Marbre
de Joseph Brodsky

critiqué par Septularisen, le 11 février 2023
(Luxembourg - 56 ans)


La note:  étoiles
JOSEPH BRODSKY COMME VOUS NE L’AVEZ JAMAIS LU!..
Au début de la pièce, nous faisons la connaissance de deux prisonniers qui purgent une peine à vie dans la Rome de Tibère. Sauf que l’on s’aperçoit très vite que la ville de Rome a été transposée dans un futur lointain, et que la cellule des deux condamnés, se trouve dans une gigantesque tour qui s'élève à un kilomètre au-dessus de la Ville éternelle.

Rome est devenue une utopie de l'espace et du temps, et la tour, l'aboutissement de même de cette utopie. Nous ne saurons d’ailleurs jamais les crimes commis par les prisonniers et qui leurs a valu leur peine. Nous suivons de «loin», avec un certain détachement, la vie quotidienne des deux condamnés forcés par le destin à partager la même cellule. L'un, Tullius Varron est un citoyen romain, l'autre Publius Marcellus est un barbare, ancien légionnaire romain et… Chrétien. Le dialogue des deux prisonniers est tour à tour gouailleur, grossier, sentimental, émotionnel, philosophique, amusant, psychédélique, ironique, utopique… Pour le Romain, le suicide sera moins un geste personnel que sa propre identification à l'utopie… Pour le barbare, seule la vie compte et autant en profiter au mieux…

Jusqu’au jour ou Tullius Varron trouve un moyen de s’évader…

Si Joseph (Iossif) Aleksandrovitch BRODSKY (1940 – 1996), est surtout connu comme poète (Ici sur CL: https://critiqueslibres.com/i.php/vcrit/45912), il a également été essayiste (Ici sur CL: https://critiqueslibres.com/i.php/vcrit/57831), on ignore souvent qu’il fût également un dramaturge... «Marbre» est d'ailleurs sa pièce de théâtre (en trois actes), la plus connue. Elle ressort clairement du théâtre de l’absurde, certaines scènes ne sont d’ailleurs pas sans rappeler le «En attendant Godot» de Samuel BECKETT (1906 – 1989). L’idée de génie de l’auteur américain étant ici de transposer la pièce, se déroulant sous l’Empire Romain, dans un futur «cybernétique», avec une tour «infinie», et surtout avec tout ce que cela implique d’ordinateurs, téléphones, ascenseurs, caméras et autre écrans de télévision.

On ne peut bien sûr pas éviter de faire des recoupements avec l'œuvre poétique et l’autobiographie de Joseph BRODSKY. Les allusions à l’URSS, les citations de ses poètes préférés (notamment la poétesse grecque SAPPHO…), vivifient ce texte théâtralement très efficace. C’est aussi, à travers les échanges entre les deux prisonniers, une réflexion sur le temps qui passe, sur la vie, la mort, la politique, la religion, l’écriture et les écrivains, et bien sur la liberté!.. Que ce soit la liberté physique autant que la liberté d’expression… Il est d’ailleurs dommage que tout cela ne soit qu’un «léger» saupoudrage, certains points auraient mérité d’être bien mieux développés.

Les personnages sont par contre eux très bien développés, surtout du point de vue de la profondeur psychologique. Il est vrai qu’ils ne sont qu’au nombre de deux. Mais ils sont, - je dois le dire -, très réussis par l’auteur, qui fait très bien ressortir les différences entre les deux. Le romain sur de lui, impérial, républicain convaincu, ne jurant que par les écrivains classiques et l’empereur, conscient de la supériorité de son éducation et de sa culture et qui traite d'ailleurs le barbare avec condescendance…
Et le barbare... Beau parleur, «grande gueule», avec toujours une anecdote de son passé à raconter, chrétien convaincu, conscient de la supériorité de son expérience de vie… Personne ne pourrait être plus différent qu’eux, d’ailleurs très souvent le barbare exaspère le romain, mais le hasard, - et surtout la prison -, les a réunis et ils sont bien obligés de se supporter mutuellement…
Ils m’ont souvent fait penser à Statler et Waldorf (2)... Mais, bien sur que si vous les connaissez! Ce sont les deux «petits vieux» du Muppet Show (3), qui ne peuvent pas s’empêcher de tout critiquer!.. Y compris et surtout l’autre d'ailleurs, mais qui, au fond au fond, s’aiment beaucoup plus qu’ils ne veulent l’admettre et se l'avouer, et qui surtout ne peuvent se passer l’un de l’autre… Je ne peux pas développer plus ce point, sans divulgâcher complètement l'intrigue, mais cela paraîtra évident à ceux qui liront, - ou assisterons à une représentation de -, la pièce de théâtre.

Je finis agréablement surpris par le talent d’homme de théâtre de M. BRODSKY que je connais surtout comme poète. Une fois abstraction faire du contexte très étonnant de cette pièce, qu’il faut absolument oublier pour bien profiter de sa lecture – rassurez-vous, le tout est facilité par la très belle écriture de l’écrivain -, on découvre une pièce de théâtre incroyablement intéressante et d’une profondeur absolument inattendue…

Rappelons que M. Joseph BRODSKY à été le lauréat du Prix Nobel de Littérature en 1986 et des «Couronnes d'Or» (Golden Wreath) 1991, des Soirées poétiques de Struga, considéré comme le plus important prix littéraire dans le domaine de la poésie.

(1). Cf. ici sur CL: https://critiqueslibres.com/i.php/vcrit/5279
(2). Cf. ici sur Wikipédia: https://fr.wikipedia.org/wiki/Statler_et_Waldorf
(3). Cf. ici sur Wikipédia: https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Muppet_Show