Le quai de Ouistreham
de Florence Aubenas

critiqué par NQuint, le 11 mars 2010
(Charbonnieres les Bains - 51 ans)


La note:  étoiles
Chronique magistrale de la misère sociale
Permettez-moi tout d'abord de resituer qui est Florence Aubenas. Une journaliste brillante, engagée, qui a effectué une bonne partie de sa carrière à Libé où elle a couvert des conflits à travers nombres d'endroits chauds de la planète. Elle a ensuite acquis une certaine célébrité comme otage pendant 6 mois en Irak avant d'être finalement libérée. Il est d'ailleurs assez remarquable qu'après ce cauchemar, elle soit toujours apparu souriante et libérée au propre comme au figuré et ce, dès sa descente d'avion. Même si elle a du être marquée pour toujours dans sa tête sinon dans sa chair, elle n'en a jamais rien laissé paraître. Elle a ensuite couvert le procès d'Outreau, étant une des premières à émettre des doutes sur la culpabilité des accusés. Elle travaille désormais au Nouvel Obs, elle est également présidente de l'Observatoire International des Prisons.

Début 2009, frappée (intellectuellement) par la crise, elle prend un congé sabbatique en cachant son vrai projet à son employeur. Celui-ci est de partir à Caen en laissant tout derrière elle pour vivre la crise "à hauteur d'hommes" (ou de femmes plutôt). Elle loue une chambre minable à Caen, part sans voiture, ne rentre à Paris que deux fois et se promet d'arrêter l'expérience quand elle aura décroché un CDI ce qui arrive (miraculeusement) au bout de 6 mois. Elle revient alors à Paris puis repart quelques mois après dans sa chambre meublée pour écrire ce roman/document/reportage. Ca n'est pas la première fois qu'un journaliste utilise cette méthode d'"immersion extrême", cela avait été fait avec des immigrants clandestins, des SDF. Néanmoins, il faut un sacré courage pour aller s'immerger, les mains dans le cambouis (ou pire dans la merde), dans ce que tous les autres français ne rêvent que de fuir. Avec en bandoulière, ses yeux, ses oreilles et sa mémoire pour enregistrer. Sa sensibilité et sa plume pour rapporter.

Ce qui est étonnant, c'est qu'avec son profil d'ex-otage que l'on voyait à la TV quasi tous les soirs pendant 6 mois, on se dit qu'il lui a fallu porter faux nez et postiches en tous genres. Eh bien, non ! Elle a fait au plus simple. Elle a vaguement teint ses cheveux, mis en permanence ses lunettes (qu'elle ne porte pas toujours sinon) et ... c'est tout. Pour le reste, elle a gardé la même identité et s'est juste inventé un passé de femme mariée et au foyer pendant 20 ans qui vient de se faire larguer par son mari et a besoin désespérément de bosser. Le plus fou, c'est que presque personne ne l'a reconnue. Deux ou trois personnes ont eu un doute et une l'a formellement reconnue mais a gardé le silence à sa demande.

Donc Florence Aubenas décrit sa quête d'un travail ou plutôt d'heures de travail car on se rend rapidement compte que non seulement le CDI relève du graal absolu, que même un CDD est déjà un poste au-dessus du lot mais qu'en plus espérer travailler 35h par semaine est totalement illusoire, voire impossible. Caen est marquée par un passé industriel (SMN, Moulinex, qui a complément disparu entre les années 70 et la fin des années 90). Résultat : ça n'est plus qu'une zone condamnée, avec un taux de chômage élevé et une population paupérisée. Le statut d'ouvrier est devenu quelque chose de mythique, un rêve presque oublié.

La quête de Florence Aubenas commence logiquement par l'ANPE, débordée, ne proposant rien sinon brasser du vent et truquer les chiffres à la demande de sa direction. Puis c'est les agences d'interim et enfin les boîtes de nettoyage qui vendent de la viande pour laver des locaux, ici de 5 à 7 deux fois par semaine, là de 18h30 à 20h30 tous les soirs. Une vie passée à quémander un bout de travail ici, un autre là, à faire 1h de route pour 2h de travail payés au SMIC (la convention collective prévoit SMIC+10% mais les employeurs ne la respectent pas avec la complicité de l'ANPE). Et encore, souvent les 2h négociées entre la société de nettoyage et son client se transforment en 3h. Qui éponge la différence ? Les femmes de ménage pardi ... Car c'est ce qu'a trouvé Florence Aubenas. Sa seule carte de visite ? Elle est prête à tout. "Comme tout le monde", lui est-il répondu ...

