Rencontre avec Fabien Toulmé, auteur d’un album remarquable, Ce n’est pas toi que j’attendais…

Après avoir lu une magnifique bande dessinée, Ce n’est pas toi que j’attendais, récit d’un papa face à sa petite fille trisomique, j’ai souhaité rencontrer l’auteur pour lui laisser la parole. Je remercie Fabien Toulmé d’avoir accepté de nous parler de son expérience… et d’avoir écrit un si bel ouvrage en bande dessinée. La bande dessinée est critiquée sur le site :

http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/43338

Je suis l’heureux papa de Julia et cet album parle de l‘arrivée de cette fille dans la famille. C’est le deuxième enfant, la première est Louise. Julia est arrivée avec une petite différence découverte à la naissance, une trisomie 21 qui n’avait pas été détectée durant la grossesse. Ce livre ne traite pas spécifiquement et techniquement de la trisomie, c’est le cheminement d’un papa qui va vers sa fille petit à petit. C’est plutôt un récit universel, ça s’applique à la trisomie mais cela peut concerner n’importe quelle différence, voire même n’importe quel enfant.

L’envie de raconter est apparue lorsque toutes étapes ont été dépassées, lorsque je me suis retrouvé apaisé, heureux d’être le papa de Julia. C’est parce que je trouvais que c’était une belle histoire que l’envie du livre est devenue évidente, naturelle. J’avais la chance d’avoir vécu cela et mon récit allait être plus vrai et plus fort que si cela avait été raconté de l’extérieur comme une simple fiction.

Au début j’étais dans la tempête. On imagine toujours que ça n’arrive qu’aux autres. On ne connait pas les problématiques de l’enfant handicapé ou malade. Quand ça arrive, on plonge immédiatement dans les fantasmes, on n’est pas capable d’analyser et j’ai plongé comme dans un grand océan hostile et mystérieux. L’écriture du livre n’a pu être envisagée qu’après avoir passé toutes ces étapes. Le moment charnière entre les phases les plus douloureuses et les temps plus apaisés, c’est quand Julia se fait opérer du cœur. Elle nait avec une tétralogie de Fallot, et il fallait une intervention chirurgicale à cœur ouvert dans la première année de vie de Julia. C’est à ce moment-là, même si je n’en ai pas conscience, que je suis inquiet pour ma fille. Elle environ six mois. Je suis là avec ma femme et on ressent de l’inquiétude, de la tristesse… C’est le moment où il est évident qu’elle est bien notre fille, qu’on l’aime, tout simplement.

Ce qui est sûr, c’est que j’ai eu du mal à parler de ce qui se passait dans la tête de ma femme. J’ai vu et ressenti ce qu’elle vivait mais c’était plus facile de raconter mon cheminement. Dans le livre, il y a un peu deux personnages côte à côte, un papa râleur et anxieux, une maman plus zen, j’ai un peu caricaturé la réalité de nos deux caractères, de nos deux personnalités. Mais c’est quand même un peu la photographie de la réalité et de ce que nous avons vécu. Mon épouse a certainement été plus calme et philosophe que moi…

D’un coup on reçoit un grand nombre d’informations sur les soins qu’il va falloir apporter, ce qu’il va falloir faire avec Julia pour la stimuler et l’accompagner, la faire évoluer. On rentre dans ce monde inconnu du handicap et des soins, on nous décrit certaines « attractions » et ça fait un peu peur. Je parle dans le livre de Handicap land. On nous dit tellement de choses qu’on ne sait plus comment faire, si on sera capable de tout faire, d’assumer… C’est une étape difficile, différente de la naissance mais angoissante pour les parents.

C’est important parce que la première peur que l’on a avec un enfant handicapé c’est l’avenir : est-ce que toute ma vie je vais devoir m’occuper de ma fille, quand j’aurais 80 ans est-ce que je vais être capable d’assumer ? Certes on nous donne beaucoup d’informations scientifiques mais on a du mal à imaginer ce qu’est la vie quotidienne d’un adulte trisomique. On manque d’exemples ! En parler avec ceux qui ont connu, c’est cela qui apaise, qui permet de relativiser, d’envisager la vie pour Julia avec une certaine autonomie… un travail, un logement, une vie amicale, voire même amoureuse…

Il y a eu aussi la difficulté à parler de Julia à sa grande sœur : ce n’est pas simple de mettre des mots sur la trisomie pour une petite fille. Elle a 5 ans à la naissance de Julia. On s’est aperçu que Louise avait compris beaucoup plus de choses que ce que nous les parents nous imaginions. Sa sœur était différente et elle l’avait bien compris.

Au bout d’un moment, la trisomie « disparait » derrière l’enfant. Aujourd’hui je n’accole plus le mot de trisomique à ma fille, j’ai deux filles, un point c’est tout !

On a la chance que Julia nous ait choisis comme parents !

Et je ne peux que vous inviter à lire ce magnifique récit en bande dessinée qui illustre que cet art narratif est maintenant devenu majeur et capable d’aborder tous les thèmes avec délicatesse et humanité !

(Propos recueillis par Shelton et la photo est de Chloé Vollmer-Lo)

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