Plagiat !
de Benoît Peeters (Scénario), François Schuiten (Scénario), Alain Goffin (Dessin)

critiqué par Blue Boy, le 9 septembre 2023
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
L’art de la ligne claire
Chris van Meer, artiste excentrique adulé par le milieu artistique, ne cesse de voir sa cote monter. Jusqu’au jour où il réalise qu’un dénommé Tommy Crane produit des toiles quasi-identiques aux siennes. Quelques mois auparavant, sa villa avait été cambriolée. Simple coïncidence ou preuve tangible ? Dès lors, ses efforts pour dénoncer le préjudice vont se transformer en véritable descente aux enfers…

À cette bande dessinée considérée par certains comme mythique et parue chez les Humanoïdes associés à la fin des années 80, le petit éditeur belge Anspach offre une nouvelle jeunesse. Sur un scénario de Benoît Peeters et d’après un story-board conçu par François Schuiten, l’album a été remanié par Alain Goffin dans une version actualisée (retraçage des planches, remise en couleur et relettrage), le changement le plus manifeste se situant du côté de la colorisation. Exit les tonalités pétantes caractéristiques de l’époque, place à la désaturation, l’ensemble apparaît à la fois plus sobre et plus foncé. Cette nouvelle édition a également été augmentée d’un dossier de seize pages incluant un « faux » reportage lié à l’histoire et des interviews des auteurs, avec quantité d’anecdotes permettant au lecteur de mesurer à quel point le projet se voulait ambitieux.

Pour élaborer son scénar, Peeters a puisé son inspiration dans la mésaventure survenue dans les années 80 à un ami d’Alain Goffin, le peintre bruxellois Stefan de Jaeger, dont certaines œuvres auraient été « pompées » par David Hockney. Même si l’affaire est plus complexe et qu’il n’y a jamais eu de procès, « Plagiat ! » en reprend les grandes lignes et les extrapole en flirtant avec les codes du thriller. Selon les propres termes de Goffin, le personnage excentrique de Van Meer est calqué sur l’artiste belge.

Incontestablement, on retrouve la patte des célèbres créateurs des « Cités obscures », avec un univers nimbé de fantastique où l’architecture tient toujours une place prépondérante, tout comme les vertiges existentiels des protagonistes dans un monde dénué de sens où viennent se fracasser les certitudes. Soyons honnêtes, la narration imaginative mais elliptique (due peut-être au format un peu court) et quelque peu ubuesque, même si elle soulève beaucoup de questions, n’est pas le point fort du livre, qui vaut davantage pour son dessin. L’élégante ligne claire d’Alain Goffin appartient à cette mouvance « eighties », mix d’influences hergéennes et graphisme vintage très stylé, dans laquelle s’inscrivaient des auteurs tels que Serge Clerc, Yves Chaland, Ted Benoît ou Floc’h. Ce n’est pas de la science-fiction mais on peut qualifier le récit de futuriste dans la mesure où il se déroule à la fin des années 90. Malgré le réalisme du trait, les « Fifties » y sont discrètement honorées sans crainte de paraître anachroniques, en particulier avec la représentation de modèles automobiles d’’époque, mais c’est pourtant bien ce qui contribue au charme du graphisme auquel tous ceux qui ont vibré avec Tintin dans leurs jeunes années ne resteront pas insensibles.

Au-delà du volet narratif évoqué plus haut, « Plagiat ! » est davantage digne d’intérêt si on l’envisage comme une parodie douce-amère du milieu égotique de l’art. Comme on pourra souvent le vérifier, celui-ci aime à créer ses propres mythes, non sans quelques arrière-pensées motivées par un aspect pécuniaire enrobé de snobisme, plutôt qu’un goût sincère pour les qualités artistiques d’une œuvre.