Les Sans-Soleil
de Louise Anne Bouchard

critiqué par Libris québécis, le 3 février 2005
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
L'Intolérance au sein des petites communautés
Louise-Anne Bouchard, née à Montréal, habite Lucerne en Suisse. Son nouveau milieu lui a certes inspiré ce court roman dont le cadre helvétique entoure Lannaz, un village fictif situé à flanc de montagne. Ce hameau n’est pas sans rappeler ceux du Québec imprégnés d’odeurs de purin qui donnent le mal de cœur aux touristes du dimanche qui sillonnent la campagne.

Qualifiés de sans-soleil à cause de la situation de leurs habitats dans la montagne, les Lannaziens sont des reflets de leur environnement marqué par ces relents nauséabonds. Ils y mènent une existence instinctive, brutale, voire tyrannique à cause de la promiscuité qui soumet la population aux aléas de l’opinion publique. Au milieu de ces bons travailleurs protestants, un mathématicien de 40 ans a senti le besoin de consulter un psychiatre à cause la pression sociale qui exigeait qu’il se marie sans plus attendre. Quant à satisfaire cet impératif, mieux vaut réaliser son rêve de marier une femme du soleil qu’il déniche tout près de Toulon, sur la plage des Mourillons. Beauté rare, sensuelle, élégante, passionnée, cultivée. La femme idéale dont il tombe amoureux en toute réciprocité. Voilà le mathématicien au bras de Nina, une Française qu’il emmène dans son bled.

Elle s’adapte à sa nouvelle vie en devenant une boulimique de la lecture et aussi en écrivant. Que le mathématicien se marie, soit! C’était un consensus. Que les tourtereaux s’aiment tendrement, c’est plutôt odieux comme spectacle. À cela que s’ajoutent des écrits mystérieux que la population n’est pas invitée à lire, c’est le comble. La colère gronde dans les chaumières, les barricades sont levées. Tout est prêt pour l’émeute. La pauvre Française devient la cible de toute la haine des villageois jaloux de sa belle éducation. Le moment propice pour qu’éclate le drame se présente à l’ouverture de la chasse. Nina sera victime de la malignité d’une population obtuse incapable de tolérer la différence. Le héros, sensible aux modèles sociaux, adopte finalement à l’égard de sa femme le comportement déshonorant des mâles de son village. De l’amour tendre, il faut passer à la brutalité pour être accepté au sein de cette communauté qui orchestre la vie d’autrui.

Ce roman remarquable est écrit à la première personne. On lit en quelque sorte une confession qui emprunte le ton de l’humour, de l’ironie et, finalement, du rire jaune. Avec habileté, l’auteur dose les éléments satiriques, burlesques et dérisoires afin que le dénouement survienne comme une apothéose qui terrasse le lecteur. C’est un chef-d’œuvre inconnu parce que l’auteur vit loin des médias, souvent responsables de nos choix de lecture.