Les poètes sont des monstres
de Christian Bobin

critiqué par Kinbote, le 23 août 2023
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
Akhmatova, Staline et la force de la poésie
« L’amour partage un privilège avec Dieu, c’est de ne pas exister – ce qui ne l’empêche pas d’agir. Si une fleur ignorée de tous vibre aux coups donnés par l’air bleu, c’est l’univers entier qui résonne. Il n’y pas de « nouvelles façons d’aimer ». Tragique, fantaisiste, insaisissable et gratuit, l’amour est éternellement neuf. »

Voici l’incipit de ce beau texte de Christian Bobin, qui s’y souvient de sa chère Anna Akhmatova, disparue en mars 1966 à Moscou, de « son nez en escalier brisé », de la lumière émanant de ses mains, de ses châles noirs, de sa vie d’impératrice dont les poèmes faisaient trembler rien moins que Staline.

« Staline a toujours craint Anna Akhmatova. Il met son fils aux fers, un parmi des millions dans la fournaise. Elle, il ne la touche pas. (…) Elle continuera d’écrire sur les noces de la douleur et de l’amour. Les poètes sont des monstres d’aimer la vie qui les brise. Même leurs malédictions sont plus belles que nos sourires. »

Mais la première occurrence de la locution « Les poètes sont des monstres » se fait quelques phrases avant, à l’occasion de la description de la bouilloire d’Anna.

« Les poètes sont des monstres. Ils n’aiment pas vos machines. Ils ne les aimeront jamais. […] Ils aiment trop la vie pour prétendre « l’augmenter » ».

Ce court mais dense texte est aussi le lieu littéraire pour Bobin de réaffirmer la puissance du poète et la force du poème, avec des arguments convaincants, d’autant qu’ils touchent plus à l’âme qu’à la raison, et des phrases qui sont des enchantements, loin, très loin de l’image que le poète du Creusot véhicule parfois encore…