Au commencement était...: Une nouvelle histoire de l'humanité
de David Graeber, David Wengrow

critiqué par Colen8, le 12 février 2024
( - 82 ans)


La note:  étoiles
Pavé dans la mare de l’évolution sociale
Le schéma général imaginé grâce à quelques fragments d’os éparpillés et d’autres vestiges de la paléoanthropologie a vécu. Entre l’âge de pierre et la civilisation rien ne prouve un seul type d'enchaînement ayant abouti aux inégalités du présent : chasseurs-cueilleurs nomades, agriculteurs sédentaires, villes puis empires légitimant la propriété des biens et des personnes par l’usage de la violence. Depuis une trentaine d’années l’essor des recherches au-delà de l’eurocentrisme antérieur associé aux technologies avancées fait naître un récit social plus diversifié sur les origines des sociétés.
Oublié le basculement comme par miracle de la cueillette à la culture et la suite depuis la fin de la dernière glaciation. La règle durant tout le Néolithique aurait plutôt été un enchevêtrement pluriel des modes de vie doublé d’échanges incessants. Certains groupes humains ont longtemps oscillé au gré des périodes entre nomadisme et sédentarité, d’autres ont délibérément choisi d’ignorer la « révolution agricole ». Les habitats concentrés dans les bassins des grands fleuves euro-asiatiques de Chine, de Mésopotamie, du bord de l’Indus et dans la vallée du Nil seront beaucoup plus tardifs.
Bien des secrets restent à découvrir dans ce qui peut être vu comme un laboratoire social grâce à des millénaires de peuplement amérindien sous des latitudes et des environnements si différents. Réinterpréter leurs modèles complexes de développement sans écriture n’a pas été chose facile. Malgré les destructions infligées par les européens, les témoignages des survivants recueillis sur place par les jésuites et de rares codex ayant pu être sauvés ont servi de base. Quelle n’a pas été leur surprise de se trouver face à des interlocuteurs à la pensée si élaborée qu’elle aurait même pu influencer les Lumières !
Avec cette brillante synthèse il est tentant de désigner les deux universitaires comme des empêcheurs de penser en rond. Exposée dans un langage familier souvent railleur cette lecture servie par une traduction qui en rend tout le sel n’en est que plus novatrice. Leur argumentaire sur les origines de l’inégalité entre les sociétés se démarque autant du Léviathan de Hobbes que de la naïveté candide de Rousseau. Leurs années d’enquêtes, de recherches en archéologie, anthropologie et paléobotanique corroborées par d’autres auteurs renversent du tout au tout les modèles existants de civilisation.