Les fils de Wang Lung
de Pearl Buck

critiqué par Myrco, le 3 août 2019
(village de l'Orne - 74 ans)


La note:  étoiles
Le seigneur de guerre
Ce deuxième volet de la "Trilogie de la terre chinoise" (*) débute par la mort de Wang Lung. Ses deux fils Wang l'Aîné et Wang le Marchand n'auront pas lésiné pour lui offrir un superbe enterrement à la mesure de son statut social acquis. Pearl Buck en profite pour nous instruire sur les rituels et coutumes de deuil de la Chine ancienne. Cette circonstance marque le retour, pour assister aux funérailles, du plus jeune des fils, celui qui avait grandi dans la haine de son père et de la terre à laquelle il le destinait, parti guerroyer dix ans plus tôt à l'âge de dix-huit ans, et dont les motivations de rupture restées un peu floues pour le lecteur se préciseront ici.

Dès lors, libéré du joug patriarcal," chacun des trois frères aspirait à l'heure où l'héritage serait partagé ", trois frères que tout différencie et dont les projets divergent quant à son usage, projets qui nécessiteront la vente d'une grande partie des terres dont le père avait fait toute sa vie: illustration amère de la trahison des géniteurs par leur progéniture.

Si le roman permet d'affiner la personnalité des deux aînés et réserve au début en particulier quelques scènes cocasses entre leurs épouses respectives issues de milieux très différents, la suite va se focaliser assez vite sur le parcours du troisième fils, renvoyant les autres à l'arrière plan.
Au travers de celui-ci, Pearl Buck a en effet choisi de mettre en lumière un aspect important de la Chine de cette époque (nous sommes au début du XXème siècle): les fameux seigneurs de guerre qui dans un contexte de délitement du pouvoir central (fin de la dynastie des Qing) maintenaient sous leur emprise des portions de territoire plus ou moins importantes, taxant le peuple pour subvenir aux besoins de leurs armées personnelles et de leurs besoins propres, souvent au nom de la protection de ces mêmes populations contre les bandes de brigands qui sévissaient alors.

Depuis très jeune, nourri de lectures classiques de récits guerriers (on suppose notamment celle des "Trois royaumes", œuvre dont Pearl Buck a d'ailleurs fait une traduction), celui que ses troupes nommeront Wang le Tigre a conçu le rêve de devenir l'un d'eux. Personnalité énergique, charismatique, austère, doté de qualités de commandement indéniables et d'une ambition sans limites, confiant en sa destinée, son héritage va désormais lui permettre de réaliser ce rêve.
De ce parcours ascensionnel, l'auteure nous livre les étapes les unes après les autres dans un roman fertile en épisodes et rebondissements auquel le sujet confère une tonalité plus rude aux accents souvent épiques qui rompt avec celle du premier volet.
Néanmoins, Pearl Buck fait de ce personnage un représentant un peu en marge de sa catégorie dans la mesure où elle préserve en lui, sous des aspects nécessairement violents et impitoyables, à la fois des principes éthiques affirmés et une nature profonde relativement compassionnelle qu'il n'a de cesse d'endurcir: profil contrasté propre à éviter un rejet total du lecteur.
A noter que la figure de Fleur de Poirier, deuxième concubine du père, figure attachante par la pureté de ses sentiments et sa fidélité absolue au souvenir et à l'héritage moral du défunt introduit un peu de douceur dans ce tumulte.

En marge sont évoqués d'autres aspects qui alimentent ce tableau de la Chine de l'époque comme l'opposition des mentalités entre le nord et le sud, la corruption qui gangrène tous les niveaux de l'administration, le poids du patriarcat et ses conséquences parfois tragiques sur le destin des enfants...et les signes annonciateurs d'une mutation qui menace l'ordre ancien: l'épisode des paysans-voleurs annonce une autre guerre, celle du peuple, en même temps que souffle un vent de liberté dans les nouvelles générations qui se révoltent contre les mariages arrangés (on pense à la trilogie de Pa Kin "Torrent").


A suivre avec le dernier volet " La famille dispersée".

