopher, est une langue qui décrit ce qui se passe et comment ça se passe. Pas de valeurs ni de concepts dans le Tao. L'idée, c'est d'épouser le cours des choses en s'accordant au monde, en évitant l'opposition qui ne mène qu'à épuiser stérilement ses forces. En fait, comme le note le philosophe et sinologue Francois Jullien - dont je vous recommande la lecture – le Tao est essentiellement un traité d'efficacité.

http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/35077

http://francoisjullien.hypotheses.org/746 (interview de Francois Jullien à propos du Tao)


C'est très intéressant.

Est-ce que tu parles chinois ?

Il me semble que, les différences viennent en partie de visions complètement différente du monde.
Pour ces philosophies (Tao...) il est, a toujours été, sera toujours et, donc, la question du pourquoi ne se pose pas. Il s'agit juste de savoir se placer en harmonie avec ses lois -épouser un univers éternel et infini en constant état de flux, de changements. Le libre-arbitre existe mais, il s'agirait de faire le choix entre se plier à ses règles, les épouser pour les devenir et être heureux ou, tenter de forcer notre volonté sur elles et casser cette harmonie.
En Occident nous sommes marqués par la pensée chrétienne, qui veut que le monde fut crée -il a un commencement, aura une fin et, tout est donc soumis à un but précis. Immobile, le libre-arbitre ne peut venir que de ce qui est hors du monde (Dieu); ce n'est pas quelque chose qui lui est intrinsèque (le Tao etc.)

Ce n'est pas facile à expliquer (merci Yokyok d'attirer l'attention sur le problème de la langue !) mais, au vu des découvertes scientifiques -physique, biologie- il me semble qu'il y a beaucoup à apprendre de telles philosophies orientales.

Le rat des champs
avatar 19/04/2013 @ 09:11:47
L'oeuvre de Lao-Tseu sur le TAO est d'une complexité infinie et elle très difficile à comprendre pour un occidental parce qu'elle mêle à la philosophie de la poésie et des éléments culturels qui nous sont étrangers. Néanmoins, je suis d'accord avec Oburoni, et l'idée du souffle primordial à la fois matière et esprit que représente le Tao est tout à fait compatible avec les données actuelles de la science.

Yokyok
avatar 19/04/2013 @ 16:26:42

Est-ce que tu parles chinois ?

Non. Mais j'envisage de l'apprendre un jour : cette langue m'intrigue.

Sissi

avatar 19/04/2013 @ 16:32:54

Est-ce que tu parles chinois ?


Non. Mais j'envisage de l'apprendre un jour : cette langue m'intrigue.


Moi aussi, mais il paraît que c'est épouvantable, parce qu'il y a des nuances de prononciations (notamment des voyelles) qui sont tellement infimes que c'est limite si nous les entendons, sauf que ça change complètement le sens du mot.

Saint Jean-Baptiste 19/04/2013 @ 16:44:15


M'enfin, SJB,


Là je te renvoie à la théière de Bertrand Russell, prouve-moi qu'elle n'existe pas. Ce sont ceux qui postulent quelque chose qui doivent en apporter la preuve. Si moi je te dis que le monde est né d'un croassement de la Mère Grenouille...

.

Le Rat, ton argumentation m'a convaincu totalement... enfin non, pas totalement mais presque, disons plutôt un peu beaucoup, non, seulement un peu et, en fait, très peu pour ne pas dire pas du tout !
Mais tu me connais, je ne suis pas de nature à polémiquer ; et puis ce ne serait pas apprécié par tout le monde qu'on parlât de nouveau de religion sur le site, n'est-ce pas, Aria.
;-))

Un point cependant où je ne partage pas ton avis c'est à propos de la théière de Russel et de ta Mère Grenouille : c'est celui qui nie la norme qui doit apporter la preuve.
Or la norme de l'humanité, depuis les origines, c'est que « un Dieu » existe (disons Dieu pour faire court). C'est donc à celui qui dit : Dieu n'existe pas d'apporter la preuve. Et, tant qu'il n'a pas la preuve, on s'en tient à la norme.

Saint Jean-Baptiste 19/04/2013 @ 16:50:05




j'envisage de l'apprendre un jour


Moi aussi, mais il paraît que c'est épouvantable, .
Je crois en effet que la langue est très difficile mais, l'écriture, par contre, serait assez facile (?).
En tous cas, à l'université de LLN, le cours de chinois est plein à mac.

