Blanche de Castille
de Marcel Brion

critiqué par Saint Jean-Baptiste, le 20 mars 2024
(Ottignies - 88 ans)


La note:  étoiles
Une maîtresse femme
Est-ce un roman ? une page d’Histoire, ? une biographie ? C’est le tout en un, c’est du Marcel Brion. Et c’est excellent. Marcel Brion nous raconte la vie de Blanche de Castille mais il m’a semblé qu’il racontait surtout l’Histoire de son siècle, et quel siècle ! C’est le XIIIème, le siècle des batailles sans fin entre la royauté, les barons et les seigneurs – nous sommes toujours au Moyen-Âge. C’est aussi le siècle de Bouvines et des tentatives de re-conquête de l’Angleterre. Mais c’est encore le siècle des cathédrales et de saint Dominique, des hérésies albigeoises et de l’Inquisition, de l’engouement des populations pour les croisades – ce qui reste, à mon avis, le phénomène le plus inexpliqué de notre Histoire.

Blanche de Castille est présentée, je pense, en toute objectivité, telle qu’elle devait être, sans glorification ni abaissement. C’était une personne très pieuse, une cheffe autoritaire, une mère possessive et une belle mère… enfin oui, une belle-mère ! Et à propos de belle-mère, ce qui est amusant avec Brion c’est qu’il sait tout : il nous raconte comment Blanche a choisi une digne épouse, Marguerite de Provence, pour son fils Louis ; et comment elle a jugé que le moment était venu pour que son fiston partage le lit de son épouse. Alors Marcel Brion était derrière la porte avec Blanche et, ensemble, ils écoutaient la conversation des jeunes mariés et ils savaient quand le moment était arrivé de les séparer parce que leurs obligations conjugales étaient accomplies… C’est une biographie mais c’est aussi du roman. Le résultat est qu’on s’amuse et qu’il nous fait une Blanche de Castille plus vraie que nature. C’était une Espagnole avec toutes les qualités des saintes femmes espagnoles de ce temps, et avec aussi les défauts de ses qualités. Ses dames de compagnie, un peu moqueuses, l’avaient surnommée la Louve Hersant par allusion à la louve du Roman de Renart, tant il était vrai qu’elle couvait ses rejetons avec beaucoup d’exagération.

Mais Marcel Brion raconte surtout l’Histoire du siècle. Il nous raconte comment mourut Louis VIII, le mari de Blanche, dans la croisade contre les Albigeois, qui fut une conquête de territoires en même temps qu’une lutte contre l’hérésie ; et c’est l’occasion de nous parler longuement de cette hérésie, de nous expliquer en quoi elle consistait et comment elle agissait. Un chapitre passionnant. Puis il nous raconte les huit ans de la régence archi mouvementée, assurée par la Reine Blanche, ses débats contre les barons et les seigneurs, contre les Anglais et contre le Vatican. Avec ces huit ans de régence c’est toute l’histoire des querelles du siècle qui est racontée.

Il faut toujours un peu d’amour pour faire un bon roman. Ici Marcel Brion nous raconte l’amour fou du seigneur troubadour Thibaut de Champagne pour l’inabordable Blanche de Castille ; amour fou, ou amour déçu ? là, soyons discrets, on ne révèle pas les secrets d’alcôve.

Passons aux choses sérieuses : on parle de saint Louis, sa sagesse, son goût de la conciliation, sa soumission à sa sainte mère ; entre parenthèses, Marcel Brion suggère que c’est sans doute cette soumission étouffante qui l’aura décidé à partir en croisade contre les conquérants usurpateurs de la terre sainte des chrétiens. Et on sait comment finirent ces pitoyables expéditions, qui furent mortelles pour notre saint Louis.

Mais le roman, lui, n’est pas finit : Marcel Brion nous raconte encore la folle croisade des paysans et des bergers, celle que l’Histoire a appelé « la croisade des pastoureaux ». C’est une page d’Histoire peu connue et pourtant tout à fait importante et passionnante, car elle révèle très bien l’esprit de cette très curieuse époque du Moyen-Âge. En bref, les bergers et paysans ont suivi un gourou qui prêchait la croisade. Ils se sont retrouvés dans les villes de France et ont fait connaissance avec la nouvelle classe de la société, les riches bourgeois ; un monde qu’ils ignoraient ; ça a provoqué une révolte, et même une révolution. Racontée par Marcel Brion, cette croisade des pastoureaux est tout un roman, comme du reste, toute cette magnifique biographie de Blanche de Castille. A la fois historien et romancier, Marcel Brion ne déçoit jamais.