Les dimanches sont mortels
de Francine D'Amour

critiqué par Libris québécis, le 6 février 2005
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
L'Alcoolisme au féminin
Ce roman de 1988 présente une famille aux prises avec l’alcoolisme du père. L’auteur décrit les ravages occasionnés par cet atavisme avec une sobriété qui détourne le lecteur de réactions émotives qui aveuglent la compréhension de cette dynamique autodestructive. Avec une plume poétique sans envolées lyriques, Francine D’Amour cerne le problème avec à propos.

Ce résume me sert de subterfuge pour commenter son dernier roman, publié il y a quelques mois. Il s’agit du Retour d’Afrique édité par Boréal.

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Le Retour d’Afrique est un film d’Alain Tanner mettant en vedette un couple qui s’est enfermé dans un appartement, tout en laissant croire à son entourage qu’il partait en Afrique. Francine D’Amour emprunte le titre de cette œuvre pour cacher elle aussi une histoire d’isolement volontaire, qui rappelle également L’Hiver de force de Réjean Ducharme.

Charlotte est l’héroïne de ce roman gravitant autour du problème de l’alcoolisme et de la dépendance affective. Son mari Julien est un professeur qui a pris un congé sabbatique afin de se consacrer à l’écriture de son prochain roman. Pour s’y faire, il a choisi l’Égypte comme terre d’inspiration. Avant son départ, la famille et les amis lui organisent une fête croyant que le couple part pour huit mois en Afrique du Nord. En fait, il s’agit d’une supercherie, car Julien ne veut pas s’encombrer d’une femme alcoolique qui perturberait son travail de création. Il loue donc une petite maison au bord d’une rivière afin qu’elle s’y cache pendant son séjour à l’étranger. Il charge François, son ami d’enfance qui habite en face, de veiller sur elle.

Une retraite forcée n’est pas nécessairement la solution à des problèmes d’ordre psychologique. Au contraire, la solitude ne peut qu’aggraver la situation de l’héroïne prédisposée à l’éthylisme par ses antécédents familiaux. De toutes ses forces, elle luttera contre cet atavisme, mais l’ennui la ramène toujours à la case départ, d’autant plus que c’est une femme affectivement dépendante, plantée dans un milieu inconnu. C’est suffisant pour « sombrer dans l’abîme du rêve » quand les nouvelles du mari ne viennent pas réconforter l’ « âme désertée » . Si le soleil couchant ensanglante les eaux de la rivière, pourquoi ne se joindrait-elle pas à lui pour participer à cette union macabre qui la libérerait de ses tourments?

Laissée seule à ses démons avec son mau (chat de race), Charlotte parvient parfois à les éloigner en imaginant le voyage de son mari. C’est une véritable communion à distance qui prend pour le lecteur l’attrait d’une visite de l’Égypte. Les colosses de Memnon rappellent à l’héroïne le drame des bouddhas de Bamyan. Elle s’inquiète pour son mari quand elle l’imagine à Louxar. Elle le voit aussi entre les bras d’une Cairote ou dégustant avec elle une bouteille de rubis. Elle vit l’Égypte par procuration en pensant au Désert de Le Clézio ou aux récits de Paul Bowles sur le Sahara. Hormis ces moments d’apaisement, c’est la Suzanne de Cohen qui l’envahit : « And you know that she’s half crazy but that’s why you want to be there. »

Elle vit tellement en communion avec Julien à travers l’actualité et la littérature qu’elle décide finalement d’aller le retrouver le jour de la catastrophe survenue un certain 11 septembre qui a cloué tous les avions au sol. Il ne lui reste plus qu’à attendre le retour d’Afrique de Julien. Francine D’Amour a le don de créer de l’empathie pour ses héros. On souffre autant qu’eux. La crédibilité des personnages est rendue avec une plume très poétique, mais sans le lyrisme qui affadirait la mise à nu de l’âme de l’héroïne. Cependant le dénouement mélodramatique très hollywoodien noie sa lucidité dans des émotions que l’on apaise avec des kleenex.
Scotch en famille 8 étoiles

Au moment de sa sortie, ce roman de Francine D’Amour a reçu beaucoup de bonnes critiques et même quelques prix.

L’auteure raconte, en multipliant les points de vue, les tribulations d’une famille bourgeoise, que l’alcoolisme du père détruit peu à peu. Ancien professeur universitaire, personnage faible, resté enfant, pour des raisons qui ne sont pas parfaitement claires, Charles Dalpé a sombré dans l’alcoolisme, un alcoolisme triste, hargneux, ravageur, suicidaire. Le voici à 74 ans, parvenu au dernier stade de la déchéance physique et morale, essayant de façon abjecte de rabaisser sa femme Estelle et ses deux filles, Marie-Paule et Mathilde, à son niveau pour camoufler sa honte, essayant de les corrompre, dépendant et destructeur, les gangrenant sans vergogne. Il ne tente même plus d’afficher, ne serait-ce pour la façade, un semblant de dignité, de faire illusion, tant il sait que sa dignité il l’a perdue depuis longtemps.

Près de lui, sa femme a fini par céder, à bout de résistance, par usure et lâcheté, préférant périr avec le capitaine. Elle aussi maintenant endort son mal au gin et au scotch, du matin au soir, continuant de morigéner son grossier de mari par habitude ou pour se donner bonne conscience, harcelant ses enfants pour qu’ils participent à la veillée du corps, pour qu’elle puisse s'échapper de temps à autres de la prison qu'elle s'est donnée.

Ainsi en est-il de cette histoire miroir de deux princes, dont on avait dénervé les genoux, attachés sur des radeaux, jetés à la mer, lancés irrémédiablement vers la mort que Francine D’amour raconte dans son roman.

La tradition familiale veut que tous les dimanches, la famille Dalpé se réunisse dans la maison paternelle. Arrivent donc leurs deux filles perturbées, Marie-Paule et Mathilde, Dr Jekill et Mr Hyde, naïves et cyniques, répliques respectives de la mère et du père, infantiles, incapables de se détacher de la spirale destructrice du père. Tous ensemble, comme on peut facilement l’imaginer, ils s’offrent d’affreux dimanches, s’affrontent, se déchirent, s’aiment pourtant, boivent, avalent des pilules pour soulager les effets de leur beuverie, autour d’un sempiternel rôti d’agneau qu'on s’empresse de dévorer avant qu’il ne lève le cœur. Inutile d’aller plus loin, ce roman nous réserve une fin à la hauteur de toutes nos attentes.

Vigno - - - ans - 16 mars 2005