(*)voir la critique du premier volet intitulé "La terre chinoise":
https://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/17981
Second tome de la trilogie « La terre chinoise » 8 étoiles

La trilogie La terre chinoise fut écrite par Pearl Buck entre 1931 et 1935. Elle est composée de :
- La terre chinoise (1931)
- Les fils de Wang Lung (1932)
- La famille dispersée (1935)

Seul Vent d’Est, vent d’Ouest l’a précédé (1930) dans la longue liste des romans qu’elle a consacré à la Chine. Toute son enfance, qu’elle a passée en Chine puis onze ans de sa vie de jeune femme mariée, toujours en Chine, en ont fait un témoin privilégié de ce monstre de pays avant qu’il fasse sa mue puis au début de sa mue …
Les évènements racontés dans cette trilogie ne sont pas formellement datés mais, écrits au début des années 30, on peut considérer sans risque que la situation décrite se situe entre fin du XIXème siècle et tout début du XXème siècle, 1900 – 1920 disons … Une époque où la Chine vit largement encore de manière féodale, une époque qu’a connu Pearl Buck puisqu’elle été élevée en Chine à cette époque.
D’une certaine manière, chacun des trois tomes aborde un aspect particulier de cette société chinoise du début du XXème siècle :
La terre chinoise est centrée sur la vie des paysans, quasi esclaves, dans cette Chine féodale,
Les fils de Wang Lung sur le phénomène des « Seigneurs de guerre »,
et La famille dispersée sur les grands centres urbains du sud, où cohabitent également des Occidentaux, et la révolution qui monte.
Les fils de Wang Lung
Avec Les fils de Wang Lung, nous quittons la plèbe rurale, quasi esclave et miséreuse, pour nous intéresser à la bourgeoisie de province de l’époque, et même aux seigneurs de guerre. C’est, qu’en effet, les efforts de Wang Lung (et d’O-len) pour améliorer le sort de leurs fils ont porté leurs fruits. Quand Wang Lung meurt au début de ce tome, Wang l’aîné et Wang le marchand sont des personnes importantes de la petite ville, chacun avec leurs personnalités différentes, l’un plutôt jouisseur, l’autre plutôt « amasseur de fortune ». Chacun dotée de femmes là encore aux antipodes l’une de l’autre, l’une issue de la bonne société et imbue de sa personne et l’autre laborieuse en diable. Pearl Buck va beaucoup jouer de ces antagonismes pour nous raconter le quotidien d’une petite ville chinoise de cette époque. A ce titre elle fait quasiment œuvre d’historienne !
Mais voilà que le fils cadet, qui avait disparu de la circulation, va refaire surface en homme d’armes qu’il est devenu, guerrier et même plus puisqu’il n’aura de cesse de tout faire pour devenir un « seigneur de guerre ».
L’Empire chinois est tellement en décomposition alors que l’autorité de manière générale (perception des impôts, sécurité de la population, …) est assurée par des soldats, qui ont pu lever une petite armée et prendre l’emprise sur une ville, une région. Il ne s’agit bien entendu pas d’un mandat officiel mais d’un état des choses autoproclamé dans la droite ligne de « la loi du plus fort » (qui n’est pas forcément la meilleure comme chacun sait !).
C’est ainsi que Wang le Tigre, après avoir fait ses armes auprès d’un seigneur de guerre, et l’avoir vaincu, en devient un lui-même et devient le membre le plus important de la suite de la trilogie. Il prend l’ascendant sur ses frères (ah, les armes !) et va avoir un fils Yuan, qui va avoir dans ses relations avec son tigre de père le rôle le plus important de la suite : La famille dispersée.
Pearl Buck nous décrit donc la résistible ascension de Wang le Tigre et sa prévisible déchéance. La terre est loin !

Tistou - - 67 ans - 26 février 2020


Le roi est mort ! 7 étoiles

Wang-Lung, le vieux patriarche est mort.
Ses biens sont répartis à ses trois fils : la moitié pour l'aîné, le reste pour le cadet et le benjamin.
Fils n°1 vivra sans trop rien faire, que de fréquenter les maisons de thé avec des femmes faciles. Fils n°2, lui est tout l'inverse. Calculateur, économe il bâtit un négoce florissant. Quant à Wang III, il quitte le pays. Il rêve d'être chef de guerre, car la Chine vit sous le règne de ces hordes souvent sanguinaires.
La guerre est une tradition, on guerroie pour n'importe quel motif. Il faut des hommes, de l'argent, des armes et de la nourriture pour entretenir les armées. Le troisième fils est impressionnant et on le nomme Wang le tigre
C'est autour de lui que ce second volet de la trilogie s'articule.
La fin laisse présager qu'une guerre d'un genre nouveau se profile, la Chine se réveille, les petits laissés pour compte commencent à se rebeller sur ses grands Seigneurs qui ont tout pouvoir.

Quelques 440 pages agréables à lire, l’œil du lecteur de l'époque d'internet lit des passages qui peuvent paraître naïfs mais ce texte sera bientôt centenaire et je devine l'émoi qu'il a dû provoquer lors de sa parution.

Monocle - tournai - 64 ans - 9 janvier 2020