Saint Jean-Baptiste 19/04/2013 @ 16:52:27


http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/35077

http://francoisjullien.hypotheses.org/746 (interview de Francois Jullien à propos du Tao)

Très intéressant, en effet ! Merci Yokyok.

Oburoni
avatar 19/04/2013 @ 18:37:43


c'est celui qui nie la norme qui doit apporter la preuve.
Or la norme de l'humanité, depuis les origines, c'est que «un Dieu» existe (disons Dieu pour faire court).


Pas du tout.

Depuis les origines des civilsations les systèmes de croyances qui prédominent avant tout sont le totémisme, le panthéisme et le polythéisme. C'est en fait l'idée d'un Dieu unique qui est révolutionnaire, faisant sa timide apparition très récemment à l'échelle de l'histoire humaine (Akhenaton et le culte du dieu solaire Ra...).

Les monothéismes abrahamiques sont d'ailleurs tellement exceptionnels que, même l'idée de création qu'ils soulignent (un commencement, un dessein précis et une fin programmée au monde; le tout tournant entièrement autour de l'humanité seule) reste complètement étrangère à bien des cultures -beaucoup de païens avaient une vision cyclique de la nature, certains faisant peu cas de l'humanité et, les philosophies/religions orientales pensent en terme de 'processus' (dixit Yokyok).

Mais, je peux comprendre qu'aprés 2000 ans de violences, persécutions et terreurs l'idéologie chrétienne ait tellement contaminée les esprits qu'elles soit maintenant percu comme 'naturelle' ;-))

Le rat des champs
avatar 19/04/2013 @ 19:01:15
Qu'est-ce que la norme, SJB et comment la définis-tu? Onuroni a raison, dans l'histoire de l'humanité, le monothéisme ne l'est pas. Tu peux évidemment considèrer que l'homo sapiens actuel est plus sage et plus intelligent que ses ancêtres polythéistes, athées et agnostiques, alors oui on pourrait estimer, en faisant le total des adeptes encore vivants des trois grandes religions monothéistes (3 milliards 715 millions contre 1 milliard 200 d'athées) que la "norme" statistique actuelle est, mais de peu, le monothéisme.

Tu en conviendras, mon ami, que l'exemple de la théière de Russel est tout à fait pertinent.

Saint Jean-Baptiste 19/04/2013 @ 20:43:02
Onuroni a raison,

Oburoni a raison, certes, mais moi aussi ; parce que en disant « Dieu » j'ai précisé : « pour faire court ». Ce qui donc voulait dire un principe divin, une divinité quelconque, l'animisme ou le polythéisme, ou n'importe quelle spiritualité surnaturelle, par opposition à l'athéisme. Cet athéisme qui, à ma connaissance, n'avait jamais existé avant le XIXème siècle, sauf peut-être dans la lointaine Asie, ce qui resterait à démontrer. C'est cet athéisme récent, et limité à l'Occident européen, qui nie la norme et qui donc, doit apporter la preuve.

Mais, pas de polémique, revenons à la philosophie... !

Le rat des champs
avatar 19/04/2013 @ 21:09:14
Tu sais, SJB, il fut un temps où il n'était pas très bon pour la santé de se dire athée ici en Europe, je crois même que c'était aussi dangereux que de se proclamer comme tel en Afghanistan de nos jours.

Il y en a eu cependant : http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/27569

Saint Jean-Baptiste 19/04/2013 @ 23:18:35
: http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/27569

Je l'ai mis sur ma liste de LAA (livres à acheter) avant de le mettre sur ma pile de LAL (livres à lire).

Saint Jean-Baptiste 19/04/2013 @ 23:24:38
Tu sais, SJB, il fut un temps où il n'était pas très bon pour la santé de se dire athée ici en Europe,
Bah ! Tu sais, Le Rat, les temps changent : tu te rappelles, en 1789, au temps des Lumières, les rois, les aristos, les têtes qui dépassent, on les coupait...

Le rat des champs
avatar 20/04/2013 @ 08:36:28
Tu sais, Le Rat, les temps changent tu te rappelles, en 1789, au temps des Lumières, les rois, les aristos, les têtes qui dépassent, on les coupait...

