L'ombre portée
de Philippe Jones

critiqué par Sahkti, le 19 décembre 2004
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Donner la parole aux silences
Récits de l’ombre et du caché, les dix-huit nouvelles de ce recueil vont au plus profond des êtres, tentent de nous révéler ce qui ne peut l’être. Avec parfois un sentiment de malaise, comme une violation d’intimité. Non pas que Jones soit un voyeur, mais c’est un excellent chroniqueur, qui décortique les faits et les âmes alors, de temps en temps, il faut oser s’aventurer avec lui dans les tréfonds de la pensée, dans ces vies banales qu’on explore sans répit. Des morceaux de vie, des impressions, des sentiments, quelques instants passés avec des gens ressemblant à d’autres gens et sur lesquels on s’arrête un moment, prenant le temps de les observer. Quelques récits touchants, émouvants, comme l’histoire d’un vieux prof retraité qui réalise que l’université qui l’employait n’en a plus rien à faire de la recherche scientifique, œuvre de toute sa vie. Ou le vague à l’âme d’un Africain qui s’est adapté tant bien que mal à la colonisation de son pays et éprouve beaucoup de difficultés à trouver sa place dans le nouvel ordre mondial qui se dessine. Du vague à l’âme, de la souffrance, de la rancœur, des drames cachés que Philippe Jones veut faire surgir, auxquels il a décidé d’accorder de l’importance, tout problème étant sérieux pour celui qui le vit, quel qu’en soit le degré d’intensité. Des êtres au mal de vivre que Jones ne présente pas de manière mélodramatique ou glauque, il y a des fragments de lumière, des moments de joie, tout n’est pas rose, mais la vie n’est pas désespérée non plus. Le monde est ainsi fait, qu’il comprend des zones d’ombre en chacun de nous, zones invisibles que personne ne voit, sauf de temps en temps un écrivain qui décide de donner la parole à nos tourments, si petits soient-ils. Démarche quelque peu similaire à celle de Olivier Adam et son "Passer l’hiver" : accorder une trêve aux meurtris par la vie en leur donnant la parole, une existence, un visage.