Rwanda : à la poursuite des génocidaires
de Thomas Zribi (Scénario), Damien Roudeau (Dessin)

critiqué par Blue Boy, le 16 décembre 2023
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
Hurlements dans les collines
Le génocide rwandais fut l’un des pires de l’Histoire, non seulement par son ampleur mais par sa violence et sa cruauté. Durant l’été 1994, ce fut près d’un million de Tutsi, hommes, femmes et enfants confondus, qui furent exterminés par le gouvernement hutu, avec la complaisance de l’ONU et en particulier de la France, qui a en outre soutenu le régime criminel de l’époque. Si l’opinion internationale fut choquée sur le moment, les conséquences de ce massacre furent vite négligées par les instances gouvernementales, et pour cause. Depuis trente ans, Alain et Dafroza Gauthier, deux citoyens ordinaires fondateurs du CPCR (collectif des parties civiles pour le Rwanda) se battent pour faire juger ses responsables, dont la plupart coulent des jours tranquilles dans l’Hexagone. Cette bande dessinée relate leur inlassable et épuisant combat pour la justice, le travail d’une vie.

« Dans ces pays-là, un génocide ce n’est pas trop important ». Telle est la phrase qu’aurait prononcée François Mitterrand, une phrase empreinte d’un cynisme sidérant qui jette l’opprobre sur cet homme bénéficiant toujours, trente ans après sa mort, d’une aura de sagesse conférée par son côté rassembleur. Et pourtant, cela ne devrait pas tant nous surprendre, sa duplicité ayant été mise en lumière à plusieurs reprises au cours de son parcours politique, notamment par sa participation au régime de Vichy durant la seconde Guerre mondiale.

« Rwanda – À la poursuite des génocidaires » le rappelle très justement, le terrible génocide des Tutsi a été perpétré avec l’accord tacite de « Tonton », qui a fermé les yeux alors qu’il était au courant. Qui plus est, la France a équipé et entrainé l’armée rwandaise, sans bouger le petit doigt lorsqu’a débuté ce massacre à grande échelle dont la réalité dépasse la fiction dans le registre de la saloperie humaine. En 40 jours seulement, un million de Tutsi furent méthodiquement et systématiquement assassinés par un gouvernement qui incitait la population hutue à participer à cette campagne d’extermination vengeresse, pour des raisons remontant à des politiques coloniales totalement arbitraires, considérant les Tutsi comme une « race » supérieure…

Dans leur combat judiciaire, Alain et Dafroza Gauthier apparaissent véritablement comme des héros. Dafroza, d’origine rwandaise et tutsie, a perdu toute sa famille. Elle mène ce combat aux côtés de son mari, un travail de longue haleine réclamant toute leur énergie et leur valant parfois des menaces de mort. A ce jour, seulement 5 procès ont été instruits sur les 35 plaintes déposées par le CPCR*. « Le génocide s’est accaparé la vie des Gauthier », qui par leur action, font un travail que le gouvernement français rechigne à entreprendre, fort logiquement puisqu’il a accueilli sur son sol « entre 200 et 400 génocidaires », dont certains exercent dans la médecine ou le professorat, d’autres occupant même la fonction de prêtres « qui disent encore la messe » ! On croit rêver, non ?

Tout en évoquant le quotidien de ces héros ordinaires, Thomas Zribi nous livre un déroulé méticuleux du contexte et des faits, avec plusieurs témoignages glaçants des survivants. Même si cet épisode extrêmement tragique du vingtième siècle finissant a marqué l’Histoire, la façon dont les auteurs le présentent permet une immersion très prégnante du lecteur, renforcée par un dessin au fort pouvoir évocateur, et tout cela dépasse à ce point l’entendement que l’on est saisi d’effroi et en même temps happé par cet ouvrage qui se lit d’une traite et provoque inévitablement un choc émotionnel.

Dans des tonalités à dominantes ocre et verdâtre, souvent sombres, laissant cette impression que la couleur du sang s’est diluée dans la terre, le dessin de Damien Roudeau nous confronte sans voyeurisme à cette horreur mieux que ne l’aurait fait un texte historique. En les mettant en scène, il rend un hommage vibrant à ces deux citoyens d’une humilité touchante, animés par la flamme de la justice réparatrice, deux qualités qui forcent le respect, mais il donne également un visage à ces millions d’anonymes victimes d’un désastre géopolitique honteux et aux survivants ayant le courage de témoigner, se faisant ainsi le relais de l’action des Gauthier. Par ailleurs, en représentant certains génocidaires face à la justice française (notamment Laurent Buciyibaruta, ancien préfet d’une région où l’on a tué le plus), il les extirpe de leur confortable anonymat dont ils auraient préféré ne jamais sortir. Imaginer que ces assassins, qui pourraient ressembler à vos voisins, auraient pu croiser votre chemin en se promenant le plus tranquillement du monde fait froid dans le dos et provoque un sentiment de révolte…

« Rwanda, à la poursuite des génocidaires » est un livre-choc qui mérite largement un coup de projecteur. L’ouvrage ne laisse pas indemne mais ne fait que renforcer l’idée que la justice est une étape essentielle pour apaiser la douleur des survivants et permettre à ce pays de se réconcilier avec lui-même, même si les cicatrices auront marqué durablement son Histoire. Il s’agit là d’une contribution mémorielle indispensable, non seulement pour les Rwandais, mais aussi pour nous citoyens français, qui devront déplorer une fois de plus l’attitude désinvolte et immorale de nos dirigeants quant à la gestion post-coloniale du fameux « pré carré africain ».

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Note : *Macron avait déclaré lors d’un déplacement au Rwanda en mai 2021 : « Reconnaître ce passé, c’est aussi et surtout poursuivre l’œuvre de justice. En nous engageant à ce qu’aucune personne soupçonnée de crimes de génocide ne puisse échapper au travail des juges ».

La chronologie des faits en annexe ne précise pas si cette déclaration a été suivie d’effets (ou si cela ne restera qu’un simple effet d’annonce, stratégie à laquelle nous a tant habitués « Jupiter »), mais on peut avoir quelques raisons d’en douter. En effet, il est précisé que Laurent Bucyibaruta a été condamné à 20 ans de prison en 2022 mais qu’ayant fait appel, « il est toujours présumé innocent »…