Ce ne sont ni les lumières, ni la laïcité qui ont coupé les têtes, mais la bêtise, la tyrannie de ceux qui étaient devenus "calife à la place du calife". Et puis, comme le rappelle justement Frédéric Lenoir dans "le Christ philosophe", tous ces joyeux coupeurs de têtes étaient de bons chrétiens éduqués et formatés dans les écoles chrétiennes, les seules qui existaient à l'époque

Sissi

avatar 20/04/2013 @ 17:57:16
Pour faire ma critique du Jeu des Perles de Verre, j'en relis l'avant-propos (un bouquin pour toi, Stavro, entre parenthèses, les références à Nietzsche, Mann et Schopenhauer y sont nombreuses), et je vous en copie un extrait, ça parle du taoïsme et de la langue chinoise:

"Hesse s'est plongé avec enthousiasme dans la traduction des grands textes traditionnels chinois faite par Richard Wilhelm. Et s'il rend hommage à la volonté ascétique de l'Inde, à son spiritualisme sans concession, il se rallie en définitive à la conception d'une sagesse plus gaie, plus sereine, fondée sur la notion de l'unité harmonieuse de l'univers, celle du taoïsme, qui est, selon l'expression de Marcel Granet, "une sorte de quiétude naturaliste". Après Siddharta,Le Jeu des Perles de Verre a précisément pour objet de ramener l'esprit à la notion de l'unité cosmique, du tao: l'homme du commun est soumis aux "Quatre dépendances": une longue vie; la gloire, les rangs et les titres; l'argent et les biens. C'est sur elles que repose la puissance de l'Etat. Mais le sage qui, conscient de l'unité du monde, aime son propre destin, porte en lui la paix et la sérénité.
Dans la troisième version de l'Introduction du roman (il y en a quatre en tout), on voit apparaître un savant parisien qui demande la création d'une langue universelle, laquelle rappellerait la langue chinoise et son système de signes. Et, pour bien marquer la parenté entre le langage du Jeu et la représentation qu'avait l'écrivain de la langue chinoise, cette demande devient dans la quatrième version une véritable exhortation (Mahnruf). En effet, le langage du Jeu est en mesure de mettre en relation tous les contenus spirituels de l'univers, parce qu'il possède, comme le chinois, une "structure ouverte": l'écriture chinoise se compose d'idéogrammes qui n'ont pas de désinence et peuvent donc être employés ad libitum comme substantif, adjectif ou adverbe, voire comme verbe. Cette qualité, qui bouleverse les données de la logique formelle, confère à la langue le maximum d'élasticité."

A méditer....

Provis

avatar 21/04/2013 @ 17:41:54
Je ne sais pas si je te comprends bien, mais pour moi il est pratiquement évident que le libre arbitre et la conscience du bien et du mal ne sont pas typiquement européens. Pour moi ils sont universels, parce que caractéristiques de la nature humaine.
Ce qui peut être typique, et qui l'est sûrement, c’est seulement la forme qu’ils peuvent prendre, la façon dont ils se concrétisent, en fonction de la culture du lieu.
Je ne crois pas que la pensée chinoise traditionnelle ait pensé le bien et le mal, ni la volonté. Ni la vérité. La Chine ancienne a eu une pensée complètement différente de la nôtre, immanente, sans métaphysique... Pour penser le bien et le mal, il faut imaginer un absolu, un idéal du bien et du mal que l'on projette en dehors du monde, qui existe indépendamment de lui, et par rapport auquel on peut juger le monde réel. Non ?
Je ne pense pas. Il n'y a pas besoin d'un très haut de niveau de réflexion pour avoir le sentiment qu'on fait "mal". Même les jeunes enfants peuvent avoir cette impression, serait-ce sous l'influence de leur milieu (ce qui du coup met fort en question le concept du complet libre arbitre.. :o).

Si on traduit le mot « idéal » en chinois, ça donne quelque chose comme le « principe régulateur des choses ». On voit bien que ça n'a rien à voir.
Personnellement je vois qu’on peut faire un lien entre « principe régulateur des choses » et par exemple, « principe immanent », « être supérieur », « grand horloger », etc.
Pourquoi non ? Ce « principe régulateur des choses » est bien une tentative d'explication du monde à l'aide d'un concept transcendant ?

