L'inconnu dans le jardin
de Martine Rouhart, Christian Arjonilla (Dessin)

critiqué par Débézed, le 21 avril 2023
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
Jeu d'ombres
Dans ce recueil en noir et blanc, comme un bon vieux film d’avant, Martine Rouhart, écrit dans une poésie en prose, une histoire « mitoyenne de la fable et de la poésie » comme l’a suggéré le préfacier, Michel Joiret. Une histoire étrange : un être évanescent parcourt le jardin de la poétesse comme une ombre qui viendrait l’espionner, l’épier, la dévisager. Sa quiétude, sa solitude sont désormais remises en question, son monde qu’elle décrit comme : « Le ciel se vide, balance entre clarté et obscurité. Le jardin s’éteint et retourne au silence. // Mais les ombres ne se confondent pas encore avec la nuit », semble ne plus être. Cette impression de flou, d’indéfini, d’éphémère se retrouve dans les illustrations de Christian Arjonilla.

La nuit inquiète, fascine, attire, tout y est différent, les formes, les ombres, les contours et surtout les rapports entre les êtres, entre la nature et les êtres, entre la faune et les êtres. La nuit nivelle, égalise. La nuit fait naître des personnages plus ou moins réels, exacerbe l’imagination, gomme la réalité, …, tout à la fois sans doute pour la poétesse qui voit dans ce personnage énigmatique, possible, improbable : un voyeur répondant à l’envie d’être vue, d’exister, d’intéresser d’autres, et pourquoi pas de séduire encore.

Mais, cette présence entrevue, imaginée seulement peut-être, n’est-elle pas une façon de meubler une solitude trop prégnante en faisant exister un autre, en donnant vie à un arbre, une façon de gommer la limite entre les hommes et la nature, de créer une relation sociale avec le monde des arbres que la narratrice aime tellement. « Le soir, maintenant je me fais belle. / Je ne suis plus seule. / Je regarde le jardin, lui aussi a des yeux et me regarde ».

Cette histoire qui pourrait aussi évoquer un jeu de double est avant tout une exercice de poésie comme le montrent si bien les extraits ci-dessous : « J’ai transformé ton silence en boucles d’oreilles pour que tu tintinnabules à chacun de mes pas ». Une poésie qui est aussi une ode au jardin, aux arbres, à la nature et à ceux qui l’habitent : « Le jardin, c’est un peu toute ma vie. / … / C’est un monde en soi, étroit et profond comme un fleuve / Il m’a vu rire, pleurer, chanter, parler tout bas, oublier les chagrins. / … / Ici rien ne peut m’atteindre ». « Mes protégés ont besoin de moi. // Mésanges, rouges-gorges, geais, pies, corneilles, hérissons, chats errants, écureuils, renards, sans compter les milliers de vies végétales ».

Un petit recueil qui dit tellement de choses et en évoque encore plus qu’on pourrait le décortiquer encore et encore ; « Mais à force d’écrire la vie d’un autre, de suivre d’autres voix, on pourrait bien finir par faire de sa propre vie la vie d’une ombre ».