Procès en scène
de Basile Ader

critiqué par Débézed, le 12 avril 2024
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
Trois procès pour faire évoluer la justice
Basile Ader, ancien vice-bâtonnier du barreau de Paris, entre autres fonctions exercées, et amateur de théâtre, a écrit trois pièces mettant en scène des affaires judiciaires célèbres ayant influencé le cours de la justice et même fait évoluer la loi. Les trois pièces sont regroupées dans ce recueil publié par les éditions Marie Romaine.

La première pièce met en scène le procès connu sous le nom de procès Bénac car le colonel présidant la cour martiale militaire chargée de juger, le 26 octobre 1914, cinq militaires accusés de désertion, insoumission, intelligence avec l’ennemi et autres choses encore a requis la présence d’un avocat de métier pour assurer la défense de ces cinq hommes. C’est donc le sergent Jean Bénac récemment enrôlé, août 1914, qui assure la défense des accusés en question bien qu’il ne soit qu’avocat stagiaire et qu’il n’ait jamais plaidé. Requis, il ne peut se soustraire aux ordres du colonel présidant la cours martiale. Tous les accusés de ce procès risquent la peine de mort, les faits s’étant produit en temps de guerre. Avec ténacité et pugnacité, le jeune avocat plaide l’irresponsabilité des accusés, les circonstances particulièrement difficiles, la peur et même la responsabilité de la hiérarchie qui n’a pas su coordonner les ordres entre les artilleurs chargés de pilonner l’ennemi et l’infanterie envoyée au massacre. Le jeune Bénac sauve quatre des cinq accusés avant d’être lui-même fauché par l’ennemi quelques mois plus tard. Ce procès démontre l’importance fondamentale de faire siéger une défense professionnelle compétente et formée pour que les accusés puissent se faire entendre en donnant leur version des faits. Une justice d’exception, fut-elle une cours martiale militaire, ne peut pas faire l’économie d’un tel système de défense. Ce procès l’a démontré, il a servi de précédent et d’exemple.

Le second procès est celui du 8 novembre 1972, dit de Bobigny, au cours duquel ont été jugées les trois personnes accusées d’avoir servi de faiseuses d’ange à une jeune fille de seize ans seulement violée par l’un de ses amis et enceinte de ses œuvres. Maître Gisèle Halimi a accepté de défendre ses femmes, totalement désemparées devant le désarroi de la jeune fille, à conditions qu’elles acceptent que ce procès soit celui de la liberté des femmes à disposer de leur corps. Le procès a donc été déplacé sur un terrain beaucoup plus politique et sociologique au moment où les femmes revendiquaient plus de liberté et l’égalité avec le sexe masculin. Gisèle Halimi a mis en évidence le statut des femmes soumises à l’autre sexe et leur inféodation à un système judiciaire créé par des hommes pour juger des femmes à la disposition des hommes. Les accusées ont été relaxées et ce procès a servi de tremplin à la loi sur la contraception proposée par Simone Weil quelques mois plus tard. Ainsi, ce procès a été le déclencheur de l’adoption d’une loi qui a rendu un début de liberté aux femmes en leur confiant, à elle et à elle seule, le soin de mettre un terme à leur grossesse ou de la mener à son terme.

Le troisième procès rapporté dans ce recueil, nous ramène à la peine de mort puisqu’elle est au centre de cette affaire. Il s’agit du procès de Patrick Henry tenu les 18, 19 et 20 janvier 1977 devant la cour d’assise de Troyes pour juger le jeune séducteur accusé d’avoir kidnappé un enfant avant de l’étrangler et de le laisser dessous son lit dans le logis qu’il louait. Pour éviter qu’un avocat soit commis d’office pour défendre un homme promis à la guillotine, le bâtonnier de Chaumont, Maître Bocquillon, s’est saisi lui-même de cette affaire et a fait immédiatement appel à Maître Robert Badinter pour l’épauler dans la difficile tâche qui l’attendait. Robert Badinter a accepté de défendre Patrick Henry pour pouvoir faire de ce procès une tribune contre la peine de mort. Il avait échoué dans cette mission quand il avait dû défendre Buffet et Bontemps devant cette même cours d’assise où les deux hommes avaient été condamnés et la peine de mort et exécutés. Le souvenir de cette exécution hantait encore sa mémoire. Il ne voulait plus voir ça, il voulait que la Fiance bannisse cette méthode cruelle de sanctionner les coupables même ceux des pires crimes. En faisant le procès de la peine de mort, Robert Badinter a sauvé la vie de Patrick Henry et créé les conditions nécessaires pour présenter devant le parlement la loi qui porte son nom et abolit cette peine inhumaine.

Ces trois procès mis en scène avec une grande clarté par Basile Ader marquent trois étapes dans l’évolution de la justice et démontrent que celle-ci n’est pas une écriture divine figée à jamais mais qu’elle est le reflet de ce que pense un peuple pour punir et rééduquer ceux qui ont failli. La démarche de l’auteur est d’abord de démontrer le fonctionnement de la justice et d’expliquer comment elle peut s’exercer sous l’influence du peuple et juger en fonction des véritables préoccupations de celui-ci. La reproduction théâtrale permet dans une démarche didactique et pédagogique de monter à tous ceux qui liront ce livre ou assisteront à l’une des représentions de l’une ou de plusieurs de ces pièces comment la justice est rendue en France.

Si la justice est souvent spectaculaire pourquoi un homme de droit ne pourrait-il pas mettre en scène le spectacle auquel il participe régulièrement ?