Ce livre permet de vraiment regarder la France dans les yeux de la crise, voir la misère humaine mais aussi sociale et culturelle. Le mépris affiché par les patrons, les petits chefs, les sociétés d'interim donne mal au ventre. On n'a pas vraiment l'impression d'être la France "pays-des-droits-de-l'homme" mais plutôt être resté dans Zola. Et à côté de cela, on sent malgré tout une envie de vivre, une humanité, une solidarité qui sent les derniers remparts avant le désespoir.

La grande force de Florence Aubenas c'est que son immersion permet d'être au plus près de cette réalité mais elle parvient malgré tout à trouver le recul nécessaire pour le récit. Un récit qui ne surligne jamais, ce qui aurait été l'écueil majeur. Les situations sont telles qu'il n'est pas besoin de faire de l'emphase. Juste recueillir, relater avec une sensibilité et une bienveillance qui affleure dans le récit. Sans misérabilisme, sans condescendance, sans manichéisme ni prise de parti excessive. L'exacte bonne distance. Avec du style en plus.

Chapeau, madame Aubenas !
Une plongée dans la réalité de ces hommes et ces femmes de ménage 9 étoiles

Florence Aubenas a eu le courage de se mettre dans la peau de ces hommes et de ces femmes de ménage, de vivre leur quotidien. Un vrai travail journalistique, rare, à lire absolument. Félicitations Mme Aubenas.

Ichampas - Saint-Gille - 60 ans - 4 juin 2021


Remarquable 10 étoiles

Toutes les critiques précédentes ont suffisamment décrit ce livre, d'une manière que je trouve excellente. Le voyage dans un exemple du pays réel qu'a réalisé Florence Aubenas est raconté de manière précise, sans fioriture, sans manichéisme, dans un style de grande qualité où la poésie est souvent présente. En le lisant, je me suis, comme souvent, demandé pourquoi et comment la France a pu se laisser désindustrialiser comme elle l'a été. Et la responsabilité en tombe sur nos responsables politiques qui, depuis 40 ou 45 ans, ont laissé faire ou déclenché les processus y menant, se contentant d'acheter - la plus part du temps bien mal comme le raconte Florence Aubenas - la paix sociale à coups de subventions et aides diverses, le tout couvert par une dette croissante. Si l'on ne réalise pas cela, les pleurs et les récriminations sont sans objet et très mal venus. Car il est essentiel de se poser les questions de ce qui sous-tend, au fond, les situations souvent désespérées décrites par l'auteur et ne pas rester à un niveau purement sentimental. Florence Aubenas ne traite pas ce sujet et ce n'est pas son propos. En rester à son expérience est finalement assez facile et générateur de sentiments magnifiques. Mais à quoi cela peut-il servir?

Falgo - Lentilly - 84 ans - 15 août 2017


Fragmentations 8 étoiles

En 2009, Florence décide de s'immerger totalement dans l'univers de celles et de ceux qui luttent chaque jour pour obtenir un emploi ou le conserver quand ils en ont un, sur fond de crise cyclique propre au capitalisme. Elle est confrontée dès le point départ à la valse complexe qui dirige les pas de deux du demandeur d'emploi et du conseiller de pôle emploi, le ballet amer est lancé. Elle a un peu plus de 45 ans, aucune expérience, pas de bulletin de salaire récent, mais quand même le bac en poche. Le conseiller de pôle emploi se frotte les tempes, des cas comme ça c'est courant et de plus il n'est pas faiseur de miracle. Les agents de pôle emploi s'emploient bien plus à cocher les cases des formulaires types sans état d'âme pour certains ou à tenter de résister psychologiquement face à toutes les consignes absurdes auxquelles ils doivent obéir pour d'autres. Un système technocratique dans lequel chaque individu est un cas numéroté à traiter parmi tant d'autres, un élément invisible introduit dans un cycle de stages et autre formations "voie de garage" destinés uniquement à établir les courbes voluptueuses du chômage acceptable que l'on souhaite rendre visible. "Vous n'êtes pas là pour faire du social, cette époque est finie. Il faut du chiffre. Apprenez à appeler client le demandeur d'emploi. C'est officiel, ça vient d'en haut."

