Mon voisin, c'est quelqu'un
de Baptiste Morgan

critiqué par Sahkti, le 26 janvier 2005
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Le nationalisme "propret"
Jorg von Elpen est un politicien extrémiste et sans scrupules qu’aucun coup bas ne rebute. Pour lui, tout est bon pour arriver au pouvoir et il peut compter sur sa fidèle équipe de lieutenants prêts à tout pour la réussite de leur leader.
Elpen, Le Pen, tiens… drôle de coïncidence, mais le roman a été écrit avant le triomphalisme éphémère de l’autre.
Otto est vendeur d’aquariums, il vit à côté du beau manoir de von Elpen. Il se laisse embrigader, séduire et devient la plus obéissante des marionnettes. De la livraison d’explosifs planqués dans une pizza à l’enlèvement d’un journaliste trop curieux, il acceptera toutes les missions que lui confie le grand manitou de l’extrémisme. Otto n’a qu’une envie : qu’on le laisse tranquille, alors pour cela, il préfère obéir aveuglément à son maître que prendre le risque de le contrarier.
Belle représentation de notre état d’esprit : tant que ça ne nous dérange pas dans notre petit confort personnel, peu importe qui gouverne… C’est comme ça que les dictatures réussissent, parce que nous ne voulons pas être importunés. La démagogie a encore de beaux jours devant elle et l'auteur l’illustre très bien à travers ses lignes.

Otto, le héros du récit, jeune homme naïf et utopiste qui préfère collaborer pour avoir la paix, car les ennuis ça prend la tête, est un homme qui fait semblant de ne pas savoir ce qui se cache derrière les discours nationalistes de Von Elpen mais qui ne peut s'empêcher, toutefois, de se poser des questions sur ce qu'il entend, ce qu'il voit et surtout ce qu'il fait. Car il tue des gens, il en brime d'autres, il participe à un vaste complot raciste et antisémite dont il n'a pas mesuré toute l'ampleur mais qui révèle peu à peu son vrai visage au grand jour. Otto se sent prisonnier d'un engrenage, refuse de regarder la réalité en face, préfère se mentir (c'est parfois plus facile, mais pas tout le temps), joue les innocents de service, avec beaucoup de candeur mais aussi une certaine nonchalance qui provoque l'agacement du lecteur. Otto sait sans savoir, c'est ainsi qu'il commet les pires crimes. D'autres l'ont fait avant lui et rien ne garantit qu'un recommencement est impossible.

Baptiste Morgan, c'est le pseudo de Vincent Engel. Un pseudo choisi pour "signer une oeuvre d'une inspiration différente". Différente? Pas tant que ça, quand on connaît un peu le reste de l'oeuvre de Engel. On y retrouve la même démarche vis-à-vis de l'antisémitisme sournois, les souvenirs douloureux et souvent tus de l'extermination, de la guerre, des camps. Dans ce texte, Vincent Engel favorise la caricature, l'absurde, voire le non-sens, le tout, comme souvent avec lui, teinté d'un humour ravageur et ironique assez cruel.
Il dénonce ouverterment un processus d'endoctrinement et de diabolisation qui pourrait arriver plus vite qu'on ne l'imagine à nos proches ou à nous-mêmes, quoiqu'on s'en défende. Evidemment, ce qui arrive à son héros peut paraître gros, voire grotesque, mais quand on lit les dernières déclarations dans la presse du sosie du facho de son livre, on se dit qu'en fait, certains n'ont peur de rien et malheureusement, ça paie toujours bien d'une manière ou d'une autre.
Si l'histoire de Engel/Morgan prête à sourire et est de temps en temps tirée par les cheveux, elle n'empêche cependant le malaise de rapidement s'intaller, avec la nausée au bord des lèvres devant certains agissements et carrément le dégoût le plus profond à la lecture des dernières pages, celles qui racontent que l'horreur ne connaît pas de limite, surtout quand elle est mariée au mensonge et à l'hypocrisie.