D’Azincourt à aujourd’hui, l’histoire pour comprendre le présent…

2015 vient de se refermer et avec elle un certain nombre de célébrations liées à des grandes batailles : Azincourt (1415), Marignan (1515) et Waterloo (1815). Je ne reviendrai pas sur la dernière qui fut de loin la plus médiatique car Napoléon a gardé dans les mémoires françaises une place particulière même si ce n’est pas toujours très rationnel…Azincourt est certainement la moins connue des trois. Pour ceux de ma génération, c’était l’occasion d’entendre que la chevalerie française s’était fait décimer par les archers anglais. Un des hauts faits de la guerre de 100 ans, une défaite mémorable qui a eu pour conséquence la perte de 6000 chevaliers français dont le connétable, Charles 1er d’Albret. La noblesse du royaume est décimée, plusieurs princes de sang sont tués, d’autres prisonniers…

Mais cette bataille est porteuse d’espérances car c’est à partir de ce moment-là que les Français comprennent qu’il faut abandonner cette chevalerie trop vulnérable pour investir dans les armes de jet à longue distance. C’est la naissance de l’artillerie qui fera la gloire des armées françaises de Marignan aux campagnes napoléoniennes… De l’arquebuse à la pièce d’artillerie, tout un changement de perception de la bataille…

Cette défaite dramatique porte aussi les germes de la révolte qui va permettre à Jeanne d’Arc d’infliger aux Anglais de beaux revers, pas tant au niveau militaire à proprement parler, plutôt en montrant que les Français étaient capables de relever la tête… Après l’humiliation, la révolte ! C’est bien à ce titre que cette défaite d’Azincourt est une défaite qui entraine des victoires même si c’est paradoxal, même si la guerre reste toujours un drame humain, avec ou sans victoire !Marignan, c’est bien autre chose. Nous ne sommes plus sur le sol de France, nous ne sommes plus dans un conflit qui met en cause notre intégrité territoriale (même si cette expression est un peu décalée par rapport aux réalités étatiques de cette époque) mais dans une guerre de conquête. Charles VIII est parti à la conquête du royaume de Naples dont il pense que les droits d’accession au pouvoir de sa famille sont légitimes. Il imagine aussi que cela permettrait à terme de rétablir un chemin vers la Terre Sainte pour les pèlerins catholiques… Mais pour cela il faut vaincre plus d’une réticence, celles de tous ceux qui ont des intérêts sur la Péninsule… Empereur, pape, villes italiennes qui sont presque toutes indépendantes et rivales…Charles VIII ne viendra pas à bout de cette affaire, Louis XII non plus et c’est ainsi qu’arrive le jeune roi François 1er !Ce jeune monarque de 21 ans va battre des soldats suisses égarés loin de chez eux pour des raisons financières. Les Français étaient près de 40000 avec une puissante artillerie, leurs ennemis moins nombreux, moins bien équipés et, pourtant, sans l’intervention in extremis des Vénitiens c’eut pu être une terrible défaite… En deux jours, en septembre 1515, il y eut sur le champ de bataille près de 16000 morts !Quant aux conséquences politiques, militaires et diplomatiques de cette bataille, elles furent presque nulles… si ce n’est que le jeune roi sut parfaitement communiquer et fit de cette tuerie une page de son histoire qui lui survivra bien puisque aujourd’hui encore pour beaucoup de Français, Marignan, 1515 est une date connue !Pourquoi parler maintenant de ces deux batailles d’Azincourt et de Marignan ? 2015 s’est terminée sur une note guerrière, la France reconnaissait être en conflit avec l’Etat Islamique. Certains veulent même que cet état de guerre soit encore accentué, que l’on rétablisse le service national, que les lois soient durcies, que le budget de la Défense Nationale soit augmenté… La lecture des évènements passés, la compréhension des batailles d’autrefois – Azincourt et Marignan par exemple – tout cela doit nous faire comprendre que la guerre n’est jamais une bonne chose, que chaque bataille entraine un grand nombre de morts et que les va-t’en guerre de toutes sortes ne sont jamais ceux qui arpentent les champs de bataille en y perdant la vie…Les plus belles victoires sont les moments où les diplomates ont réussi à éviter les guerres sanglantes sans pour autant renier les valeurs qui portaient notre pays tandis que les boucheries inutiles sans lendemain ne mettaient jamais à l’honneur les hommes qui les avaient déclenchées…

Alors, me direz-vous, que faudrait-il faire ? L’histoire ne donne pas toujours les solutions clairement mais elle montre que certains chemins sont mauvais… Les pays occidentaux se sont toujours fourvoyés avec les pays du Moyen-Orient et, avant de bombarder sans objectif réel l’Etat Islamique, il faudrait réfléchir aux questions suivantes : qui est notre allié dans cette région ? Où sont nos amis ? Quel avenir pour ces populations ? Comment aider au retour d’une paix durable ? Et on pourrait continuer ainsi assez longtemps la liste des interrogations incontournables pour construire une politique solide dans cette région, une politique qui ne serait pas basée que sur nos intérêts à court terme, que sur l’envie de faire plaisir aux Américains, que sur l’exigence des industriels du pétrole…

Quel est notre allié sur place ? L’Arabie Saoudite qui vient d’exécuter 47 opposants au roi ?

Oui, je sais que cela nous a éloignés quelque peu de nos batailles d’Azincourt et Marignan mais l’histoire doit être l’occasion de se pencher sur le présent sinon cela n’a aucun sens…

Quelques ouvrages pour aller plus loin :

Marignan, 1515, Didier Le Fur, 2004, Editions Perrin

Azincourt, 1415, Dominique Paladilhe, 2015, Editions Perrin

Nouvelle histoire de France, Jacques Marseille, 1999, Editions Perrin

François 1er, Jean Jacquart, 1981, Editions Fayard

Louis XII, Bernard Quilliet, 1986, Editions Fayard

François 1er ou le rêve italien, Jack Lang, 1997, Editions Perrin

Charles VIII, Yvonne Labande-Mailfert, 1986, Editions Fayard

François 1er, Didier Le Fur, 2015, Editions Perrin

François 1er et la Renaissance, Gonzague Saint-Bris, 2010, Editions Télémaque

François 1er, Max Gallo, 2014, Editions XO

Enfin, pour ceux qui souhaiteraient aller plus loin dans une réflexion sur la guerre, je leur conseille Dix thèses sur la guerre d’Elie Barnavi publié chez Flammarion. Ce livre écrit par un Israélien qui sait bien ce qu’est la guerre se conclut par une phrase à méditer tous les jours un peu plus profondément :

« Ainsi, un monde organisé en démocraties libérales devrait pouvoir mettre effectivement la guerre « hors la loi », ou du moins hors usage. Utopie ? Peut-être. Mais une utopie, pour une fois, à notre portée. »

Les commentaires sont fermés.