Son bac la conduit sur le port de Ouistreham où elle n'a pas d'attache. Ces quelques heures de travail à récurer les cabines à un train d'enfer ne lui suffissent pas pour envisager une retraite dorée. Elle doit décrocher un autre boulot, ce sera dans un camping, mais pas pour y passer du bon temps. Là, elle s'active ardemment sous l'œil féroce de deux gardes-chiourmes, surnommées les dragons, qui veillent en permanence à ce que tout soit effectué parfaitement avec peu de moyens dans un temps record digne des performances des jeux olympiques, dans le cas contraire les flammes des dragons carbonisent toute prétention à un avenir d'expert en éponge et serpillière.

Florence enchaîne divers petits boulots ingrats pour parvenir à joindre les deux bouts, avec pour objectif de décrocher un CDI, mais la roue de l'infortune semble vouloir tourner sans fin. Durant cette quête du Graal, elle fait la rencontre de plusieurs personnes qui, comme elle, sont éreintées à force d'être courbées devant la crasse et les employeurs impitoyables. Toutes sont angoissées par la perspective d'un avenir sans lendemain, un drame sisyphéen qui se joue tous les jours. Elle devient témoin des histoires de chacune d'entre elles, la rage de s'en sortir, les humiliations quotidiennes, les rivalités inévitables entre elles pour survivre dans cet univers précaire où il est quasiment impossible de décrocher un temps plein. D'ailleurs vouloir obtenir un travail à temps plein relève de la chimère, tout ce qu'elles peuvent espérer au mieux (ou au pire) ce sont quelques heures de labeur ici et là au gré des humeurs des acteurs de la précarité organisée. L'éparpillement, ou plus exactement la volatilisation de la notion d'emploi pérenne permet de créer une armée de gueux corvéable à souhait, un système inique qui anéantit impitoyablement toute velléité de résistance et de contestation collectives. Il faut ajouter à cela le machisme crasseux des représentants syndicaux envers les femmes de ménage qu'ils considèrent avec un mépris à peine voilé : "il faut un intellectuel pour représenter le syndicat, disent les permanents. On ne peut quand même pas envoyer une caissière ou une femme de ménage aux réunions"

Florence dresse un tableau entre ombres et lumières de ces travailleurs et travailleuses qui ne rechignent jamais (ont-ils d'autre choix ?) à effectuer les tâches les plus pénibles pour subvenir à leurs besoins les plus élémentaires. Sans vouloir pour autant obtenir à tout prix la reconnaissance de ceux qui de toute manière ne les voient même pas, ils aspirent à obtenir le droit à une vie stable qui écarterait la peur du lendemain et par dessus tout accéder à la dignité qui leur est refusée obstinément dans ce système économique bien huilé par la sueur du peuple d'en bas. Ce peuple, que l'on contraint à accepter quelques heures de labeur ici et là, à renoncer à toute folie des grandeurs, comme par exemple quelques jours de vacances au bord de la mer ou ailleurs, qui leur ferait oublier la morosité du quotidien, et pourquoi pas un repas dans un resto avec buffet à volonté. A travers cet ouvrage, l'auteur raconte le sort de ces travailleurs pauvres sans pour autant tomber dans le misérabilisme. Florence a volontairement choisi, semble t-il, de ne pas développer une analyse du mécanisme politico-économique qui engendre ces situations de désespoirs, préférant mettre en avant toute l'humanité, la solidarité et la force de résistance de toutes les personnes qu'elle a eu l'immense bonheur de rencontrer.

Tous les discours ronflants et abscons, éloignés de toute réalité d'un peuple qui trime et qui souffre au quotidien, des élus et autres élites autoproclamés sont autant de mises en perspectives du cynisme ambiant et de l'incommensurable distance que ces derniers ont délibérément mis entre eux et ceux dont ils ignorent tout et qu'ils exhortent cependant, à travers d’interminables flatulences idéologiques, à accepter leur sort de bête de somme têtes baissées.