Pour le reste, j’ai eu l’occasion de discuter un peu avec Yuan Zhang (Chinoise authentique comme son nom l’indique.. :o) qui confirme effectivement que les Chinois ont un mode de pensée très différent de celui des Européens, loin du cartésianisme, mais ça ne les empêche pas d'avoir une notion claire de concepts comme le bien/le mal, la volonté, la vérité, et aussi le libre arbitre.
Je n’en suis pas été étonné du tout, parce que je ne pense pas qu’il faille une quelconque formation en philosophie pour que ces notions viennent à l’esprit.

Le point le moins évident est peut-être le concept de libre arbitre, qui dans notre culture européenne a été considéré d’abord comme une évidence (tout homme possède son libre arbitre ; voir par exemple le texte d’Epictète cité par Sissi), avant d’être remis en cause par les philosophes de notre culture au cours des derniers siècles (ou même avant...).
Il est possible que le libre arbitre n’ait tout simplement jamais été contesté dans la civilisation chinoise.

Je suppose que dès que la conscience lui est apparue, l’homme a commencé à se poser des questions existentielles : qu’est-ce que je fais sur cette terre ? d’où je viens ? comment suis-je ici ? et pourquoi ? y a-t-il un but et lequel ?
Pareil. Ces questions ne sont pas universelles, puisque les chinois (qui en ont pourtant eu le temps) ne se les sont pas posées.
Je ne suis pas de ton avis. Comment saurais–tu que les Chinois ne se sont pas posé ces questions ? Tout de même pas du seul fait que les civilisations chinoise et occidentale sont très différentes ??

Le rat des champs
avatar 22/04/2013 @ 09:29:51
Je ne pense pas. Il n'y a pas besoin d'un très haut de niveau de réflexion pour avoir le sentiment qu'on fait "mal". Même les jeunes enfants peuvent avoir cette impression, serait-ce sous l'influence de leur milieu (ce qui du coup met fort en question le concept du complet libre arbitre.. :o).

Jean-Jacques Rousseau avait-il raison avec son, mythe du bon sauvage? Pour ce dont je me souviens de mon enfance, je n'ai pas l'impression d'avoir eu une conception innée du bien et du mal mais acquise. Je me souviens notamment de la trouille qu'on avait de toucher l'hostie avec les dents et de faire ainsi souffrir le p'tit Jésus qui était dedans.

Sissi

avatar 22/04/2013 @ 09:50:05
. Même les jeunes enfants peuvent avoir cette impression, serait-ce sous l'influence de leur milieu (ce qui du coup met fort en question le concept du complet libre arbitre.. :o).


Oui, mais beaucoup de ces jeunes enfants devenus adultes vont prendre le contre-pied de cette influence pour s'en libérer....pour bien souvent influencer leurs propres enfants complètement à l'opposé, ce qui faisait dire à Freud que, quoi qu'on fasse, en matière d'éducation, on va faire "mal", parce qu'on va faire "comme ou contre" (l'éducation qu'on a soi-même reçue.)
Le complet libre arbitre, il est clair qu'il n'existe pas.

Yokyok
avatar 22/04/2013 @ 10:16:34

Je n’en suis pas été étonné du tout, parce que je ne pense pas qu’il faille une quelconque formation en philosophie pour que ces notions viennent à l’esprit.

Pas une formation en philosophie, mais une langue qui permet ces notions ! Par un heureux hasard je viens de tomber, au détour d'une introduction d'un bouquin d'informatique, sur la citation suivante, qui souligne l'importance cruciale de la langue :

"Human beings ... are very much at the mercy of the particular language which has become the medium of expression for their society. It is quite an illusion to imagine that one adjusts to reality essentially without the use of language and that language is merely an incidental means of solving specific problems of communication and reflection. The fact of the matter is that the "real world" is to a large extent unconsciously built up on the language habits of the group."

The Status Of Linguistics As A Science, 1929, Edward Sapir

(Les êtres humains sont à la merci de la langue devenue le moyen d'expression dans leur société. Il est tout à fait illusoire d'imaginer qu'on s'ajuste à la réalité essentiellement sans recours à la langue, celle-ci n'étant qu'un moyen fortuit permettant de résoudre des problèmes spécifiques de communication et de réflexion. En fait, le « monde réel » est, dans une large mesure, inconsciemment forgé sur les habitudes linguistiques du groupe.)

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