Le festival d’Angoulême de Shelton : 2ème partie du vendredi 30 janvier 2015

Quand on travaille sur l’agenda d’Angoulême, quand on prépare nos rendez-vous, on choisit les auteurs que l’on aime, que l’on connait, qui sont à la mode ou qui viennent rarement en France. C’est dans ce cadre que le nom de Charlie Adlard a retenu notre attention immédiatement. Pensez donc le dessinateur de la série mythique Walking Dead ! Oui, mais il fallait l’interviewer en anglais et donc la préparation ne fut pas légère : il fallait connaitre la série, avoir lu une partie des albums, éventuellement connaitre la série TV, aimer l’ensemble, parler anglais… et, surtout, voir notre demande de rendez-vous agréé par la maison d’éditions et par l’auteur ! Tout s’est bien passé, on nous a donné un créneau, on a préparé et nous y voilà…

C’est Axelle qui va prendre en main l’entretien en anglais et elle s’en est sortie merveilleusement bien. Le ton est fluide, l’ambiance est détendue, Charlie est souriant, léger et il semble s’amuser à répondre à toutes ces questions… Axelle n’est jamais dépassée, elle anticipe, elle écoute, elle réagit, rebondit et tout se passe bien. L’entretien dure plus longtemps que prévu et il semblerait même que le public soit très nombreux à écouter les propos de Charlie et Axelle…

Car il faut dire que c’est à ce moment-là que va se produire un évènement atypique qui fera mémoire dans l’histoire technique du festival. En effet, nous utilisons un micro-cravate, avec émission par ondes et sans que nous le sachions le magasin des Galeries Lafayette d’Angoulême a retransmis durant l’après-midi l’interview avec Charlie Adlard. Si la directrice du magasin n’a pas fortement apprécié la chose, les techniciens du festival furent surpris du phénomène et dès le lendemain une consigne apparut dans tous les lieux de presse avec l’interdiction d’utiliser la fréquence des Galeries Lafayette. Au moins, on se souviendra de l’utilisation de nos fameux micros-cravates !

Cela ne changea rien à la qualité des échanges avec Charlie Adlard, jeune auteur de qualité qui a rencontré le succès assez rapidement mais qui n’en reste pas moins un homme accessible, simple et plein d’humour ! Quant à la série Walking Dead c’est en bande dessinée qu’il faut la découvrir car la version y est plus complète, plus forte, plus dense, en clair, bien meilleure !!!

Tout en suivant des yeux et des oreilles Axelle, prêt à l’aider en cas de besoin, je jette un œil protecteur à Adeline et Amelia, mes deux étudiantes qui doivent aller interviewer Joris Chamblain, scénariste, et Aurélie Neyret, dessinatrice, des Carnets de Cerise, éditions Soleil. L’interview doit avoir lieu dans l’exposition qui est consacrée à cette petite merveille. Les filles ont aimé la série (3 albums), elles ont déjà rencontré le scénariste, et, pourtant, elles sont très tendues, surtout Adeline qui carrément morte de peur… Le stress de la première interview faite seules… Je suis assez confiant, elles sont prêtes !  

Je suis obligé de laisser Axelle clore l’entretien seule car je dois me dépêcher de rejoindre les éditions Paquet pour retrouver Stefano Carloni, le dessinateur de la série Sinclair qui vient de démarrer avec Laurent-Frédéric Bollée au scénario. Il s’agit d’un italien mais l’entretien va finalement se faire en français car Stefano parle très correctement avec un bel accent chantant…

La série appartient au label « Calandre » des éditions Paquet, un label où il est question de voitures, une véritable attraction de ces éditions quand on voit le nombre de lecteurs fidèles qui se précipitent autour du stand tous les jours pour obtenir une belle dédicace avec un dessin de voiture… J’avoue être plus sensible aux personnages qu’aux voitures et cela tombe plutôt bien car la série Sinclair est avant tout une histoire profondément humaine avant d’être une série de bagnoles ! Certes, Philippe Sinclair cherche à devenir pilote automobile, certes il a abandonné ses études de médecine pour entrer dans cette carrière, certes il est invité en Australie pour courir une course alors que le professionnalisme s’éloigne de lui… oui, mais là-bas, c’est son histoire qu’il rencontre, c’est sa famille qui reprend de la consistance, c’est un parcours de redécouverte, de reconstruction, initiatique auquel il est convié ! Un très beau récit bien dessiné et avec une narration graphique mature et maitrisée…

Stefano Carloni nous partage tout cela avec l’émerveillement d’un jeune auteur qui n’en attendait pas autant, pas si vite… Voilà, la série est partie pour un cycle de trois albums, il a déjà fait un Angoulême et il semble très heureux de ce qui lui arrive !

