Sans état d'âme
de Yves Ravey

critiqué par JPGP, le 18 septembre 2023
( - 77 ans)


La note:  étoiles
Yves Ravey et les disparitions
Yves Ravey reste un des rares romanciers signifiants dans la littérature francophone de ce début de millénaire. Certes l’argument de sa fiction tient - comme toujours - à peu de chose : un jour (ou plutôt une nuit) John Lloyd s’évapore sans laisser le moindre indice. Son amie, va charger Gustave Leroy de mener l’enquête. Mais qu’importe l’histoire. L’auteur s’intègre parfaitement dans le paysage qu’au fil du temps les différentes « écoles » (si école il y a ou eu ) que les Editions de Minuit ont illustré de Robert Pinget à Jean-Philippe Toussaint.

L’écriture retient, plus que le récit « main-street », les à-côtés. Ils font que la fiction existe et reste digne de son nom. Sans eux le romanesque ne décline que des faux chemins. Mais la sélection par le romancier de ce qui bouscule l’apparente logique fictionnelle et fomente le peu de conformité à ce que l’on serait en « droit » d’attendre d’elle, demande autant une attention soutenue qu’un certain laisser-aller. Cela permet au roman de battre sa campagne en ménageant des pauses lorsque l’histoire en elle-même pourrait « fatiguer ».

Ravey sait en chaque situation souligner le ridicule comme le tragique mais sans jamais insister. Il reste autant élusif que possible. Et si parfois on exigerait de lui plus de détails, il coupe court en répondant en filigrane qu’on verra bien. C’est ainsi qu’à mesure que le roman s’étoffe tout en se défaisant, le lecteur y voit plus clair du moins en apparence dans un sommeil neuf de certains voyages et les ardeurs de vagabonds qui franchissent autant de seuils qu’ils s’arrêtent dans des lieux d’ombre là où tout devient mouvant, fuyant, insaisissable. Et ce grâce à la part d’arbitraire que recèle "l’école du regard" chère aux Editions de Minuit mais ici façon Ravey.

Jean-Paul Gavard-Perret