Trois des quatre soleils
de Miguel Ángel Asturias

critiqué par Septularisen, le 19 août 2023
(Luxembourg - 56 ans)


La note:  étoiles
«Et je ne suis pas revenu ici depuis, moi que vous voyez aujourd’hui en saltimbanque, passé du monde sans chiffres aux mathématiques des prodiges…».
Dans ce livre, l’auteur guatémaltèque Miguel Ángel ASTURIAS (1899 – 1974), nous raconte l’évolution des éléments du monde. Comment le chaos s’ordonne pour donner naissance à la vie. «Trois des quatre soleils» nous le raconte à travers les mythes et les légendes du peuple guatémaltèque…

Les Indiens Maya ont déjà vécu trois des quatre soleils. Chaque soleil représentant une phase de la vie des planètes. Le premier soleil est celui où le ciel et la mer se sont séparés de la terre. Dans le deuxième soleil, a eu lieu l’apparition de l’homme qui selon les Indiens, est fait de maïs. Le troisième soleil a lui définitivement disparu. Était-ce la fameuse Atlantide? Le quatrième soleil est lui celui du malheur, de la conquête, c’est-à-dire pour le peuple Maya, de l’esclavage…

Dans cette œuvre, Miguel Ángel ASTURIAS intègre ses connaissances anthropologiques de la mythologie Maya, - absolument époustouflantes je me dois de le dire ici -, les reliant magistralement entre elles, pour nous présenter les visions du monde apparemment exclusives du Guatemala pré et postcolonial. Le tout en faisant appel à une forme de narration très poétique et fortement influencée par le surréalisme. Ici, les anciens dieux Mayas retrouvent mystérieusement leur place dans le monde actuel… Ou sont brutalement remplacés par de nouvelles divinités apportées et surtout imposées par les différentes puissances impériales…

Que dire de plus sur ce magnifique livre? Miguel Angel ASTURIAS nous offre ici à lire un bien étrange texte. Ce n’est ni un essai, ni vraiment un livre de poésie… Disons plutôt que c’est un mix des deux, très étonnant vous l’aurez compris… Pour se simplifier la vie et me simplifier cette chronique, je dirais que c’est un poème en prose, un texte de «création» littéraire. Il faut juste le lire et se faire «porter» par la beauté de ce texte, servi il faut le dire par une iconographie photographique de toute beauté, comme p. ex. le magnifique masque funéraire en mosaïque (Otumba, Mexique), culture de Teotihuacan [Mexico-City (Mexique) D.F. Musée national d’Anthropologie], ou bien encore pg.105, l’époustouflant bouclier cérémoniel Aztèque décoré de plumes et d’or [fin du XV S. Vienne (Autriche), Museum für Völkerkunde], que l'on peut aussi voir sur la couverture du livre.

Est-ce que je conseille la lecture de ce livre? Oui. Surtout si vous aimez la poésie et la mythologie d’Amérique précolombienne. Et sinon? Et bien, c’est aussi un très beau texte pour découvrir l’écriture exceptionnelle du grand écrivain guatémaltèque qui, s’il est plus connu pour ses grandes fresques historiques, - racontant de façon romancée l’histoire de son pays -, est aussi un très grand poète…

P. S. : Rappelons que M. Miguel Angel ASTURIAS a été le lauréat du Prix Lénine pour la Paix en 1965, et du Nobel de Littérature en 1967. Au moment où j’écris ces lignes, il est le seul écrivain guatémaltèque à avoir reçu ce prix.

Un extrait (Pg. 117, «Deuxième soleil») où l’auteur nous parle de l’éternel combat entre le noir de la nuit et le soleil du jour :

«C’est à qui le tour? Demande-t-elle avec des grands airs, comme s’il s’agissait d’une devinette. Piou-piou! Piou-piou! Piou-piou! Piou-piou!... Comment? On l’insultait?. Car c’était bien une insulte, une plaisanterie – et quelle plaisanterie ! il n’y en avait pas de plus détestable ! – que de se moquer d’elle, de bafouer son pouvoir, sa magie, sa force… de lâcher des poussins en cet instant de concentration astrale, de mots tronçonnes comme des serpents, dans des syllabaires de respirations sifflantes… Renfrognée, solennelle, elle tourne le dos aux divinités – de dos, elle est plus hermétique, plus ténébreuse -, elle va s’en aller, dans sa tunique sa cuisse et son genou dessinent déjà le mouvement du départ, mais elle se ravise. Elle va s’arranger pour deviner lequel de ces astres-poussins, tous identiques, jaunes avec des petites pattes rousses, est le soleil, et elle va l’écraser d’une tape. Piou-piou! Piou-piou! Piou-piou! Les poussins sortaient des coquilles d’œufs pondus par la lune. Devant la nuit figée d’indignation, voici les treize poussins parmi lesquels se cache le poussin-soleil. Elle va l’écraser. Ses énormes mains noires vont le faire passer de vie à trépas. Sa main gauche, main de cendre chaude, décèlera sans mal laquelle de ces petites bêtes répand le plus de chaleur, et sa droite aimantée, ira directement vers celle qui a le plus d’or dans ses plumes. Lentes comme le vol d’un épervier qui par moments s’arrête au plus haut du ciel, sans remuer les ailes pour mieux surprendre sa victime, ses mains tâtent la couvée. Les dieux attendent, sans heures, sans jours, sans siècles. Des masques et le rire, sous les masques. La nuit n’a le droit de tuer qu’un seul poussin. Si elle se trompe, si le mort n’est pas le soleil, elle est perdue. Lequel de tous – tous sont de petits soleils -, lequel de tous est le soleil ? Celui-ci, avec sa grosse robe de plumes ? Celui-là, qui se dégourdit une patte et une aile ? Ou ce froussard qui pleurniche ? Ou ce gros-là, haut sur ses pattes, avec son long bec ? Ou celui-ci avec ses petits yeux d’eau ? Lequel ? Tous se ressemblaient et tous étaient différents. Lequel ? Les dieux attendent, sans heures, sans jours, sans siècles. Des masques et, sous les masques, les visages et leur rire, le rire nerveux du joueur. Toute la mise dépendait d’un poussin. Eux et la nuit. Des millénaires de ténèbres ou le nouveau jour. Gagner ou perdre. La nuit n’arrive pas à se décider. Lequel de ces poussins est le soleil ? Les treize poussins courent de tous côtés, les uns tombent, les autres becquettent et piaillent, angoissés, sans protection, quand l’énorme main noire s’approche tel un aigle qui vole chaque fois plus bas. Lequel ? Parle, main-aiment… parle, main de cendre chaude… Celui-ci, celui-ci, celui-ci qui a le plus d’or dans ses plumes et dont le corps retient le plus de chaleur… Pan !... La petite bête est écrasée… La nuit a du sang sur les doigts… et, des treize étages du ciel déferle une pluie de bras, de jambes, de pieds, de mains, de mâchoires, d’oreilles, d’yeux, de bouches, de thorax qui courent former les hommes du soleil, ce prodige d’un dieu qui partit s’amuser vêtu en saltimbanque. Vaincue, hululante, la nuit essayait de fuir les horizons carminés quand elle a entendu s’ébranler les engrenages de l’aurore, les engrenages du rose de l’aurore, des ailes de l’aurore, des premières nues du jour naissant.» (…).