Les variations Goldberg
de Nancy Huston

critiqué par Fee carabine, le 13 septembre 2005
( - 50 ans)


La note:  étoiles
L'univers, en un aria et trente variations
Paris, un beau soir d'été. Liliane Kulainn a invité quelques proches, des êtres qu'elle aime ou qu'elle a aimés, à venir écouter son interprétation des "Variations Goldberg" de Jean-Sébastien Bach, chez elle, dans la pièce où elle a l'habitude de travailler. C'est un concert de musique de chambre au sens premier du terme. Il fait chaud. Les portes-fenêtres qui donnent sur le balcon sont ouvertes. On entend les bruits de la ville, une voiture qui passe dans la rue, le son d'un klaxon...

A mesure que s'élèvent les notes de l'aria qui ouvre ces "Variations Goldberg" et qui leur sert de thème, Liliane se laisse emporter par ses souvenirs. L'éblouissement lorsqu'elle a découvert le clavecin pour la première fois. L'économie. La rigueur. L'impossibilité des effets de manche, de la violence, du pathos qui lui répugnaient tant dans le grand répertoire du piano. La découverte d'un instrument idéal. Et puis de variation en variation, elle se laisse aller à imaginer les pensées de chacun de ses auditeurs. Le souvenir d'un moment partagé des années auparavant. L'écoulement inexorable du temps qui parfois sépare deux êtres, les rapproche et les sépare à nouveau. Les nuits d'insomnie. L'ennui. L'envie obsessionnelle de fumer une cigarette. L'amertume ravalée de la tourneuse de page, "petite-main" indispensable mais perpétuellement repoussée dans l'ombre. Et les doutes des uns font échos aux certitudes des autres...

Un aria pour une claveciniste. Trente variations pour trente auditeurs. Trente et une tranches de vie. Trente et un portraits esquissés en quelques pages, d'une plume alerte, avec une lucidité implacable, sans complaisance mais non sans compassion pour ceux des auditeurs qui sont aux prises avec la souffrance... Cela suffirait pour faire des "Variations Goldberg" un très bon roman. Mais il y a dans ce livre quelque chose de plus, car Nancy Huston fait partie de ces écrivains rares qui sont capables non seulement de parler de musique avec une profonde intelligence, mais mieux encore de lui donner vie au moyen des mots alignés sur les pages, de la susciter véritablement, avec tout son cortège d'émotions, de réflexions et de rêveries. Les "Variations Goldberg" de Nancy Huston révélent de nouvelles richesses au lecteur qui se donne aussi la peine d'écouter celles de Jean-Sébastien Bach, de préférence dans une interprétation au clavecin (par exemple celle, magnifique, de Christophe Rousset). Parce qu'alors toute interprétation est question de dynamique, du choix des tempi et des ornementations plutôt que de nuances. Et aussi parce que "L'important, comme le sait chaque insomniaque, n'est pas de se faire bercer par la réitération d'une thématique, mais au contraire de déclencher l'étincelle qui permettra de court-circuiter le courant de la pensée pour le brancher sur les ondes de l'inconscient. Or, les Variations Goldberg sont admirablement conçues pour produire cet effet*: chacune d'entre elles constitue un petit univers imaginaire, avec ses propres lois et sa propre cohérence." Et c'est bien ce que Nancy Huston a réussi à recréer dans son roman, trente et un petits univers qui se nourrissent de la musique de Bach et qui y renvoient le lecteur, avec la possibilité pour chacun de donner un "tour de roue supplémentaire" et de créer trente et un autres petits univers, totalement différents...


* Tel est bien le rôle que les Variations Goldberg devaient remplir, selon une anecdote dont l'authenticité n'a pas pu être vérifiée mais qui a la vie dure. Elles auraient en effet été commandées par un riche mécène, le comte Hermann Carl von Keyserlingk qui souffrait de fréquentes insomnies et qui aurait donc demandé à Jean-Sébastien Bach de composer une musique pour l'aider à s'endormir.
Confidences sur le clavier … 4 étoiles

Fort intéressant que ce premier roman de la désormais célèbre Nancy Huston puisque, chapitre après chapitre, il donne la parole à toute une kyrielle de personnages qui, de près ou de loin ont approché la grande pianiste Liliane Kulainn ou son mari Bernald Thorer, écrivain en déprime.

Cependant que Liliane interprète cette œuvre célèbre de J-S Bach pour ses invités réunis, chacun d’eux se remémore les circonstances de sa rencontre avec la vedette ou son compagnon, tout en y exprimant ses états d’âme : frustration, enthousiasme, admiration, jalousie, et souvenirs de la vie courante dont ne sont pas exclues des parties de jambes en l’air !

Au détour de ces confidences multiples, le lecteur se familiarise avec les techniques diverses de l’approche pianistique (solfège, pianoforte, clavecin) tout en constatant peut-être qu’il manque un souffle à cette écriture. Pour ma part, c’est ce qui m’a fait interrompre ce roman en cours de lecture …

Avec ‘Lignes de faille’ ou ‘L’empreinte de l’ange’, je puis affirmer que Nancy Huston aura fait beaucoup mieux depuis ce premier roman !

Ori - Kraainem - 88 ans - 24 octobre 2011


Les Goldberg 7 étoiles

C'est un livre que j'ai bien aimé, pas adoré, mais que j'ai trouvé intéressant. L'auteur montre une culture musicale appréciable, mais finalement, le thème musical est assez secondaire. Ce qui est intéressant, c'est qu'au fur et à mesure de la lecture (au fur et à mesure des variations), on entre dans les consciences des auditeurs, les uns après les autres, et quelque chose se construit. on peut croiser les regards, apprendre ce qu'un tel pense d'un tel, en savoir plus sur les liens, sur le passé qui rassemblent ou séparent les personnages. Ce sont ces jeux de croisement qui m'ont plu. Mais attention, il faut jouer le jeu du "contenu de conscience", sinon, on peu se laisser ennuyer par un certain verbiage. Cette "romance" m'a un peu fait penser à Mastication des morts que j'avais adoré.

Cecezi - Bourg-en-Bresse - 44 ans - 5 septembre 2010