Valet de pique
de Joyce Carol Oates

critiqué par Poet75, le 25 août 2025
(Paris - 69 ans)


La note:  étoiles
Variation sur Dr Jekyll et Mr Hyde
Andrew J. Rush, le personnage central de ce roman de la toujours impeccable écrivaine américaine Joyce Carol Oates, s’introduit, à deux reprises, au cours du récit, dans une maison pour y perpétrer des vols, non pas d’argent, mais de livres, en l’occurrence d’éditions anciennes, parfois dédicacées et signées par l’auteur. Les livres dérobés par ce personnage témoignent non seulement de ses goûts mais aussi de ceux de notre autrice, autrice qui s’inscrit dans une lignée de romanciers et romancières entichés d’histoires fantastiques, gothiques, macabres à souhait. Les livres cités sont signés Mary Shelley (Frankenstein, Le Dernier Homme), Bram Stoker (Dracula, La Dame au linceul, Le Repaire du ver blanc), Sheridan Le Fanu (Les Créatures du miroir), Henry James (Le Tour d’écrou), Wilkie Collins (Pierre de lune, La Dame en blanc, Sans nom) et Edgar Allan Poe (Le Démon de la perversité).
Il est un nom qui ne figure pas dans cette liste et qui cependant a clairement inspiré Joyce Carol Oates pour la conception et l’écriture de ce roman. Il s’agit de Robert Louis Stevenson car, de toute évidence, Valet de pique se présente comme une variation sur l’un des romans les plus célèbres dudit auteur, Dr Jekyll et Mr Hyde. Le Dr Jekyll de Joyce Carol Oates se nomme donc Andrew J. Rush et il est lui-même écrivain, auteur à succès de romans policiers, marié et père de famille, menant une vie d’apparence paisible et ne dédaignant pas quelques mondanités. Mais, derrière cette façade, il y a un Mr Hyde qui se cache sous un pseudonyme, Valet de pique. Lui aussi écrit des romans mais de très mauvais goût, beaucoup plus noirs que ceux qui sont signés Andrew J. Rush, et il les écrit dans le sous-sol de sa maison, sous emprise de l’alcool. Or, personne, pas même les membres de sa famille, ne connaît l’identité de celui qui se dissimule sous le nom d’emprunt de Valet de pique.
Cela pourrait continuer ainsi, sans soubresaut particulier, si bien sûr il n’y avait pas la survenue d’une surprise. En l’occurrence, il s’agit d’une femme, elle-même écrivaine mais sans succès, n’ayant d’ailleurs jamais réussi à faire éditer un de ses livres, qui porte plainte contre Andrew J. Rush en l’accusant de plagiat. Elle n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai puisqu’elle a déjà accusé du même forfait rien moins que Stephen King en personne. La question qui se pose à présent est la suivante : si Andrew J. Rush réagit en homme du monde, clamant son innocence et son indignation, comment se comportera celui qui se fait appeler Valet de pique. Lui, ce n’est pas l’amabilité qui le caractérise, c’est le moins qu’on puisse dire.
Tel est le canevas que Joyce Carol Oates propose dans ce roman et que, bien sûr, elle déploie avec une remarquable maîtrise, mettant ainsi en évidence la part la plus sombre du cœur humain. Sur ce terrain-là, elle est certainement l’une des romancières les plus douées de notre temps.