Cet ouvrage fait forcément écho à celui de Barbara Ehrenreich : "L'Amérique pauvre : Comment ne pas survivre en travaillant", à propos duquel j'avais publié une critique en 2009.

http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/19384

Heyrike - Eure - 56 ans - 6 janvier 2015


Quelle leçon ! 9 étoiles

Je savais en ouvrant ce livre qu'il me mettrait dans tous mes états.

Epargnés que nous sommes peut-être par la précarité de l'emploi, nous croyons savoir ce que vivent des milliers de gens chaque jour... Et ce livre est la preuve que nous ignorons l'essentiel !

Quoi de plus judicieux et véridique que d'enfiler la blouse, comme l'a fait Florence Aubenas, pour se rendre compte de l'ampleur de ce triste phénomène ?

C'est une véritable claque, comme le dit Valadon, que nous prenons en pleine face à la lecture de cet ouvrage, on n'imagine pas assez la difficulté de la tâche et le mépris que subissent les agents d'entretien, ajoutés aux souffrances physiques quotidiennes et à la fatigue inévitable. C'est une grande leçon d'humilité que nous apporte ce livre, qui devrait être lu par chacun d'entre nous et serait en mesure de nous remettre sur les rails, les jours de découragement où nous pleurons sur notre triste sort.

Nathafi - SAINT-SOUPLET - 57 ans - 6 février 2013


Recherche de boulot dans une France en crise 9 étoiles

Ce reportage administre la preuve qu’une fois de plus, il n’y a pas loin du grand journalisme au grand roman …

Déguisée, l’espace de quelques mois, en demandeuse d’emploi sans qualifications dans la région de Caen, Florence Aubenas, nous raconte avec une belle finesse d’observation la vie quotidienne d’une femme de ménage à la recherche de quelques heures d’ici de là pour boucler ses fins de mois.

Levers parfois à 4h30 du mat, corvées des chiottes, pressions horaires, exigences patronales dépourvues d’états d’âme sont ici décrits avec un réalisme pudique, heureusement teinté de beaucoup d’humour. Le lecteur, parfois déconnecté de ce monde du chômage angoissant, découvre également les multiples entretiens de recherche avec les agences d’intérim ou encore avec le Pôle Emploi, lequel met héroïquement à disposition, des conseillers d’interviews, des correcteurs de C.V., et de la bureautique diverse (ordinateurs, photocopieuses, matériels de bureau).

De la part des pouvoirs publics, beaucoup d’efforts de mise au travail sont ainsi consentis tandis que l’offre de CDI (Contrats à Durée Indéterminée) demeure squelettique.

Même les pays opulents connaissent la Crise et ce très talentueux reportage (2009) est hélas infiniment éloquent.

Ori - Kraainem - 88 ans - 25 septembre 2012


Une claque 8 étoiles

Un témoignage glaçant et bien écrit, qui fait vraiment mouche, sans doute grâce à l'implication de l'auteur et à son honnêteté.
Oui, c'est un livre à lire, parce qu'il parle de nous, de nos voisins, de nos enfants, parce qu'avec une grande simplicité (et c'est ça qui fait sa force), il nous ouvre les yeux sur un système, une société, sur sa dureté et ses absurdités.
Parce qu’après avoir refermé ce livre, on ne l'oublie pas, parce qu'il nous ouvre un océan de questions, dont aucune des réponses ne semble pouvoir s'annoncer légère ou paisible.

Valadon - Paris - 43 ans - 3 janvier 2012


Le "gai travail" ? C'est ici et maintenant, juste au bord, juste là... 10 étoiles

Il est inutile de réécrire en d'autres termes ce qu'ont fort bien évoqué Tistou et Marvic et, en particulier, ceci:

"Bienvenue au pays réel de ceux qui n’ont rien et à qui on le rappelle volontiers. Ma conviction d’une explosion sociale programmée sort renforcée de cette lecture." (Tistou)

"Un livre à lire bien sûr, mais surtout à diffuser largement, à distribuer aux chantres du libéralisme outrancier" (Marvic)

Ajouter simplement que ce récit d'un quotidien si quotidien, si ordinaire, surtout, pour des milliers d'autres personnes, nous laisse tout à la fois désemparés et vidés mais enragés de cette envie de l'explosion qui mettra un point à ces humiliations, cet irrespect dont sont tributaires ces travailleurs de la misère face à la redoutable puissance de la finance "libre-échangiste" qui s'en glorifie.

