La trilogie de Copenhague: Enfance - Jeunesse - Dépendance
de Tove Ditlevsen

critiqué par Poet75, le 31 octobre 2025
(Paris - 69 ans)


La note:  étoiles
Une autofiction qui parle au coeur
Écrivaine et poétesse danoise, Tove Ditlevsen est née en 1917 et est morte en 1976. Elle s’est suicidée en ingurgitant des doses excessives de somnifères. Sa Trilogie de Copenhague, publiée entre 1967 et 1971, est un document de premier ordre, un récit d’apprentissage sans fard, sans détours, sur sa vie, son histoire, ses passions, ses rêves, ses épreuves, ses joies et ses souffrances.
Les trois parties de l’ouvrage s’intitulent sobrement Enfance, Jeunesse et Dépendance. Dès ses premières années, la petite Tove se distingue. Elle qui est née dans un milieu défavorisée, elle dont le père s’affirme comme un socialiste convaincu et militant, développe rapidement sa nature profonde qui est celle d’une poétesse. C’est par la foi chrétienne et par les psaumes que naît en elle cette attirance pour la beauté du chant poétique : « c’est comme si Dieu penchait lentement son doux visage vers la terre… », écrit-elle. Comment cette couleur poétique, marquée par la foi chrétienne, a-t-elle pu s’épanouir en elle ? C’est d’autant plus mystérieux que ses parents n’apprécient pas le moins du monde que leur fille soit croyante. Le père, surtout, rejette la foi en un Dieu dont, dit-il, « les capitalistes se sont toujours servis (…) contre les pauvres. » Tove, elle, observe avec défiance ces adultes « dont l’enfance gît à l’intérieur d’eux, toute déguenillée et trouée comme un tapis usé et mité dont personne n’aura plus jamais besoin. »
Dans Jeunesse cependant, le ton change. Tove n’est plus une enfant, elle doit travailler, d’abord comme employée dans une pension. Pendant quelque temps, trop absorbée par ses tâches, elle n’écrit plus de poésies. Puis elle rencontre M. Krogh, un homme bien plus âgé qu’elle à qui elle montre son cahier de poésies. Ce sont des poèmes d’enfant, certes, mais qui, selon M. Krogh, sont prometteurs. Quelque temps plus tard, mystérieusement, M. Krogh disparaît. Tove n’en continue pas moins son chemin, s’attache à des hommes, rejoint, pour un temps, une troupe de théâtre, se met à écrire des chansons pour les employées d’une imprimerie dans laquelle elle a été embauchée, loue une chambre chez une femme qui est une admiratrice d’Hitler ! Surtout, elle rencontre un certain Viggo F. Møller, directeur d’une revue, qui l’aide à publier son premier recueil de poésies.
Quand Tove atteint l’âge de la majorité, elle serait en droit de vouloir sa totale indépendance. Mais non, la troisième partie de cette œuvre est bel et bien intitulée Dépendance. Dépendance des hommes, à commencer par Viggo F. qu’elle épouse bien qu’il soit beaucoup plus âgé qu’elle et bien qu’elle ne soit aucunement amoureuse de lui. D’autres hommes suivront et Tove donnera naissance à des enfants (et fera procéder aussi à des avortements). Chacune des liaisons de Tove s’avère compliquée, d’autant plus que, après avoir accouché, elle devient, pour un temps, systématiquement frigide. Et puis, Tove étant fragilisée psychologiquement, elle a affaire à Carl, un médecin qui lui injecte une dose d’un produit apaisant, la péthidrine. C’est le début d’un engrenage, d’une autre dépendance, bien plus terrible que toutes les précédentes, la dépendance à la drogue. Car, bien sûr, avec la complicité de Carl, Tove réclame des doses de plus en plus fortes de péthidrine et autres produits de même espèce.
Telle est la teneur de cette autobiographie en trois parties ou, si l’on préfère, de cette autofiction. Elle n’est pas dénuée de joies et d’espoirs mais, c’est vrai, elle impressionne surtout par ses aspects les plus éprouvants, les plus douloureux. En écrivaine de talent, Tove Dirlevsen n’élude rien tout en évitant les excès de misérabilisme. Son écriture est celle d’une confidente, elle parle au cœur.