Raptor
de Dave McKean

critiqué par Blue Boy, le 26 mars 2023
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
Magnifique, troublant mais un peu hermétique
Dave McKean est un immense artiste, il l’a déjà prouvé à travers ses productions précédentes. Co-auteur du multiprimé « Sandman » (avec son pote Neil Gaiman) et de divers comics, dont un autour de Batman (« Arkham Asylum »), McKean est plutôt ancré dans la BD US indépendante. Son univers graphique est tout bonnement époustouflant, et ses planches s’admirent à la manière d’un tableau de maître. Selon les passages, le style diffère fortement, révélant une grande maîtrise de la composition. Si les premières pages évoquent un art contemporain lié à l’ « heroic fantasy », dans une tournure plus subtile, plus éthérée, on pense aussi pour les chapitres suivants à certains peintres de l’expressionnisme allemand comme Otto Dix ou George Grosz, ou au mouvement surréaliste, en particulier à l’un de ses éminents représentants, René Magritte. De même, on a droit à quelques digressions vers le genre abstrait, absolument splendides.

Quant à l’histoire en elle-même, elle est difficilement racontable, étant échafaudée à partir de deux axes narratifs — ou plutôt trois — qui semblent n’avoir aucun rapport entre eux. L’introduction nous amène sur une côte maritime enveloppée par la brume, où apparaît un mystérieux chasseur de monstres, masqué et encapuchonné, avec pour toute arme un rapace qu’il commande au doigt et à l’œil et qui va s’attaquer à une sorte d’écrevisse géante. Séquence suivante : un écrivain à l’air abattu contemple le portrait de sa chère et tendre dont les obsèques viennent d’avoir lieu. Son frère tente de le réconforter et lui propose d’assister à la prochaine cérémonie de son « Ordre hermétique », pour lui faire appréhender une réalité cachée, et peut-être « percer la membrane » entre le monde concret et l’imaginaire.

Plusieurs thèmes et univers s’enchevêtrent à la façon d’un puzzle ardu, où bien souvent la réalité se confond avec la rêverie, où il est question du deuil et de l’au-delà, de gnose et de mondes parallèles, de corruption du pouvoir et de domination, du bien et du mal, notions indissociables et parfaitement symbolisées par cette pièce d’argent éjectée par la monstrueuse créature…

L’ouvrage risque assurément d’en laisser certains à la porte. Il faut dire que McKean ne nous facilite pas la tâche et ne nous livre guère de clés, exigeant du lecteur une certaine érudition en matière d’ésotérisme, recourant à une poésie pour le moins sibylline, n’hésitant pas à employer un vocabulaire pointu voire du latin lors de la séquence de la cérémonie.

Malgré cela, « Raptor » fascine et captive à sa manière, laissant le lecteur curieux de découvrir ce qu’il y a « derrière » cette porte, de l’autre côté de ce mystérieux miroir. Pour apprécier pleinement cette œuvre atypique, indéniablement puissante, peut-être faut-il accepter de ne pas tout comprendre, et tout simplement se laisser porter par ce déroutant récit très onirique, un peu inquiétant et souvent abscons, admettre que sous la surface des choses se cache une autre réalité indicible. Plus que de la bande dessinée, l’objet se rapproche davantage de l’objet d’art, dont la caractéristique est de pouvoir être apprécié par les sensations qu’il procure et le sens qu’on lui donne, sans disposer pour autant de notice explicative.