En 1629, le Batavia, orgueil de la Compagnie hollandaise des Indes orientales, fit naufrage en bordure d’un archipel de corail à quelque quatre-vingt kilomètres du continent australien. Il avait à son bord 330 personnes. Des membres d’équipage mais également des passagers divers dont des femmes et des enfants, des pièces d’or et autres richesses. Avec à sa tête, le subrécargue, commandant nommé par la Compagnie, un certain Francisco Pelsaert, Anversois de 33 ans, un homme intelligent et cultivé mais de santé fragile ; le patron, Ariaen Jacobsz, la quarantaine, marin endurant et habile mais médiocre navigateur, était un individu grossier et violent, buveur et paillard, explosant de force et de santé. Ces deux-là, qui dirigent l’expédition, se détestent cordialement ; ajoutons le subrécargue assistant, Jeronimus Cornelisz, la trentaine, un homme instruit qui a fait de mauvaises affaires et en réalité fuit ses créanciers. Le Batavia est empalé sur un récif. Pelsaert et Jacobsz décident d’aller chercher de l’aide à Java à l’aide d’une barque de sauvetage. Le Batavia va se disloquer, ses passagers se réfugient sur une île assez inhospitalière. Cornelisz, leur chef, estime qu’ils sont trop nombreux. Il faut faire un tri et méthodiquement, il va commencer à les éliminer les uns après les autres en commençant par ceux qui lui tiennent tête. Le massacre peut commencer. Simon Leys, essayiste d’origine belge, nous raconte cette épouvantable tragédie qui, en son temps, frappa l’imagination du public, plus encore que ne pourra le faire le naufrage du Titanic au XXème siècle.
Extraits :
- Nul homme ne voudrait jamais se faire marin car la vie à bord est tout simplement celle d’une geôle où l’on serait de surcroît exposé à la noyade ; c’était une existence d’une inimaginable brutalité. Le catalogue des horreurs est sans fin : l’inconfort fétide (à bord du Batavia il n’y avait que quatre latrines pour 330 personnes, dont deux à ciel ouvert et directement balayées par les embruns), la promiscuité, le manque d’air et d’espace, l’humidité perpétuelle, le chaud, le froid, les rats, la vermine, la crasse, les vivres avariés, moisis et grouillant de vers, l’eau croupie, la grossièreté des compagnons de bord, la férocité sadique de la discipline, la menace perpétuelles et terrifiante du scorbut qui enflait et pourrissait les chairs de ses victimes.
- Une société civilisée n’est pas nécessairement une société qui comporte une moindre proportion d’individus criminels et pervers (celle-ci est probablement à peu près constante dans tous les groupements humains) - simplement, elle leur donne moins l’occasion de manifester et d’assouvir leurs pendants.
- La pendaison à l’ancien mode c’était la strangulation progressive qui entraînait la mort. Les mouvements instinctifs et grotesques du supplicié qui accéléraient ou ralentissaient involontairement le resserrement du nœud coulant faisaient d’ailleurs de ce type d’exécution un spectacle également goûté du public populaire et de la société élégante – voire des âmes sensibles. Ainsi, par exemple, au siècle suivant, dans un billet, le jeune Mozart – il avait quinze ans – mentionne l’amusement qu’il avait pris à voir « quatre coquins qu’on pendait sur la place du Dôme » et il rappelle d’ailleurs, que, tout enfant, il avait déjà savouré ce même divertissement cinq ans plus tôt à Lyon.
Catinus - Liège - 74 ans - 10 juin 2024 |