Cahier de Mïrka Lugosi
de Mïrka Lugosi

critiqué par JPGP, le 8 juillet 2023
( - 78 ans)


La note:  étoiles
Les dessins de Mirka Lugosi
Née pas très loin du château de Dracula Mirka Lugosi doit au personnage « mythique » toute la périphérie fantasmatique de son imaginaire. Prêtresse sulfureuse underground des années 80, elle fut une figure incontournable de la scène fétichiste et membre du groupe expérimental noisy « le Syndicat ». Elle publia pour de nombreux magazines avec le photographe Gilles Berquet dont elle est le modèle, la muse et la compagne.

Dans l’espace que la créatrice dresse apparemment les fantasmes semblent pouvoir repousser sans cesse comme du chiendent. Mais qu’on y prenne garde : ils sont moins possibles que ne l’est l’épreuve des lointains d’une femme devenue démoniaque et sainte à la fois. « Peintre d’images » comme elle aime se désigner elle pratique la gouache, les encres sur photographies, les vidéogrammes et l’illustration mais ses dessins restent la partie majeure de son œuvre.

En un tel livre l’artiste cultive un trait précis qui demande des jours de travail : êtres humains, animaux, objets y fusionnent dans un univers surréaliste où l’érotisme prend un sens particulier. La vie y est vouée à la mort selon une perspective néo-gothique et tout rêve contient en lui-même sa propre fin. Mirka Lugosi les appréhende dans leur moire, en suivant leur allure infernale jusqu'à ce qu'ils la rejettent sur la grève, leur cyclone allant mourir ailleurs. L’artiste sitôt ce rêve fini en fomente un autre afin de traverser à sec le désert du réel où nulle eau buvable ne filtre.

Avec Mirka Lugosi la sensation peut être drôle mais toujours voluptueuse. Les os iliaques, les pubis, les croupes sont des véhicules de plaisir par les vibrations perceptives essentielles qu'ils peuvent provoquer. Habit ou nudité aide à lutter contre la candeur et la pudeur physique. Ces êtres sans visages, ces visages sans être remuent des parfums sans nom. Souvent la croupe demeure le véritable lieu où toucher l'autre à vif dans le baiser. Les autres points sont trop haut, trop bas ou trop loin. Mais de fait elles sont partout et restent les signes du plaisir à venir et d'où il nous faut les contempler. Le choc visuel est incisif : il peut sembler meurtri ou grotesque mais il nous atteint par le soleil trouble que Mirka Lugosi accroche dans un ciel (de lit) qu'épousent ses mains.

Jean-Paul Gavard-Perret