Précis de recomposition
de Anne Teyssiéras

critiqué par JPGP, le 23 juillet 2023
( - 77 ans)


La note:  étoiles
Anne Teyssiéras et le corps
Pour Anne Teyssiéras le corps se perd dans le lieu de la poésie de façon oublieuse afin de mieux s’y soutenir. Ce corps, notre corps, visible, s’y présente comme un volume plein isolé dans l’espace du poème en prose. Et nous voici ramenés presque malgré nous à un espace de la déposition plus que de la recomposition. La décomposition (à laquelle le titre fait un clin d’œil en hommage à Cioran) n’a donc apparemment plus cours. Mais n’est pas Cioran qui veut – même en le saluant et le prenant à contre pied.

Car c’est bien là où le bat blesse. Certes dans ce livre le corps est devenu ce qu’il est depuis toujours : un objet de perte et pose la question insoluble de l’identité et ses Qui suis-je ? Ce corps est-il le mien. Est-il celui d’un moi pur ou celui qui veut se confondre avec celui des siens. Est-il leur tombeau où déjà il s’allonge ? Pourtant le corps est l’inverse de celui d’un gisant de Cioran. Anne Teyssiéras réanime sa persistance au sein d’une écriture qui se voudrait un point de démarcation entre un état de vision et un état d’oubli, entre un état de vie spéculaire et un état fantomatique, diaphane, partiel. Mais nous sommes bien loin d’une ombre survivante dont Giacometti déjà avait formé le vœu. A savoir : pour qu’une représentation humaine soit intéressante il faut qu’elle soit inquiétante.

Ici à l’inverse souvent le texte bascule dans une mièvrerie : « il arrive qu’un poème, encore non écrit, flotte près de la berge d’un étang sur des nénuphars »… La prétention vieillotte ne fera jamais de l’auteur l’armateur des bateaux ivres mais de barges qui transportent des betteraves sucrières. On lui saura gré néanmoins de remettre certains scribes à leur place : « Les surréalistes furent de parfaits stylistes et ne furent que cela ». L’auteur n’a pas tort. Mais son propre « train des mots » est un vieux tortillard peu enclin aux « transports » poétiques - même si la poétesse veut se faire croire que son stylo est un stylet.

Reprenant les vieilles idées du poète « pêcheur de rêves », Anne Teyssiéras fait preuve d’un goût immodéré pour le poisson défraichit. Elle reste le parfait modèle de ces auteurs subventionnés qui connaissent les portes des lieux où il faut aller sonner pour se faire publier. Fort de ces contrats les éditeurs jouent les factotums. Nul ne peut les en blâmer tant on sait qu’éditer des poètes est devenu un apostolat. Mais un tel livre ne fera pas prendre les vessies poétiques pour des lanternes magiques. Il manque de densité. Sous le figuratif, des textes ne subsistent qu’une figuration des plus narcissique. Se cherche en vain une consistance sous la sauce d’une prétendue élévation. Les nombreux effets de mémoire comme les réflexions sur « la pesanteur qui accable les mots » sont d’une époque révolue d’une poésie esthétisante et décorative.

Sous couvert de « déchirure » n’apparaissent que des découpes et des « patrons ». Et ce n’est pas l’apparent désordre architectural que l’auteur justifie en fin d’ouvrage qui le sauvera d’un certain naufrage et de l’ennui provoqué par du déjà lu. Dans ce « Précis  de recomposition » la maison de l’être n’est en rien un univers souterrain encombré d’éléments fantastiques. Dans sa peinture en tonalité colorée, le report indiciaire d’un vécu se confit de poncifs poétiques. Ils sont rassemblés du sec à l’humide, de l’en deçà à l’au-delà, du multiple à l’un, du même et de l’altérité. Mais dans ce mouvement de balancier le sommeil gagne, on s’y enlise peu à peu.

Jean-Paul Gavard-Perret