Pas un jour
de Anne Garréta

critiqué par Sahkti, le 4 janvier 2005
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Prisonniers du désir
"L'écriture au risque de la mémoire est méandre et incertitude comme le désir, jamais assuré de sa fin ni de son objet." (page 13)

Belle réflexion sur le désir que ce texte de Anne Garréta. Le défi est lancé dans les premières pages: une femme, une nuit, un désir à raconter. La narratrice doit raconter ses aventures en mettant l'accent sur le désir et, surtout, en se dévoilant, en s'étalant sans pudeur et honnêtement. A travers ce regard porté sur d'anciennes conquêtes féminines (la narratrice est homosexuelle, mais ce n'est pas l'objet du récit, pas de tendance "à la mode" de la part de Anne Garréta qui souligne au passage et, c'est très bien, cette sectarisation imposée par certains milieux dits branchés de vouloir distinguer les homos des autres. Certains critiques feraient bien d'en prendre de la graine!), c'est toute la notion de séduction et d'attirance qui est mise à nu. De manière élégante, pas de vocabulaire cru ou de mots faciles, tout est dans l'articulation du langage et des phrases, un texte d'une grande qualité d'écriture, l'auteur jongle avec les mots et leur sens, il convient de s'accrocher. Ceux qui espèrent y découvrir quelque histoire scabreuse ou chaude en seront pour leurs frais.

Anne Garréta y va durement, elle ne ménage pas sa narratrice, elle la houspille, l'humilie, la brutalise, lui demande d'aller au fond d'elle-même chasser fierté et amour-propre dans le but de mener une véritable réflexion sur l'existence à travers le regard qu'on donne de soi-même aux autres. Tout est là, dans ce regard, dans cette illusion des apparences, dans ce culte de soi qu'on entretient à travers les autres.
Les douzes nuits évoquées, pour autant de compagnes de désir, illustrent chacune de manière assez différente le cheminement du besoin de plaire et de se plaire, le pouvoir de domination ou d'abstraction qu'un tel sentiment propose, les sentiers cachés qu'il emprunte, l'hypocrisie derrière laquelle il se cache.
C'est un texte très subtil. Derrière chacune des histoires se dérobent nos penchants les plus secrets, nos tourments et nos défauts, que A.Garréta épingle sans complaisance.

"Tu as tendance à t'absenter du monde, du monde réel, du monde dans lequel il paraît que l'on vit. Ta manie déambulatoire, la fatalité du mouvement, tes départs, tes séjours ailleurs, tes éloignements n'en sont que la traduction paradoxale." (page 35)

L'épilogue du récit est sur ce point sans appel: la narratrice a failli à sa tâche mais c'était prévisible. L'analyse de l'auteur pour nous mettre les points sur les I face à nos déviances et nos errances de l'esprit est profonde et criante de vérité. Un véritable dépiautage habile et bien mené de nos travers et nos mensonges.

"Qui t'assure toutefois que ta critique du désir n'est pas une ruse supplémentaire de son empire? (...) Peut-on échapper à la publicité du désir?" (page 152)