Le livre des deuils
de Bérengère Deprez

critiqué par Sahkti, le 15 mars 2005
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Survivre à l'autre
"Je suis curieuse de voir comment tu vas en sortir. Curieuse et tremblante. Et c'est cette page, la fin du livre à écrire, qui m'épouvante..."

Curiosité et peur. Deux émotions que l'on ressent fortement tout au long de ce très beau livre de Bérengère Deprez. Un livre rempli d'amour, de passion, de douleur aussi et puis d'un important travail de mémoire.
L'histoire tourne autour de Romain, personnage principal, l'homme de toute une vie, une moitié, un double, une partie de soi. Quelle justesse das le ton de Bérengère Deprez pour nous parler de cette fusion qui existe entre deux êtres! La narratrice raconte sa vie sans lui, c'est bouleversant.
Elle n'est pas seule, d'autres personnes prennent la relève et parlent de la vie, celle qu'on mène seul ou à deux. Pas facile non plus la vie à deux. Suivent une série d'échanges, de dialogues, de monologues, de réflexions clairesemées.

Roman par moment décousu car chacun prend la parole et parle de lui, de l'autre. Le lecteur suit Romain, sa vie faite d'étincelles, de moments de folie, de joie, de liberté, de beaucoup de gravité aussi. Au fur et à mesure que Kate, la narratrice, nous le présente, on sent venir le drame, l'enfermement.
"Libre comme l'air dans la prison du monde". C'est tellement vrai!
Kate et Romain affrontent leurs vies et leurs parcours, ils se racontent sans se dévoiler, l'amour doit demeurer vierge de tout passé ou de tout avenir, il doit se vivre tel qu'il est. Grandiose mais casse-gueule. La liaison est chaotique, ils s'aiment, se quittent, se retrouvent, s'aiment et ne s'aiment plus... Ce petit jeu construit leur relation, la nourrit, la fortifie même, ils grandissent dans la douleur d'aimer.

Jusqu'au jour où la mort pointe le bout de son nez. A celle-là, rien ne résiste. Sauf peut-être l'amour. Intemporel, éternel, amour gourmand de souvenirs et d'errances de la mémoire. C'est si bon et ça fait si mal...
Bérengère Deprez impose la réflexion, le questionnement. Sur l'amour bien sûr et ce qu'il véhicule. Sur la vie aussi. Mais surtout sur ce temps qui passe et dont nous sommes constitués, ce temps que l'on pense inépuisable et qui pourtant peu à peu s'éloigne de nous.
C'est un texte fort et pudique, pas de jonglage avec le pathos mais une plongée au creux des âmes, en nous-mêmes, obligeant ce que nous faisons semblant de ne pas voir à ressortir et nous faire face. Dur mais salutaire.