Les anciens Canadiens
de Philippe Aubert de Gaspé

critiqué par Libris québécis, le 31 août 2005
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
À la défense de la culture française en Amérique
Voici un des premiers romans québécois publié en 1863. L'ont précédé que quelques oeuvres romanesques dont le tout premier fut publié en 1837 par le fils de l'auteur, à qui on a donné le nom du père. Ce dernier, âgé de près de 80 ans, nous rappelle la vie des francophones quelque temps après la conquête anglaise. Né peu de temps après le changement de colonisateurs, il a puisé dans ses souvenirs les éléments qui composent véritablement le profil du francophone du XV111e siècle. Cette oeuvre est une chronique qui intéresse surtout ceux qui se passionnent d'ethnographie.

Philippe Aubert de Gaspé s'est bien défendu d'avoir écrit un roman. Il affirmait qu'il s'était servi de son vécu pour décrire la vie des siens sous la récente domination de l'Albion en terre d'Amérique. D'ailleurs le titre de l'ouvrage, Les Anciens Canadiens, précise bien le but de l'auteur. Mais en fait, il s'agit d'une oeuvre romanesque que l'on qualifierait de gothique à cause de son esthétisme qui épouse les valeurs bourgeoises. Il faut dire que l'auteur est le Seigneur de Saint-Jean-Port-Joli. Son origine nobiliaire le porte à défendre une civilisation hexagonale qu'il craint de voir disparaître avec les nouveaux maîtres. Le roman exhale donc l'esprit créé par l'ancienne mère patrie, qui a fait des colons et de ses chefs immédiats des gens relativement heureux. En ce pays, rien ne doit changer, comme le chantait encore Louis Hémon en 1910. C'est une vision patriotique très sentimentale que tous les jeunes auteurs du X1Xe siècle, tel Émile Nelligan, ont véhiculé et que véhiculent encore certains souverainistes québécois.

Cette oeuvre est devenue un classique parce qu'Aubert de Gaspé évoque les péripéties vécues par les siens dans un contexte conforme à l'esprit de la population du XV111e siècle. Selon les normes du jour établies par l'abbé Casgrain, le premier critique littéraire du Québec, ce roman raconte en fait des aventures, qui deviennent parfois intéressantes quand elles sont pigmentées par la description des moeurs qui les ont suscitées. Le naufrage et les amours cornéliennes forment des moments forts de cette oeuvre écrite avec une élégance faite de simplicité, mais disparue de l'art d'écrire.
Les moeurs à l'époque des Plaines d'Abraham 6 étoiles

Après trois bonnes semaines de patience qu'il m'avait fallu pour la lecture des «Anciens Canadiens», l'un des premiers romans québécois, j'ai dû réaliser que son auteur, le seigneur Philippe Aubert de Gaspé, a surtout écrit ce roman historique pour nous truffer d'informations sur les moeurs canadiennes de l'époque (légendes, coutumes festives, culinaires ou agricoles). Pour un lecteur du XXIe siècle qui s'intéresse plus à un scénario «épique» digne des films historiques qu'à l'histoire «sociale» québécoise, cette oeuvre peut décevoir leurs attentes.

Car elle est d'abord et avant tout l'expression du courant du romantisme patriotique qui a donné naissance à la littérature québécoise, à une époque où planait la menace de la disparition de sa culture brandie par lord Durham. Les auteurs du XIXe siècle, comme Gaspé, se sont donné comme mission de retranscrire le patrimoine culturel du peuple canadien-français et utilisent donc souvent le roman comme prétexte pour en faire un manuel anthropologique.

Néanmoins, on arrive à quelques moments, tant bien que mal, à revenir à l'histoire principale : celle de deux amis d'enfance, l'insouciant et rigoleur Jules d'Haberville, fils du seigneur de Saint-Jean-Port-Joli, et son sage compagnon Archibald Cameron of Locheill, Écossais adopté par les Haberville. Et lorsque ces deux amis partent pour l'Europe, la Guerre de Sept Ans va les rattraper dangereusement, et ils seront tous deux amenés à servir dans deux armées ennemies. Deux jeunes hommes au service des deux-mères patries de l'actuel Canada dont elles se foutent des habitants, deux pays d'Europe pour qui l'Amérique n'est considérée que comme un lointain réservoir à ressources pour assouvir leur faim de conquêtes et leurs frustrations de ne pouvoir écraser l'autre sur le Vieux Continent. Des frustrations qui, pour le meilleur et pour le pire, sont sortis finalement de leurs corps pour traverser l'Atlantique et occuper (et encore jusqu'à ce jour) ceux de leurs descendants condamnés à vivre ensemble sur ce pays aux hivers glacials et aux printemps chaleureux.

J'aurais aimé que Gaspé minimise ses multiples pauses «d'ethnographe» et développe plus le scénario d'un roman qui avait le potentiel de passer pour un chef-d'oeuvre dumasien. Mais, bof... On ne peut changer la conscience d'un homme décédé il y a presque 150 ans.

Montréalaise - - 31 ans - 4 février 2013