Quelques lignes qu'écrit F. Aubenas, reprenant les mots d'un conseiller de Pôle Emploi:

"...Vous ne pourrez pas influencer la situation, agir contre le projet politique : il vaut mieux lâcher prise. Si vous résistez, vous risquez la dépression. Les jours où ça ne va vraiment pas, prenez votre voiture... et allez crier dans un champ."

Merci Mme Aubenas. Merci de nous réapprendre l'humilité. De nous obliger à voir et regarder. Plus et les yeux grands ouverts.

Laventuriere - - - ans - 1 décembre 2011


Descente au pays réel 7 étoiles

Florence Aubenas est journaliste, elle l’explique en postface ; elle a voulu aller vivre sur le terrain ce qu’était réellement la recherche d’emploi quand on part de … peu. Le profil qu’elle avait choisi étant celui d’une femme d’une cinquantaine d’années, venant de divorcer, qui n’avait pas travaillé durant son mariage, sans spécialement de qualifications. Elle avait donc pris le parti, sans changer de nom, de se « délocaliser » - Caen – et de jouer le jeu jusqu’à décrocher un CDI (Contrat à Durée Indéterminée). Cela va durer six mois. « Le quai de Ouistreham », c’est la relation de cette expérience sur le terrain, un terrain qui vaut bien un théâtre de guerre.
Autant le dire, sa lecture est dure. Ce ne sont que souffrances, humiliations, embûches et mesquineries diverses. Bienvenue au pays réel de ceux qui n’ont rien et à qui on le rappelle volontiers. Ma conviction d’une explosion sociale programmée sort renforcée de cette lecture. Mais d’abord il faudrait remercier et féliciter Florence Aubenas pour le courage qu’elle a eu d’entreprendre et de mener à bien une telle enquête en payant de sa personne.
Entre autres mises à nu, bienvenue à « Pôle Emploi » et sa pathétique inefficacité. Bienvenue dans les boîtes d’intérim qui se chargent d’exploiter le bas peuple. Bienvenue au monde merveilleux du ménage, le seul genre de boulot auquel pouvait prétendre le profil choisi par Florence Aubenas. Une heure de boulot par ci, à dix kilomètres, une heure et demie par là, dix kilomètres plus loin. Un travail de titan à essayer de boucler un nombre d’heures suffisant pour survivre, en claquant un fric fou pour relier les divers postes, il est évident que c’est perdu d’avance.
On se doutait déjà de bien des choses ; les voir exposées en clair, les mécanismes du piège démontés, est glaçant. On se doute qu’il ne s’agit pas d’un cas d’espèce mais bien du cas général de toute une frange de la population. Monde réel, monde de m… Ce pourrait être la moralité !
Les misérables c’était peut-être du temps de Hugo. La misère, elle, va être de notre temps dans notre beau pays, elle s’installe et prend ses aises.

