La nuit sera noire et blanche: Barthes, la chambre claire, le cinéma
de Jean Narboni

critiqué par JPGP, le 2 octobre 2023
( - 77 ans)


La note:  étoiles
Jean Narboni et les fragments du discours photographique chez R. Barthes
En 1980 avec « La Chambre claire » Barthes inaugurait la collection qui lia un temps Gallimard et les Cahiers du cinéma. Jean Narboni revient non seulement sur ce livre pour l’analyser mais surtout pour remonter à l’origine de sa création et sur le travail de montage auquel il donna lieu. En particulier sur l’agencement pièce par pièce des reproductions photographiques.

A partir d’éléments inédits Narboni propose deux approches. L’une est chronologique. Elle s’appuie sur la succession des chapitres et des heures du jour et de la nuit qui poussa Barthes sur la fin de sa vie à ce parcours dans l’image. Mais par ailleurs le critique crée un travail : théorique : il rapproche et oppose Roland Barthes (le « moderne ») et André Bazin (l’ancien ») sous le joug du cinéma et de la photographie. Il montre combien la relation du Barthes au cinéma - entre autre avec son concept de « filmique « (en gros ce qui apparaît en propre eu cinéma et son "image mouvement" (Deleuze) - a bougé tout au long de la vie de Barthes.

Le livre est donc moins un texte critique qu’une « photographie » originale sur la traversée de la pensée et de l’écriture effectuée dans « La Chambre claire ». Il montre en particulier comment, chez Barthes, entre l’image qui remue et celle qui est fixe se crée pour lui une inséparabilité. Ce que Barthes nomme « le filmique » peut en effet s’appliquer à la photographie puisque selon l’auteur la qualité « pure » de l’image cinématographique échappe aux dialogues, à la bande son. Il y a donc peu de différence pour Barthes entre ces deux images. Preuve toutefois que le sémiologue restait malgré tout peu à l’aise avec la nature de l’image en dépit de ses efforts consentis pour lui accorder la validité intrinsèque de sa structure même.

Certes il cherche à montrer ce que Didi-Huberman souligne : «l’image la plus simple n’est pas une simple image ». Mais la fragmentation du discours de base ressemble parfois plus à des déchets qu’à des propositions pertinentes. Demeure chez Berthes une sorte de « rigidité » dont l’humour est proscrit mais non ce qui ressemble parfois à une certaine condescendance. La construction scénographique, les processus de prise de vue, de cadrage et de montage restent pour lui une expérience qu’il a mal à appréhender et qui devient pour le sémiologue une expérience des limites. Il ne pouvait encore explorer le concept de Gilles Deleuze de "déterritorialisation". Reste pour Barthes, dans l’image, une vision magique du monde dont il cherche des clés pour en montrer autant la poésie que les trucages et les chausse-trappes non sans une naïve sincérité.

Jean-Paul Gavard-Perret