Les élus et les damnés
de Jean Frémon, Louis Soutter (Dessin)

critiqué par JPGP, le 24 décembre 2022
( - 77 ans)


La note:  étoiles
Jean Frémon et Louis Soutter
Ce qu'on nomme critique ou analyse ne se développe pas forcément en marge de la littérature. Jean Frémon le prouve par sa force poétique, ses différentes qualités d’esprit et de sensibilité qui révèlent ici les oeuvres dernières de Louis Soutter. Dans leur cri sourd se révèle une expérience douloureuse et une secrète vérité autour du mystère de l’image figure de l'enfermement de celui que l'auteur nomme "l'homme envoûté" mais autant habité.

Soutter resta relégué au sein du refuge de ceux dont il convient de se débarrasser sous le nom d'"Art Brut". Et ce d'autant plus facilement qu'il fut enfermé pendant 20 ans et jusqu'à sa mort dans un "asile" du Jura Vaudois sans le moindre suivi psychiatrique. Sans parcours n'est pas sans rappeler la vie de son contemporain et "pays" Robert Walser faite de solitude et d'adaptation. Mais à l'inverse de ce dernier il ne se mura pas dans le silence et continua à peindre et dessiner compulsivement jusqu'à sa mort pour évoquer le déclin et la disparition nées chez cet hyper doué d'une fixation à une image primitive et maternelle qui ne cessa de le hanter.

L'ambiguïté de la figuration souligne la douleur de celui qui dessinait à l'encre de Chine - à même ses doigts et sans outils - ses ombres déchirantes sans la recherche de l'effet mais de la seule expresivité de la douleur en une imprégnation primitive sur le papier selon une force instinctive. Ces oeuvres, écrit Jean Frémon "se sont mis à parler en moi, je n’ai fait que les écouter, accompagner leur litanie syncopée." Son livre transfigure l'artiste en Christ non de mais du papier au nom d'une vie de maudit qu'il sut métamorphoser dans le labyrinthe de ses créations esquisse d'une nouvelle comédie de Dante.

Jean-Paul Gavard-Perret