Tistou - - 67 ans - 27 mai 2011


Zola au XXIème siècle 9 étoiles

Florence Aubenas en quête d’un travail a choisi la ville de Caen pour débuter ses démarches. La ville est sinistrée et nous sommes en 2008, la crise bat son plein.
Que faire quand malgré un bac, on n’a pas le bon profil pour un travail digne de ce nom ? Accepter ce qui reste, et il ne reste que le pire des boulots, le ménage sur les ferrys ou dans les campings.
Florence Aubenas va donc s’immerger quelques mois dans l’univers des travailleurs précaires. La grande journaliste de Libération, s’oublie complètement et va jouer vraiment le jeu. Comme un travailleur ordinaire, elle parcourt l’itinéraire qui du Pôle Emploi débordé, va la conduire aux minables boîtes d’interim qui n’ont pas grand-chose à offrir si ce n’est quelques heures par ci par là de ménage. Beaucoup auraient refusé, après tout, Florence Aubenas est journaliste, mais elle en a vu d’autre . Elle ne va donc pas ménager sa peine et elle qui reconnait n’être pas douée pour le ménage, va frotter, nettoyer, laver en y mettant toute son énergie jusqu’à l’épuisement.
Elle nous restitue avec un réalisme cru, l’univers de ces travailleurs précaires, ces « sans grades » qui se lèvent à l’aube pour glaner quelques heures de travail bien nécessaires pour boucler les fins de mois. Les horaires de travail sont totalement inadaptés à une vie de famille. C’est tôt le matin, à l’aube, ou très tard le soir, jamais une journée de travail complète. Ce boulot est particulièrement répugnant ( laver les « sani ») mais personne ne rechigne, personne ne se révolte. Décrocher un CDD ou un CDI est un rêve pratiquement inaccessible, alors tout le monde accepte ce que l’on trouve. On ne parle plus d’emploi mais « d’ heures » pour au bout du compte un salaire horaire minable où l’on ne tient pas compte des heures supplémentaires.
Dans cet univers impitoyable, Florence Aubenas s’est finalement bien adaptée. Elle s’est surtout attachée à ses « collègues », toutes ces femmes qui partagent avec elle ces dures tâches. Elle décrit leur vie bien souvent « cabossée » où l’on compte les sous parce qu’il n’y en a pas beaucoup. Ces femmes sont fatiguées, elles se lèvent tôt, elles manquent de sommeil, elles n’ont pas fait d’études, elles ne connaissent pas grand-chose à la politique, ignorent les élections. Pourtant il existe un semblant de fraternité qui fait supporter la dureté de la tâche.
Ce livre n’est pas un roman, mais le reportage d’une bonne journaliste sur la réalité du travail précaire de nos jours. C'est du Zola moderne, c'est bouleversant.

Clara33 - - 76 ans - 3 mai 2011


Vive l'économie de marché! 10 étoiles

Et surtout un immense bravo pour Madame Aubenas!
Nous sommes sûrement très nombreux à croiser toutes les personnes décrites dans ce livre. Et, à chaque fois qu'on prend le temps de se parler, c'est la même détresse, le même courage, la même exploitation par les sociétés de nettoyage (horaires réduits pour tâches alourdies à chaque contrat, heures de trajet non comptées...).
Et elles vont nous décrire un autre monde où elles sont invisibles, où elles n'ont aucun choix; où forcément les heures proposées ne correspondent pas à une vie de famille.
Si certains postes de ce type sont maintenant des postes de C.A.E (contrat d'accompagnement dans l'emploi) dans l'administration, avec des conditions physiquement moins éprouvantes, c'est toujours le nombre réduit d'heures et surtout la précarité qui les angoisse; une signature sur un contrat, c'est six mois de gagnés.
« Les femmes sont plus rentables à 20 heures qu'à 40 dans le ménage. Il ne faut pas leur donner plus. De toute manière, elles n'y arriveraient physiquement pas. »
Et malgré tout , elles continuent, parce qu'elles n'ont pas le choix bien sûr, mais ce qui est admirable, c'est qu'elles gardent une conscience professionnelle, qu'elles gardent l'espoir, et la confiance en avenir meilleur.
Malgré les aberrations du système, malgré ce Pôle Emploi qui n'a pas d'emplois à proposer.

Alors j'éprouve une grande admiration pour ces « dames de ménage ».
Qu'elles soient de la région de Caen, du Havre, de Saint-Étienne, de toute la région Nord, existe-t-il une région française épargnée?

Mais ce livre doit sa réussite à l'immense talent de Florence Aubenas.
Choisir de parler de la crise est une chose, choisir l'angle par lequel elle va l'aborder en est une autre, mais aller la vivre comme elle l'a fait, est une preuve de beaucoup de courage( preuve qu'elle nous avait d'ailleurs déjà donnée!).
Et que dire du récit lui même: jamais pédant, jamais condescendant, Florence nous fait partager son admiration, son respect et son affection pour ces femmes avec qui elle a fait un tout petit bout de leur chemin.

Un livre à lire bien sûr, mais surtout à diffuser largement, à distribuer aux chantres du libéralisme outrancier.
Et je crois que ce livre m'a tellement marquée, que je pourrais continuer à écrire mais cela dépasserait le cadre d'une critique de livre!!

