Celles qu'on tue
de Patrícia Melo

critiqué par Tistou, le 30 septembre 2025
( - 69 ans)


La note:  étoiles
Polar, roman, manifeste contre les féminicides
C’est dans le cadre de mes lectures de polars du monde entier que je suis tombé, un peu par hasard, sur Patricia Melo et ce Celles qu’on tue.
Un ouvrage un peu hybride ; ça part comme un polar, ça vire roman social et ça ne dédaigne pas de petits coups d’onirisme et d’incursions dans la … magie (?), sorcellerie diraient certains.
C’est donc hybride mais un hybride qui aurait du corps, beaucoup de fond et qui, chose importante dans ma démarche de lecture de polars du monde entier, fait toucher du doigt une réalité sociale du Brésil moderne, au moins dans l’Etat d’Acre (j’ignorais jusqu’à son existence celui-là, coincé en Amazonie entre Bolivie et Pérou).
Une avocate de Sao Paulo est envoyée au fin fond du pays, l’Etat d’Acre, afin de collecter des données sur les féminicides dans cet Etat. Elle est elle-même au début du roman dans une situation en rapport puisqu’elle est en train de rompre avec Amir, celui qui était son petit ami et en qui elle avait confiance jusqu’à une gifle reçue de sa part. Par ailleurs elle porte un lourd secret, bien enfoui, puisqu’elle a, toute petite, été quasiment témoin du meurtre de sa mère par son père. C’est dire que sa sensibilité aux actes machistes, et plus encore aux féminicides, est exacerbée.
L’Acre est un Etat aux mains d’une classe dominante blanche qui détient tout ; du pouvoir aux terres, avec une impunité quasi acquise quant aux actes délictueux. Là-bas, loin dessous les Blancs, il y a les Noirs et tout au-dessous, ravalé au rang animal, ou quasi, les Indiens.
Txupira, une jeune indienne, a été assassinée près de chez elle dans la forêt après avoir été martyrisée, violée (tant qu’à faire !). Elle assiste au procès des trois grands adolescents attardés blancs que tout désigne comme les auteurs du crime.
Acquittés, faute de preuve.

»Dans le quotidien local, le procès qui allait débuter le matin même faisait les gros titres.
La photo montrait trois garçons souriants – le plus âgé ne devait pas avoir vingt-cinq ans -, appuyés à un SUV noir, boueux. Bottes et chapeaux. Figures viriles. Au fond, à droite, un peu flous, d’autres garçons, tous avec un verre de bière à la main. Le décor ne pouvait être meilleur, ciel dégagé, piscine bleue, le genre d’image qui fait penser à un tas de fric, un papa riche, une vie toute tracée, à l’abri des soucis. Des étudiants, disait la légende. Des garçons veinards, c’était la conclusion évidente. Rien de tout ça n’annonçait la psychopathie du trio qui avait violé, torturé et tué une adolescente du village des Kuratawa. »


La suite du roman décrit le combat de cette avocate qui va démissionner de son cabinet pauliste, rester plus longtemps que prévu dans l’Acre, combattre ses démons, tenter de se débarrasser d’Amir, apprendre à connaître les Indiens et notamment la tribu où vivait Txupira (et donc faire des expériences du domaine mystique via l’ayahuasca), mais voir ses amies tomber autour d’elles. On n’affronte pas impunément un pouvoir tout-puissant qui contrôle tout.
Il est beaucoup question de féminicides dont il semblerait que le Brésil – et l’Acre notamment – regorge. Il est question des inégalités, il est question de société. Et c’est bien ce que je recherche en lisant des polars du monde entier.
Pas un simple polar, vraiment, et Patricia Melo est indéniablement une autrice à suivre et son œuvre est à creuser.