Angoulême 2013 – Rencontre avec Jean-François Cellier

Lors du 40ème Festival de la Bande Dessinée d’Angoulême, nous avons eu le plaisir de rencontrer Jean-François Cellier, dessinateur de Jeanne la Pucelle. Ce premier tome, intitulé Entre les bêtes et les anges rencontre un franc succès auprès du grand public et a remporté le prix de la BD Chrétienne.

Shelton: Vous êtes le dessinateur de cette bande-dessinée, Jeanne la Pucelle. Le tome 1 vient de sortir aux éditions Soleil. Comment rentre-t-on dans un tel projet ? Y-a-t-il eu des rencontres en amont avec le scénariste ?

Jean-François Cellier: Là, c’est plutôt le sujet qui est rentré en moi. Ça m’a un peu dépassé. C’est un film de Jacques Rivet, Jeanne la Pucelle, qui m’a traversé et qui m’a fait découvrir Jeanne d’Arc de façon plus fine. Tout le monde connaît Jeanne d’Arc, mais ce film m’a aidé à la découvrir plus en subtilité, plus en profondeur et notamment sa parole à travers le procès et le procès de réhabilitation.

Shelton: Il est vrai que nous avons cette chance d’avoir toutes ces paroles sur Jeanne d’Arc, retranscrites par des gens n’étant pas forcément de son côté.

Jean-François Cellier: C’est cela qui rend le témoignage crédible et touchant. On a le témoignage des loyalistes et surtout, des contemporains de Jeanne d’Arc. Et puis, on a le témoignage des opposants et des anglais. Des témoignages qui à la fois parfois s’opposent mais, en même temps, qui parlent du même personnage.

Shelton: Vous étiez habité par ça mais avant d’arriver à la bande dessinée, comment cela s’est-il construit ? Jeanne d’Arc étant un sujet sur lequel on a déjà beaucoup écrit…

Jean-François Cellier: Oui, c’est vrai. Il y a eu beaucoup de choses. Je suis aux éditions Soleil depuis une dizaine d’années déjà. J’avais fait Les Maîtres du Hasard, Alice. Alice, c’est un peu particulier parce que déjà il y a l’ombre de Jeanne d’Arc qui se faufile. On peut y voir la statue de Jeanne d’Arc sur la couverture. D’ailleurs, pour la petite histoire, il s’agit de la statue de Paul Dubois qui était à côté de chez moi à Strasbourg et je m’en suis inspiré pour la couverture. Et c’est de cette même statue que nous nous sommes inspirés avec le scénariste. Et puis, le désir était déjà de faire une bande dessinée sur Jeanne d’Arc. J’ai ensuite rencontré Fabrice Hadjadj, en le contactant, en lui écrivant et surtout en lui envoyant l’album Alice qui m’a pris 5 ans et qui l’a convaincu de travailler avec moi.

Shelton: Quand on lit cet album, on se dit que ce n’est pas tout à fait comme d’habitude. On voit très vite Jeanne d’Arc adolescente, post-adolescente et combattante. Vous avez ici décidé de la montrer toute petite, de montrer la genèse du personnage. Comment en arrive-t-on là ? Est-ce un choix délibéré et voulu d’évoquer tout cela ?

Jean-François Cellier: Oui. Evidemment, on ne connaît pas grand-chose de l’enfance de Jeanne d’Arc. Elle en parle un petit peu pendant le procès : elle parle de ces moments où elle dansait autour de l’arbre aux fées, des premières voix qu’elle a entendus à 13 ans. On a un peu extrapolé et imaginé son enfant, ce qui était important pour nous qui voulions l’incarner. Il fallait que Jeanne d’Arc fût aussi une petite fille. Elle n’est pas uniquement Jeanne d’Arc dans son épopée, dans son parcours guerrier. Elle a aussi été une petite fille. Je pense que déjà en gestation apparaît la Jeanne d’Arc que l’on connaît tous.

Shelton: Dans ce premier album, on voit en tous cas que vous avez pris le parti réel de matérialiser les voix comme elle le raconte elle, ce qui n’est pas toujours fait par les gens. Etait-ce un choix ?

Jean-François Cellier: Oui, vous touchez au fond de l’histoire. J’ai proposé plusieurs scénarios que j’avais déjà écrits à Fabrice dans lesquelles j’avais choisi de ne pas matérialiser les voix. Au fond, je tendais vers une Jeanne d’Arc un peu saint-sulpicienne, un peu transparente. Fabrice Hadjadj est juif de tradition, c’est quelqu’un d’assez incarné, de très attaché. Cela apparaît d’ailleurs dans ses livres dans lesquels il parle de la chair. Lorsque l’on a voulu représenter l’archange Saint-Michel, il m’a dit qu’il fallait utiliser les moyens qui sont propres à la bande dessinée, donc l’image, mais aussi toute la tradition catholique à travers ses vitraux, sa peinture. Et les anges y sont représentés comme des êtres de chair. Par contre, nous nous sommes arrangés pour ne pas montrer son visage. Le visage est peut être trop éloquent, il y a quelque chose de trop fort dans un visage. Or, on ne sait pas quel âge ont les anges.