Marvic - Normandie - 65 ans - 15 janvier 2011


Un livre coup de poing mais tellement vrai 10 étoiles

Que dire de ce livre: il donne froid au dos.Car il rapporte une réalité sans jugement partisan, mais avec les sentiments vécus d'une femme. Et ce n'est pas à l'autre bout du monde mais tout simplement en Basse Normandie dans la région de Caen. C'est un constat de la statut de la femme, de l'ouvrier dans notre société soi-disant développée. Enfin, ce témoignage nous montre ce que Sarkozy et CO ont voulu faire en créant "Pôle Emploi", Vichy n'est pas loin.
Merci Madame AUBENAS.

Freboul - - 53 ans - 15 juillet 2010


Bravo Florence! 9 étoiles

Le quai de Ouistreham
Editions de l'Olivier

En octobre 2005, est paru La méprise - L'Affaire d'Outreau.
Florence Aubenas a cru, à ce moment-là, vivre un rêve de journaliste. A été votée dans la foulée, à l'unanimité, la décision de faire des équipes de juges d'instruction pour qu'ils ne soient plus jamais seuls face à une affaire de cet ordre. Cette réforme devait être appliquée en 2011. Elle est bien sûr reportée sine die. Ca rend modeste, dit-elle.

Avec l'argent qu'elle a gagné avec la vente du livre , Florence Aubenas a pris un congé sabbatique , prétextant des vacances .


"C'est la crise. Vous vous souvenez? Cela se passait jadis, il y a une éternité, l'année dernière.
La crise. On ne parlait que de ça, mais sans savoir réellement qu'en dire, ni comment en prendre la mesure. On ne savait même pas où porter les yeux. Tout donnait l'impression d'un monde en train de s'écrouler.Et pourtant, autour de nous, les choses semblaient toujours à leur place, apparemment intouchées.
Je suis journaliste: j'ai eu l'impression de me retrouver face à une réalité dont je ne pouvais pas rendre compte parce que je n'arrivais plus à la saisir...
J'ai décidé de partir dans une ville française où je n'ai aucune attache pour y chercher anonymement du travail."


C'est donc à Caen qu'elle a loué une chambre et s'est inscrite à Pôle Emploi.
Pas une bonne cliente, d'emblée.
Pas de véhicule, déjà..Obligatoire!!

"Femme seule? Plus de quarante cinq ans? Pas de formation particulière, ni de fiche de paye récente?
Dans les yeux de ma conseillère ,tous les voyants rouges clignotent. Je viens d'entrer dans la zone Haut Risque Statistique.
Elle tente une dernière question: " Et vous avez des enfants à charge? "
Quand je lui réponds non, je la vois se détendre pour la première fois."


A ce niveau -là ,la seule possibilité , c'est agent d'entretien.
Et voici donc le récit de six mois de la vie de Florence Aubenas, agent d'entretien. Ou plutôt cherchant un poste, non, ça c'est trop demander, cherchant des "heures" d'agent d'entretien. Elle a mis un mois et demi à en trouver. Très occupée, quand même, traquer les annonces, s'y présenter, pointer à Pôle Emploi, faire des formations, etc.


"Dans mon esprit, il paraissait évident que j'allais trouver tout de suite. Et brusquement, j'étais devant des gens qui me disaient : "Non, pas possible, enfin, vous voyez bien...", sans même finir leur phrase. Evidemment, ça recadre !"


On lui avait dit: tout sauf le ferry. Il n'y avait que cela.. horaire du soir. Une heure et demi pour tout nettoyer, les femmes s'occupent en priorité des toilettes, ce n'est pas un travail d'homme.
Après, en plus du ferry, il y aura les bungalows d'un centre de vacance, des bureaux, des grandes surfaces, etc.
En veillant toujours à se présenter régulièrement aux rendez vous de Pôle Emploi, sinon, rayée des demandeurs d'emploi, c'est le but recherché.

Florence Aubenas a refait là le parcours d'une américaine, Barbara Ehrenreich, qui avait écrit un livre passionnant , selon le même principe, L'Amérique pauvre. Ou comment survivre de hamburgers dans un camping car en cumulant trois emplois dans la même journée. Là, il manque justement , c'est dommage, les détails financiers. On sait juste qu'avec un loyer de 348 euros, elle n'a jamais réussi à survivre, même modestement.

