Carpentarie
de Alexis Wright

critiqué par SpaceCadet, le 4 août 2025
(Ici ou Là - - ans)


La note:  étoiles
Passage en territoire Waanyi
Née en 1950 au sein d’une communauté waanyi sise au nord de l’Australie, Alexis Wright est une auteure bien connue et appréciée tant dans son pays d’origine qu’à l’étranger, par un lectorat que l’on peut imaginer plutôt sélectif. Militant pour la reconnaissance et le respect des droits territoriaux, elle a par ailleurs signé quelques romans, nouvelles et essais dont certains ont été primés à plusieurs reprises.

Carpentarie est son second roman. Après une brève introduction à la cosmogonie waanyi, traçant ensuite le contexte tout en amenant les principaux acteurs, le récit nous entraîne à petits pas dans un univers où légendes, croyances, visions et rêves, côtoient une réalité tracée et mise en forme par le biais de divers personnages qui, autochtones ou blancs, d’une génération à l’autre, se partagent et se disputent un territoire sis aux abords du golfe de Carpentarie.

L’histoire se déroule donc dans le nord de l’Australie et tourne autour d’une petite ville appelée (en anglais) Desperance. Habitée par des colons blancs venus dans la région pour y exploiter les richesses du sous-sol, Desperance constitue en quelque sorte le prototype même de la petite ville située en région éloignée. Puis au-delà des limites de cette ville se trouve Pricklebush, sorte de no man’s land composé d’herbes sauvages autour desquelles se répandent les trésors de la décharge municipale.

C’est là que, revendiquant leurs droits territoriaux, vivent, retranchés parmi les rebus et les buissons épineux, quelques descendants des premières nations. Y menant une existence de misère, deux clans s’opposent sous le regard d’une nouvelle génération qui, faute d’alternative, risque de bientôt verser dans le désoeuvrement et/ou la révolte.

Dans ce bout du monde, on croise donc une foule de personnages qui, à la fois typiques et mythiques, se côtoient, s’aiment et s’haïssent, se méprisent et se respectent, mais surtout se mesurent les uns aux autres et se confrontent dans une éternelle lutte pour la survie.

Parmi eux, figure dominante et sorte de garant d’une mémoire ancestrale, Normal Phantom, un homme de la mer qui connaît les eaux territoriales comme pas un. Puis il y a Elias Smith, apparu un beau jour sur la grève en rescapé des eaux qui laissera derrière lui une empreinte légendaire. Génitrice d’une ribambelle d’enfants, la fière Angel Day incarne l’indépendance et la résilience d’une race à part. Will Phantom fils rebelle aux accents de visionnaire, ronge son frein dans l’ombre imposée par sa révolte jusqu’à ce que les événements l’entraînent dans un tourbillon halluciné. Stan Bruiser, maire de la ville et parfait exemple d’un opportunisme corrompu et violent. Le très charismatique Mozzie Fishman qui, accompagné par une horde de suivants, parcours le pays en prêchant la ‘bonne parole’. Et bien d’autres encore.

D’un personnage à l’autre, le récit prend forme puis entre le suprématisme des uns et les guerres obstinées des autres, on découvre un territoire naturel vivant qui étouffant sous la pression exercée par les hommes finira par réagir. Désarçonnés par la violence déployée par les éléments, nombreux sont ceux qui iront se perdre ; seuls ceux qui depuis toujours auront été intimement liés, attachés, à cette nature, parviendront à composer avec elle.

Riche de nombreux éléments donc, c’est un récit qui tarde à se mettre en place mais qui peu à peu vous absorbe et vous entraîne dans un fantastique maelstrom d’images et d’événements, d’action et de réflexions.

Fable politico-environnementale et roman fondateur, imprégné de magie, de mysticisme, de mythe et de philosophie, Carpentarie embrasse divers thèmes dont les principaux, l’anthropocentrisme et le colonialisme ainsi que leurs conséquences, ne manqueront pas de toucher la plupart des lecteurs.

Servi par une écriture somptueuse, c’est un roman puissant, une entrée dans un univers fascinant dont on ressort transformé.

Note: Lu en V.O. anglaise