Coeur de cannibale
de Michel Michaud

critiqué par Libris québécis, le 7 janvier 2005
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
On ne badine pas avec l'amour
Cœur de cannibale trace un portrait du Québécois que les initiés de notre littérature connaissent. Il y a l’homme de la tradition chez Ringuet, l’homme qui souffre de bougeotte aiguë comme Le Survenant de Germaine Guèvremont. Le héros de Michel Michaud appartient à la deuxième catégorie. God Dog Michoko quitte donc le Québec et s’installe à Angers, où il devient conseiller de mise en marché des fruits et légumes. Marié à une Française, il file le parfait bonheur avec sa « biélorusse de souche vodka-patates ». C’est une bonne mère et épouse, mais Anouk est cleptomane. N’empêche qu’ils sont heureux avec leurs trois enfants qu’ils aiment profondément et qui leur rendent bien. En somme, ils forment une famille chaleureuse qui s’est enrichie de hamsters et de tortues qu’ils traitent comme des humains.

Mais Michoko (résonance nipponne du nom de l’auteur) est un adulte resté adolescent. Il lui faut vivre continuellement des expériences nouvelles. Le roman débute d’ailleurs par sa participation à la vie érotique des mâles en quête de nouveauté. Soulagé de sa libido qu’il craint à cause de la carie dentaire issue des plaisirs buccaux, il revient sagement au foyer où la vie continue en toute tranquillité. La gente féminine n’est pas à l’origine de son plus grand plaisir. Il lui vient de son ami Oui Bingo, un artiste philosophe avec lequel il se paie des virées lorsqu’il va à Paris dans le cadre de son métier. Un peu plus, on croirait voir un Malaussène échappé d’un roman de Pennac. Un boulimique de la vie risque d’enrayer le mécanisme de son couple, si solide soit-il. Quand Michoko fait la connaissance de Neige, son cœur s’emballe. Cette belle saxophoniste de La Réunion est la nomade qui se propose comme substitution au modèle ennuyeux de la sédentaire. Le héros, « un hors-la-loi de haut niveau » dépourvu de toute culpabilité, est plongé dans un dilemme affectif. Se fera-t-il submerger par la vague amoureuse, laquelle compose le suspense de l’œuvre? Qui de Neige ou d’Anouk partagera son cœur de cannibale?

Michel Michaud fait une bonne démonstration des pièges qui attendent l’homme qui badine avec l’amour. Se montrer supérieur à tous les démons plonge dans un univers dichotomique : le bourreau des cœurs devient la victime de ses actes. C’est la réflexion que se passe le héros dont l’expérience l’amènera à sortir sa vieille machine à écrire pour terminer enfin le roman qu’il avait commencé. Cœur de cannibale est une œuvre intéressante surtout au niveau de l’écriture. L’auteure pratique un syncrétisme réussi du langage parlé caractéristique des pays d’origine de ses personnages et d’une langue soutenue quand la situation l’exige. Cet aspect hétéroclite de l’écriture ne donne que plus de rythme au roman qui vibre comme une musique syncopée.