Si Diable veut
de Mohammed Dib

critiqué par Sahkti, le 10 novembre 2004
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Algérie ancestrale
Un couple, deux personnes âgées, vivant dans un village perdu de l'Algérie profonde. Loin de la civilisation bruyante de cette grande ville parisienne qui accueillit jadis leur neveu aujourd'hui revenu au pays. Ymran est déboussolé, il ne connaît rien de ce pays qui était celui de sa mère décédée. Une mère qu'il fallut enterrer en France, au milieu "d'étrangers", loin des siens, car l'argent du rapatriement du corps était inexistant. Les retrouvailles sont difficiles. Ymran possède des racines dans lesquelles il ne se reconnait pas, ce n'est ni sa culture ni ses envies. Comment le dire sans blesser? Comment refuser un pays sans le renier? Le poids de la tradition pèse si lourd qu'il en devient étouffant. Il y a de la révolte, du chagrin, du désespoir. C'est une page importante qui se tourne.

Ce livre est avant tout un dialogue. Conversation entre deux vieux fidèles à la tradition, superstitieux, croyants dans la magie et la sorcellerie. L'arrivée du jeune Ymran, qu'ils souhaitent fiancer avec une villageoise qu'il ne connaît pas, va bouleverser leur modeste existence.
Un roman poétique, tendre tout en étant dramatique. Un langage coloré et chaleureux, une ambiance de silence omniprésente, comme un poids dont ce couple aimerait se débarrasser.
C'est aussi toute une partie de l'Algérie que l'on retrouve derrière ces lignes. Un pays tiraillé entre tradition et modernité, entre religion et laïcité, entre exil et résidence au village.


Je vous livre un extrait de la poésie et de la belle écriture de Mohammed Dib, à propos des "voix":
"Les montagnes entrent en mue. Je le vois d'ici. De plus en plus léger, leur fourreau de neige se détache par pièces, par plaques. Dépouillé bientôt de sa pelure blanche dans laquelle il parade, l'Azru Ufernane, nu, révélera en dessous, comme il en est souvent des phénomènes de ce monde, une nature aussi noire que celle d'un corbeau, aussi hirsute que celle d'un sanglier. Tel il se présentera et tel il le restera jusqu'à ce qu'il obtienne sa vêtude de printemps.
On commence dès lors à guetter les choses et les voix qui montent des choses, à examiner le ciel vers quoi les arbres tendent leurs bras déplumés. Les rochers eux-mêmes, taciturnes, se mettent à l'écoute. Les voix qu'on surprend émanent de tout et de rien. Elles s'emparent de l'espace, elles vous cernent, elles jargonnent avec cet enrouement qu'elles rapportent de leur lieu d'émission: les empires souterrains, peut-être de plus bas encore.
A des moments, elles ne vous semblent pas moins familières que les voix qui parlent en vous et puis, un instant après, elles sont des inconnues qui s'adressent à des inconnus. Ce n'est pas vous qu'elles interpellent, ce n'est pas votre oreille que sollicitent leurs confidences. Et vous ne savez pourquoi elles font cela. Mais pour entêtantes qu'elles soient, sur les routes du pays, déjà loin, elles courent, elles s'égaillent.
Sont-elles filles d'Iblis, créatures de charme envoyées pour nous perdre avec leurs refrains ou, au contraire, filles de lumière prophétesses allant au vent, fières de leurs charmes et répandant la bonne parole, annonçant bien et bonheur? Le souhait de mon coeur serait qu'elles comptent parmi ces dernières maintenant qu'approche l'ennissan."
(pages 17-18)