Cayenne
de Saccomanno (Scénario), Mandrafina (Dessin)

critiqué par Shelton, le 15 juin 2005
(Chalon-sur-Saône - 67 ans)


La note:  étoiles
Un récit d'ambiance...
La bande dessinée en noir et blanc permet un dépaysement étonnant qui donne aux récits une épaisseur, une profondeur, une humanité qu’aucun jeu de couleur n’offrira jamais. Je sais bien qu’en disant cela je vais me fâcher avec certains amis coloristes, mais, malheureusement pour eux, je crois vraiment ce que j’affirme là… D’ailleurs en voici un exemple avec Cayenne, album de Saccomanno et Mandrafina.
Dominguo Mandrafina est né, en 1945, à Buenos Aires. Oui, certains pourront être surpris tant nous sommes habitués à ne connaître la bédé que Franco Belge, Américaine et Japonaise… Oui, il existe de très belles bandes dessinées en dehors de ce triangle, bien sympathique au demeurant… Il travaille régulièrement avec Saccomanno qui lui donne de nombreux scénarios.
Il a un graphisme très réaliste, cru et entier qui lui confère une place méritée dans une bande dessinée très populaire, au bon sens du terme.
Cayenne est un ensemble de nouvelles – oui, j’ai bien dit nouvelles, et je ne le dis pas par mode comme on parle de romans graphiques pour un oui ou un non en parlant de la bande dessinée contemporaine, je dis nouvelles car il n’y a pas d’autres noms en France pour qualifier ces histoires – qui ont pour ancrage commun un lieu, Sweet Sodome, un café de la Nouvelle Orléans (en tous cas ça y ressemble), deux hommes, Griffith et Peter Garfield (enfin ce dernier nom n’est peut-être bien qu’un pseudo…) et une série de destins humains, hommes ou femmes, mais le tout avec une chaleur, un humanisme, une noirceur… hors normes…
Quand on commence cet album, soyons clairs, on ne peut plus s’arrêter, on est pris par une narration haletante, on ne mesure plus le temps qui passe, la souffrance qui s’accumule, le bonheur que l’on ignore, la nuit qui tombe, le whisky qui coule à flot… Heureusement, régulièrement, Griffith se met au piano et accompagne notre lecture d’une mélancolique musique… Si vous n’arrivez pas à imaginer cette symphonie d’accompagnement n’hésitez pas à utiliser vos bons disques de blues… et dans le cas contraire, foncez en acheter ! Pas d’autres solutions pour profiter de cette bande dessinée de qualité…
Quels sont les destins les plus touchants ? Difficile à dire car chacun a ses particularités… La lectrice qui veut faire chanter, qui est manipulée aussi en même temps, Dick le frappé, dans tous les sens du mot, Lizbeth, la mystérieuse femme triste, Louise, si belle au comptoir, ou Mirma dont on aimerait bien percer le secret… Vous ferez votre choix en connaissance de cause après lecture et j’espère que vous éprouverez le même plaisir que moi avec cette lecture…
Ce qui me semble sur, c’est qu’avec de tels albums à la narration si forte et percutante, la bande dessinée devrait perdre définitivement son image de récit ou histoire pour les petits… La bédé est un mode narratif mêlant intimement images et textes, le tout baignant dans une bande son – ici piano et bruit de la machine à taper de l’auteur qui raconte, se raconte… – et les auteurs peuvent raconter ce qu’ils veulent, s’ils le font bien, ce sera le bonheur des lecteurs… C’est bien le cas dans Cayenne qui est à lire pour tout ceux qui aiment les ambiances noires, parfois glauques mais toujours humaines…
Chef d’œuvre dans ce genre série noire de qualité…