Eparses: Voyage dans les papiers du ghetto de Varsovie
de Georges Didi-Huberman

critiqué par JPGP, le 21 février 2024
( - 77 ans)


La note:  étoiles
"Pansées" de Georges Didi-Huberman
Afin de se soustraire à l'ambiguïté qui régit tout protocole de représentation qu'il soit iconique ou linguistique, Didi-Huberman, après avoir travaillé sur les seuls photos existantes et de documents sur les fours crématoires (et la polémique que son livre suscita) trouve ici une autre tentative pour parvenir à dire, toucher et atteindre le cœur et la raison - l'inconscient aussi - par le "témoignage" des documents qu'il présente ici.
Didi-Huberman propose le "simple récit-photo » d’un voyage dans les papiers du ghetto de Varsovie. Il apporte sur le corpus d’images inédites réunies clandestinement par Emanuel Ringelblum et ses camarades du groupe Oyneg Shabes entre 1939 et 1943, un premier regard et une première analyse.
L'auteur revient sur un point majeur et qu'il a déjà soulevé : "une simple image n'est jamais simple". D'autant que celles-ci restent inséparables d’une archive de trente-cinq mille pages de récits, de statistiques, de témoignages, de poèmes, de chansons populaires, de devoirs d’enfants dans les écoles clandestines de lettres jetées depuis les wagons à bestiaux en route vers les camps.
Une nouvelle dois l'auteur s'affronte au désastre. Mais aussi à la survie et dit-il "d’une forme très particulière de l’espérance, dans un enclos où chacun était dos au mur et d’où très peu échappèrent à la mort." Ces images de peu sont des images du tout et de l'innommable. Jusque-là, elles étaient restés muettes et l'auteur interrge comment elles assurent et assument une écriture de l’histoire encore ouverte. Elles prouvent qu'elles ne consolent pas mais deviennent l'inexorable nécessité face aux faux-semblants et aux révisionnismes toujours latents.
Certes en ce corpus rien n'est résolu de nos interrogations - au contraire : mais c'est peut-être là leur force de nous mettre dans l'haleine des condamnés innocents. Et à leur sujet peut se rappeler ce que Didi-Huberman a écrit dans "Génie du non lieu" : "L'image mieux que tout autre chose manifeste probablement cet état de survivance qui n'appartient ni à la vie tout à fait, ni à la mort tout à fait mais à ce genre d'état aussi paradoxal que celui des spectres qui sans relâche mettent du dedans notre mémoire en mouvement". C'est pourquoi il ne faut pas la refuser. L'image permet de penser. Peut être même, comme l'écrit Bernard Stiegler, elle sert de "pansée" dans la mesure où elle n'est pas spéculation mais processus.

Jean-Paul Gavard-Perret