Bilan BD, 4ème volet

L’avantage de chroniquer la bande dessinée c’est que l’on finit par aborder en une année tous les sujets de société, tous les thèmes de la vie, tous les aspects de cette humanité, les bons comme les mauvais… Alors, en 2018, il fut question plus d’une fois de la migration des peuples… Pour aborder ce sujet, j’ai retenu deux albums différents mais de qualité, L’Odyssée d’Hakim de Fabien Toulmé et Humains : la Roya est un fleuve de Baudoin et Troubs.Oui, je sais bien que pour beaucoup de Français la question des migrants est une question simple : y a qu’à, il suffit de, on devrait, pourquoi ce manque de fermeté, c’est la faute de l’Europe… Et une fois que cela est dit, on a bonne conscience et on fait cuire son diner…

Je sais bien que c’est trop facile de critiquer ces positionnements simplistes avec des mots. Je sais bien que je ne vais rien changer avec ma chronique et que des milliers de migrants vont continuer à souffrir, être rejetés, exploités, parqués, refoulés et rejetés à la mer, renvoyés chez eux et, pour certains, la mort surviendra durant cette grande migration ou en rentrant chez eux… Et nous ne voulons pas le voir ! Et c’est là, la première force et richesse de l’ouvrage de Baudoin et Troubs, « Humains, la Roya est un fleuve » : ce livre montre et permet de voir ceux que l’on appelle les migrants. Ici, ils sont d’abord Bashar, Mohamed, Adam Sidik… Ce sont des humains, de simples humains qui entrent chez vous et se posent… Fabien Toulmé, lui, va interviewer, longuement, un Syrien pour le comprendre, pour mesurer tout ce qu’il a vécu, enduré, souffert… et il restitue cela sans pathos, avec objectivité, tout simplement…Ces livres ne sont pas des ouvrages d’intellectuels ou de politiques qui voudraient nous faire comprendre, nous convaincre, nous motiver, nous pousser à… Non, juste nous montrer les visages de ces êtres humains qui tentent d’échapper à la violence, à la dictature, à la guerre, à l’injustice, à la misère, au climat défavorable… Ces êtres humains ont souvent un rêve, une envie, une espérance… Retrouver le bonheur quelque part sur cette planète…

Edmond Baudoin à Saint-Malo

Baudoin et Troups sont allés sur place, dans cette vallée dont on parle beaucoup depuis quelques années, celle de la Roya… Un petit fleuve côtier qui naît en France et va jusqu’à Vintimille… Un passage entre la France et l’Italie… Oui, ces migrants cherchent à poursuivre leur voyage, leur errance et, pour cela, doivent passer la frontière entre la France et l’Italie…

En arrivant dans cette vallée, les auteurs découvrent d’autres être humains… Ils se nomment Cédric, Isabelle, Alex, Enzo, Jacques… Ils n’ont pas tous les mêmes motivations, ni le même âge, ils viennent d’un peu partout et se comportent juste en humains… Ils aident des humains qui souffrent… Parfois c’est un repas chaud, dans d’autres cas c’est une escale de deux ou trois jours, ou une aide pour remplir des dossiers administratifs, enfin, c’est aussi un accueil définitif pour aider ceux qui viennent encore…

Fabien Toulmé, lui, est resté chez lui mais il a offert le thé à ce Hakim, au fur et à mesure des rencontres, la confiance s’est établie, tout a été dit, sans ombre… Finalement, Hakim était juste un jeune Syrien, comme les autres… Il avait envie de construire sa vie, d’avoir un métier, une famille et de rester en contact avec ses parents, ses proches… et ce n’est pas lui qui a choisi de se mettre sur les routes de l’exil via la Jordanie, le Liban, la Turquie…

Les auteurs ne recherchent pas des arguments, ne cherchent pas à nous attendrir ou nous émouvoir, ils nous montrent des femmes et ces hommes qui se rencontrent dans cette vallée, qui s’écoutent dans un appartement français loin des combats de Syrie… Ils les dessinent pour que l’on ne les oublie pas, qu’ils survivent quoi qu’il arrive…

Ces albums de bande dessinée sont des récits pas des fictions, des témoignages pas de l’esthétique, une mémoire vivante pas un souvenir figé… Ceux qui aident ces migrants sont venus du monde entier, chacun donne ce qu’il peut, certains venus quelques jours n’arrivent pas à repartir et restent beaucoup plus longtemps… Fabien Toulmé ne savait pas comment les aider, il leur donne son crayon, ses oreilles, sa voix…

Ce travail de Baudoin et Troubs et cet album de Fabien Toulmé, sont magnifiquement et profondément humains aussi. Pour faire parler les humains en errance, ils proposent un échange simple : quelques mots contre un dessin, un livre contre un dialogue… Et cela fonctionne, certaines langues se délient, on mesure certaines souffrances, on perçoit les désirs les plus profonds, on a envie de tendre la main, nous aussi… Après tout, nous sommes humains aussi, non ?

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