Le prince de Hombourg
de Heinrich von Kleist

critiqué par Fee carabine, le 10 novembre 2004
( - 50 ans)


La note:  étoiles
Un chef-d'oeuvre solaire
"Le prince de Hombourg", c'est un opéra écrit en 1958/59 par le compositeur allemand Hans Werner Henze sur un livret d'Ingeborg Bachmann, d'après une pièce de théâtre d'Heinrich von Kleist. Un opéra que j'ai entendu par hasard à la radio, un soir, il y a des années, à l'époque où je croyais encore que la musique "contemporaine" n'était que bruit de casseroles et prise de tête (ce qu'elle est parfois du reste). Mais là, non, il était question d'un homme qui devait mourir le lendemain à l'aube - je ne comprenais pas trop bien pourquoi, ayant en quelque sorte pris le train en marche - et la musique de Hans Werner Henze prenait des accents déchirants, bouleversants, elle se révélait émouvante malgré les dissonances et les ruptures que je trouvais d'habitude si rébarbatives.

Et quelques semaines ou quelques mois plus tard, dans une librairie, je me retrouve de nouveau nez à nez avec le prince de Hombourg, un vieil exemplaire de l'édition Garnier-Flammarion, où le prince de Hombourg prenait encore les traits - oh combien séduisants - de Gérard Philippe. C'était bien sûr irrésistible, et je n'ai pas résisté... Me voilà donc plongée dans la lecture de la pièce d'Heinrich von Kleist, et à ma plus grande surprise, en plein délire militariste avec un Frédéric de Hombourg, vraie tête brûlée, qui ne pense qu'à en découdre. Nous nous trouvons quelque part en Allemagne, à la cours d'un prince électeur - je ne sais plus lequel, ni même si le prince en question a réellement existé, mais peu importe. Une guerre se prépare, vraisemblablement contre les Français, ou bien peut-être contre les Suédois ou les Polonais, mais, à nouveau, peu importe... Frédéric de Hombourg commande une compagnie, il doit se tenir prêt au combat mais ne peut en aucun cas passer à l'offensive à moins d'en avoir reçu l'ordre exprès du prince-électeur. Cependant, la bataille tourne très vite au désavantage de ce dernier, et Frédéric et ses hommes foncent dans la mêlée, assurant finalement la victoire de leur camp. Seulement voilà, Frédéric de Hombourg a désobéi aux ordres de son souverain et il est convoqué devant une cour martiale qui le condamne à mort. Il sera exécuté le lendemain à l'aube. Il lui reste une nuit pour se préparer à la mort.

C'est dans cette nuit interminable, et qui pourtant s'écoule beaucoup trop vite, que "Le prince de Hombourg" d'Heinrich von Kleist révèle toute ses dimensions et que la musique de Hans Werner Henze déploie sa beauté bouleversante. Frédéric de Hombourg qui s'était élancé dans la bataille sans le moindre état d'âme quelques heures plus tôt, est tout à coup beaucoup moins fier face à la certitude de sa mort prochaine. Il n'est pas pressé de mourir, oh non. Il y a quelques heures à peine, sa vie ne faisait que commencer, il pensait encore avoir l'éternité devant lui. Et puis, notre Frédéric est amoureux, et vivre aux côtés de celle qu'il aime - et qui le lui rend bien - c'aurait été un bon plan, tout compte fait. A travers les conversations qui émaillent cette nuit, Heinrich von Kleist trace le portrait d'êtres déchirés par leurs contradictions intérieures, entre leur soif de vie et de bonheur et leur sens de l'honneur, leurs velléités de révolte et cette obéissance qu'ils ont appris à ériger en vertu, des contradictions entre lesquelles Kleist, peut-être tout aussi partagé que ses personnages, se garde bien de trancher. Des êtres très humains finalement, nos semblables, nos frères, dans lesquels nous pouvons nous reconnaître même si les termes de leur dilemne nous sont en partie étrangers. Au long de cette nuit interminable, Heinrich von Kleist élabore une réflexion tissée de paradoxes à propos des idées qui valent qu'on meurre pour elles - pour autant que de telles idées existent, et - ce qui est plus subtil - des idées sans lesquelles on ne peut pas continuer à vivre parce qu'on a construit toute sa vie sur elles. Et surtout, il nous livre une admirable méditation sur la mort à travers la révolte, le désespoir et les rares moments de résignation de Frédéric de Hombourg.

Je ne vous dirai pas comment tout cela finit. Si vous voulez savoir si Frédéric de Hombourg se retrouvera avec un peu plus de plomb dans la cervelle une fois l'aube venue, au sens propre ou figuré, il ne vous reste plus qu'à lire "Le prince de Hombourg". Je voudrais juste ajouter que j'ai éprouvé un étrange bonheur à la lecture de cette pièce, qui bien loin d'être aussi sombre que son sujet pourrait le laisser croire, est une oeuvre inexplicablement lumineuse, ou selon les mots très justes de Jean Anouilh "un chef-d'oeuvre solaire".
A lire absolument!