J'ai lu ou entendu deux reproches au sujet de ce livre. Misérabilisme et pas d'analyse. C'est vrai, aucune analyse . Nul besoin, c'est un témoignage, c'est du vécu, et ce n'est pas aux acteurs de faire une analyse. Et misérabilisme, alors là, pas du tout. C'est souvent très drôle, humain, tendre dans le portrait de tous. Ce que l'on sent surtout, puisqu'elle l'a éprouvé et sait le retranscrire, c'est l'angoisse et l'épuisement. Ce n'est pas du misérabilisme, c'est du réel. C'est différent.

A quoi cela va servir? Pas à grand chose, naturellement . Huit embauches en CDI sur neuf saisonniers d'une agence de nettoyage ( on apprend beaucoup sur les agences de nettoyage!)
Ah, si!!! Sur le ferry de Ouistreham, le nettoyage des toilettes n'est plus réservé aux femmes. Les hommes aussi , maintenant. Bravo Florence!

Paofaia - Moorea - - ans - 14 mai 2010


Ouvrons les yeux... 8 étoiles

Florence AUBENAS parvient, à travers son expérience, à nous ouvrir les yeux sur cette triste réalité que connait notre pays : le chômage, la précarité de plus en plus présente au sein des familles... La démotivation, très peu d'espoir, l'impuissance des agents de Pôle Emploi face à toutes ces personnes...
Une chose est sûre, Florence Aubenas est meilleure journaliste, qu'elle n'est en femme de ménage...
A lire de toute urgence !

Samba - - 45 ans - 27 mars 2010


Voyage dans la précarité 9 étoiles

Florence Aunbenas voulait voir la crise de près : elle s'est installée à Caen, dans un petit meublé, et s'est faite passer pour une femme sans formation et sans expérience, qui vient d'être délaissée par son mari et qui doit subvenir à ses besoins. En arrivant à Caen, elle pensait naïvement prendre le premier emploi disponible, puisqu'elle était prête à tout accepter. Mais avec la crise, il y a beaucoup de gens qui sont prêts à prendre n'importe quel travail, et en fait il n'y a plus d'emplois, et surtout pas pour quelqu'un de non-qualifié et sans expérience.

Sa description de ce monde fait froid dans le dos. Ses visites à l'agence pour l'emploi sont des grands moments d'humour absurde, sauf que c'est assez triste de voir comme le service public est tombé bas (faute de moyens) : ils organisent des formations bidons, chaque chercheur d'emploi a droit à un rendez-vous minuté, avec un fonctionnaire sous-pression et qui n'a absolument aucun job à proposer. Dans les sociétés d'interim, c'est pire, on la remballe en lui faisant comprendre qu'elle n'a aucune chance et que ça ne sert à rien de perdre son temps.

Sa conseillère en emploi lui propose le seul métier d'avenir pour les gens comme elle : agent de propreté. Après une formation, elle décroche quelque petits boulots de nettoyage, quelques heures par ci et par la, des horaires impossibles pour un salaire de misère. Une fois, le soir, alors que les bureaux se vident, un employé vient retrouver sa collègue, et les deux profitent de la solitude pour prendre du bon temps, en ignorant superbement la femme qui était occupée à nettoyer le bureau : comme on l'avait prévenue, lorsqu'on est agent de propreté, c'est comme si on était devenu transparent.

Ce qui m'a frappé, c'est de voir le manque d'implication dans la lutte sociale et politique : les gens n'y croient simplement pas. Caen est une ancienne zone industrielle sinistrée : en vingt ans elle a perdu la sidérurgie, Moulinex, et à l'heure actuelle même les super-marchés doivent licencier. On ne voit pas très bien comment la situation pourrait s'arranger.

Je trouve ce livre très intéressant, il nous confronte avec la France de la précarité, nous montre les ravages de la crise, la condition de ces gens qui galèrent pour trouver des petits boulots durs physiquement et qui peinent à boucler le mois. L'auteure trouve le ton juste, tout n'est pas désespéré, il reste malgré tout une certaine humanité et solidarité.

Saule - Bruxelles - 58 ans - 21 mars 2010