Pour clore cette logue journée, nous prenons la destination du théâtre d’Angoulême où va se tenir la grande conférence de presse des éditions Rue de Sèvres… Ce label, rattaché aux éditions L’école des loisirs, est né il y a un peu plus d’un an et lorsque nous avions été à la création, j’avais constaté que certains responsables venaient directement des éditions Casterman qui connaissaient alors quelques grosses difficultés… Louis Delas, qui lui aussi venait de chez Casterman, avait tenté une union Casterman/Ecole des Loisirs. Cela n’avait pas pu se faire – opposition de Gallimard – et Louis Delas avait démissionné de Casterman pour la maison L’école des Loisirs – que dirigeait son père – et où il voulait mettre en place une structure bandes dessinées… Quatre fidèles le suivaient dont Nadia Gibert et Rue de Sèvre apparaissait…

Etait-ce suffisant pour réussir ? Le marché allait-il laisser un petit entrer dans la danse ? Les auteurs de qualité suivraient-ils ? Toutes ces questions m’habitaient quand je suis entré dans la salle de conférence…

Première surprise ou remarque, il y a beaucoup de monde à cette conférence de presse, beaucoup plus qu’au lancement, presque autant que pour celle très prisée de Guy Delcourt. Deuxième chose qui saute aux yeux, de très grands auteurs sont là, certains sont déjà au catalogue de Rue de Sèvres, d’autre non… Jirô Taniguchi est là, Jacques Ferrandez, Tiburce Oger, Lewis Trondheim, Jérémie Moreau, Matz…

Deuxième point à mettre en valeur : contrairement à d’autres maisons d’éditions, la présentation des ouvrages à venir n’est pas le fait des éditeurs, mais bien des auteurs interviewés par leurs éditeurs. Ici, c’est l’auteur qui est au cœur de l’activité. Il est choyé, respecté, protégé, stimulé, aimé… tout simplement !

Et c’est ainsi que nous avons ce moment bien sympathique et chaleureux avec un Taniguchi sur scène qui dialogue avec son éditrice Nadia Gibert. C’est tout en finesse, en délicatesse, en respect mutuel… Il s’agit, au-delà de l’exposition qui lui est consacrée cette année à Angoulême, de parler de son dernier livre, publié chez Rue de Sèvres, Elle s’appelait Tomoji. C’est la vie d’une femme, de sa naissance à son mariage, une femme qui a bien existé puisqu’elle est la co-fondatrice d’une branche du bouddhisme prisée par l’épouse de Taniguchi lui-même. Mais au lieu de faire de l’hagiographie, il a pris appui sur la vie de cette femme pour raconter la société rurale japonaise entre les deux guerres mondiales… Nous reviendrons sur l’album lui-même plus tard, mais l’entretien ce soir-là éclipse tout le reste tant l’émotion est forte, tant la parole est pure, tant on sent entre l’éditrice et « son » auteur une relation profonde, vraie, amicale… Nadia fait le spectacle en terminant par trois phrases en japonais car depuis qu’ils travaillent ensemble – elle fut son éditrice chez Casterman – ils ne dialoguent qu’à travers une interprète…

Merci pour cette émotion et franchement, ce ne sera pas une offense à tous les autres si je dis que tout le reste de la soirée j’étais comme sur un petit nuage… et j’avais bien sûr au cœur l’unique fois où j’avais pu parler quelques minutes, là aussi avec interprète, avec Taniguchi, dans les locaux de chez Casterman…

Mais cela ne m’a pas empêché de prendre beaucoup de plaisir à écouter les autres auteurs et même à prolonger la discussion avec Tiburce Oger durant la soirée…

Encore une bien belle soirée, une journée riche en rencontres multiples et il était temps, dès lors, d’aller se coucher pour être prêt à aborder ce qui allait être la journée la plus chargée de notre festival d’Angoulême 2015…

(A suivre)

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