Chalon dans la rue sous haute tension…

Le festival transnational des arts de la rue de Chalon-sur-Saône – on dit généralement Chalon dans la rue – a commencé hier soir, mercredi 23 juillet 2014. Je dis bien commencé et non comme d’habitude a été ouvert officiellement car la cérémonie d’ouverture a été quelque peu chahutée par les intermittents du spectacle… à tel point que le maire de Chalon-sur-Saône, Gilles Platret, n’a pu prendre la parole muselé par les techniciens et artistes en colère !

Gilles Platret, maire de Chalon-sur-Saône, et Pedro Garcia, directeur du festival Chalon dans la rue

La grève a été votée lors d’une assemblée générale – 75% se sont exprimés pour la grève lors de la première journée du festival, journée du jeudi – ce qui d’ailleurs ne signifie pas une absence totale de spectacle mais plutôt une incertitude réelle avec des annulations, des spectacles coupés, des extraits… Grande tristesse pour le public, mais aussi pour les compagnies et artistes…

 

Le public ? Hier, durant l’inauguration houleuse, j’étais à côté d’une famille – papa, maman, deux enfants adolescents – qui venaient de Lille et qui participaient à ce festival pour la première fois. Ils ont pris un gite, ils sont venus dès samedi dernier pour prendre la mesure de la ville, visiter les richesses locales, déguster le vin célèbre de la côte chalonnaise… Ce sont leurs vacances qui sont en jeu ! Ils sont là en train de se dire et s’il n’y a pas de spectacle, qu’est-ce que l’on va bien pouvoir faire ? Et ils ne sont pas les seuls… tandis que les chalonnais comme moi peuvent au moins rentrer chez eux prendre un livre et lire…

Mais si cette famille festivalière est inquiète – on peut le comprendre – les intermittents du spectacle ont le sentiment d’être abandonnés, pas l’espace d’un festival, mais pour le restant de leur vie. Je ne veux pas traiter ici de tout ce dossier complexe des intermittents ni de toutes les difficultés de tous les précaires du monde du travail car ce dossier concerne aussi les intérimaires de toute nature comme ils le disent lors de leurs interventions publiques.

 

Pour ceux qui ne connaissent pas le dossier, pour ceux qui sont persuadés que les intermittents sont des fainéants qui encaissent de l’argent toute l’année sans travailler, pour ceux qui prétendent que ce sont les intermittents qui creusent le trou des caisses de chômage, je voudrais raconter une petite histoire vraie d’une modeste troupe de marionnettistes… Il était une fois, une grande ville qui organisait une semaine spéciale marionnettes. Elle chercha les troupes professionnelles spécialisées dans cet art narratif et trouva sans trop de difficultés la troupe en question. Elle lui demanda, que dis-je, lui commanda, une création pour une date donnée. Il fallait une création, donc pour cela elle mit en place une semaine de résidence. Une résidence est une période où la troupe vient travailler sur place et pendant laquelle tous les intermittents présents et indispensables à la création sont payés. Une semaine de travail et une création, où est le problème me direz-vous ?

En fait, la ville paye « royalement » une semaine de travail mais la création a duré plus, beaucoup plus que cela, et sans financement. Car nos intermittents ont écrit le texte de la pièce avant d’arriver, ce qui signifie : une idée transformée en texte – un peu comme un conte – par une personne de la troupe. Le texte est corrigé, puis donné aux autres membres de la troupe qui font des remarques, proposent des amendements, jusqu’au moment où le texte convient à tous. A partir de ce moment-là, l’auteure qui est aussi la scénographe, dessine des planches d’illustrations pour donner un cadre, une consistance, une chaire, une incarnation à cette histoire. C’est là que va commencer la semaine de résidence : découpage du texte, réalisation des marionnettes et décors, manipulation des marionnettes, répétition du spectacle avec lumière, son… Une semaine n’a pas suffi pour cela. Il fallut enchainer encore quatre jours et tout cela sans aucune journée de pose mais sans être payé plus, la résidence n’était que d’une semaine… Et, enfin, le spectacle fut joué dans cette semaine entièrement consacrée à la marionnette ! Le régime des intermittents du spectacle c’est cela : pour un jour travaillé et payé – généralement sur les bases du salaire minimal, ne rêvez pas – il faut presque en compter deux travaillés et non payés ! Donc, contrairement à certaines affirmations ou idées reçues, l’intermittent travaille en fait beaucoup plus que d’autres et le régime spécial permet de corriger quelque peu ce qui est parfois une injustice… Mais le public n’y pense pas toujours – encore qu’hier lors de cette cérémonie de non ouverture il y avait de très nombreux spectateurs solidaires – et les commanditaires de spectacles – je pense là en particulier à certaines collectivités territoriales – ne cherchent qu’à payer au moins cher les spectacles les plus aboutis, les plus spectaculaires, les plus originaux…

 

Mais, peut-être que certains préfèreraient une société, une vie sans spectacle, sans artiste ? Pas moi ! Je suis de ceux qui seront là pour guetter toute la journée les spectacles joués, qui soutiendront les artistes, qui pousseront les pouvoirs publics à trouver une solution juste et équitable avec tous ces travailleurs qui ne peuvent pas travailler en continu mais qui ont pour autant le droit de vivre décemment !

Répétition générale d’Opéra Mobile

Je ne dis pas pour autant qu’il n’y a pas quelques abus. Oui, certains, en particulier des grosses entreprises médiatiques, ont utilisé le régime des intermittents du spectacle pour financer ce qu’elles auraient dû prendre en charge, mais, à ce que je sache, quand un conducteur dépasse la vitesse autorisé sur une route, est-ce que l’on ferme la route, est-ce que l’on interdit à tous les conducteurs de rouler ? Il est donc urgent de reprendre ce dossier en toute honnêteté, il n’est jamais trop tard, mais il faut le faire dans le respect de tous !

 

En attendant, bon festival à tous, y compris à toutes ces compagnies qui ne roulent pas sur l’or et qui sont venues présenter le travail de ces « maudits intermittents » à un public qui n’attend que cela et aux commanditaires qui viennent là faire leur marché…

 

Que le spectacle continue ! Show must go on !

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