Shelton: Il y a un autre point très intéressant. Il y a une incarnation des personnages : il y a des planches où il y a énormément de visages, de rencontres, de gros plans… une volonté de montrer des sentiments à travers ces personnages et pas forcément des mots intellectuels ou historiques.

Jean-François Cellier: Tout à fait. Je me permets de faire un petit aparté et revenir sur l’archange: c’est le pivot de l’histoire. Au milieu de l’album, on utilise même les deux pages de l’album comme les ailes de l’ange. On ouvre les ailes de l’ange comme on ouvre les deux pages. Je ferme la parenthèse. Concernant les visages, je ne voulais pas les faire. Je n’étais pas très à l’aise et je préfère les plans d’ensemble, les détails. Fabrice Hadjadj pensait quant à lui que c’était important. On traite de la rumeur, on traite de la parole qui circule. C’est une rumeur qui se fait et se défait. Il fallait donc des bouches, presque des postillons, il fallait des haleines… des choses qui soient encore plus incarnées et qui se réfère à la parole. C’est pour cela que nous avons fait des gros plans sur cette scène.

Shelton: Avec un tel personnage si souvent utilisé par la République, par l’Extrême Droite, par les Chrétiens et les anti-Chrétiens, nous avons l’impression dans cet album que vous avez décidé de donner la parole à Jeanne et non à ceux qui parlent d’elle…

Jean-François Cellier: Vous avez tout dit. Pour incarner le personnage, on s’est attaché à la montrer dans son enfance, dans sa parole, dans son discours en essayant d’évacuer toutes les fioritures qui se sont accumulées autour de son image et de son histoire.

Shelton: Pour qu’elle existe et qu’elle vive, il faut qu’elle soit incarnée dans sa terre et elle est Lorraine. On le sent puisque vous nous montrez son environnement familial, son village, la terre… c’est un personnage d’un terroir avec un retentissement plus tard, au-delà de cet album. Est-ce fascinant d’avoir un personnage qui semble échapper à tout, y compris à elle-même ?

Jean-François Cellier: Elle échappe à elle-même et c’est ce qui la rend touchante. Tout ce qu’elle fait, tout ce qui va la mouvoir, tout ce qui va la faire connaître, c’est toujours quelque chose qui la dépasse, qui la traverse. Elle ne concède jamais d’elle-même. C’est quelqu’un de très volontaire, avec un fort caractère et qui je pense ne doute pas. Elle se reçoit de Dieu, du roi, des autres mais pas trop d’elle-même. D’autres figures historiques se sont plutôt faite à la force du poignet. Jeanne d’Arc est rendue subversive par son obéissante. Elle obéit au roi, aux voix qu’elle entend et au Dieu en qui elle croit.

Shelton: Cela vous touche-t-il que des Chrétiens, des critiques d’une sphère humaniste judéo-chrétienne s’intéressent à ce type de BD et souhaitent la mettre en avant ?

Jean-François Cellier: Oui. C’est étonnant parce que l’on a reçu le prix de la BD chrétienne. Je dédicace à la fois dans le domaine catholique et dans le stand Soleil, qui n’a aucune attache religieuse. Je suis surpris de voir que les gens à qui je dédicace l’album, qu’ils soient croyants ou pas, sont assez simples et avides de découvrir ce personnage. Je n’ai eu aucune polémique avec qui que ce soit, ni de discussion houleuse. Pourtant, je pense qu’il y a toutes les sympathies, toutes les sensibilités. Mais, je suis bien évidemment obligé d’évoquer la foi catholique. Et cela ne gêne pas du tout, bien au contraire.

Shelton: C’est aussi très curieux de voir cette réception… La III° République est quasiment née avec Jeanne d’Arc comme porte-parole… Au XX° siècle, elle est encore un modèle et au XXI° nous avons encore envie de l’écouter…

Jean-François Cellier: Je dis souvent ça en dédicace. Elle est d’actualité car elle réconcilie beaucoup de choses. Sur le plan politique et social, elle réconcilie le monde paysans et le monde aristocratique. Ce n’est pas un personnage façon « lutte des classes » qui est révolté contre les injustices. Et cela fait du bien je trouve. Elle réconcilie même des concepts : la foi et la raison. C’est quelqu’un qui a une immense foi et qui est pourtant très rationnelle, très pragmatique, qui a beaucoup d’humour. Les auditeurs auront l’occasion de lire le procès dans lequel il y a beaucoup d’humour. Elle réconcilie l’humilité et la puissance. On pense souvent que quelqu’un de puissant ne peut être humble. Jeanne d’Arc fait figure d’autorité et c’est quelqu’un qui se reçoit toujours des autres et est, de fait, humble. Aujourd’hui, elle est très éloquente. C’est un témoignage qui fait du bien.

Shelton: Combien d’albums sont prévus au total?

Jean-François Cellier: On a prévu trois albums. Pour parler de Jeanne d’Arc, il en faudrait 20. Mais, pour essayer de toucher à la fulgurance de son histoire qui se fait en deux ans à peine, je pense que trois albums sont nécessaires. Cela nous contraint d’être le plus efficace possible. Vite et bien.

 

Sandrine.

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