L'idée contre l'image
de Pierre-Alain Tâche

critiqué par JPGP, le 23 décembre 2022
( - 77 ans)


La note:  étoiles
Art et idée - Pierre-Alain Tache
Le Lausannois Pierre Alain Tache reste un poète majeur de notre époque. Il ne se paie jamais de mots. Pour preuve son dernier essai. L’auteur fait la différence entre ce qu’on entend par image dans la poésie et dans l’art. Il a prouvé en son écriture de création sa méfiance contre les effets métaphoriques qui ne sont que des ersatz de l’image. La poésie a appris à l’écrivain d’aimer l’art non intellectuellement, mais comme une expérience vitale immédiate. L’art en effet ouvrent à des évidences complexes qui se passent du logos et ajoute une politesse intrinsèque puisqu’il propose souvent plus qu'il ne s'impose. Par ses seuils et ses associations il n’est pas jusqu’aux mots d’en profiter. Permettant un véritable dialogue avec le visible il supplée à leur carence.

Pour P-A Tache il reste donc indispensable au projet et à l'acte d
'écrire. Parfois il dépasse tout à l’image des grandes toiles de Rothko : « une autre dimension surgit devant vous s'ouvre sous vos pas. » écrit celui qui porte une attention serrée à de telles images. Elles densifient le réseau des signes lisibles à coup de disponibilités adjacentes et d'incandescences aux imprévisibles retombées dans la nuit de l'esprit pour l’illuminer.

Demeure néanmoins un problème majeur dans l’art contemporain. P-A Tache le souligne judicieusement : "La disgrâce de l’esthétisme et la répudiation de la Beauté". Avec sa corollaire : la substitution de l’œuvre à un concept. Cette dérive transforme ou plutôt réduit souvent la puissance intréinsèque de l'art au profit d’une idéologie qui serait objective face à la notion de beauté qui - elle - ne serait que pure subjectivité. Voire…

Afin d’expliquer ce périlleux glissement le poète fait retour sur ses premières expériences esthétiques lorsqu’il visitait le Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne en culottes courtes. Tout semblait différent. «Il régnait, sous les verrières des grandes salles, une atmosphère qui n’était pas sans évoquer celle des églises.» écrit-il. Le futur juriste et poète découvraitt alors une hiérarchie et des valeurs sûres. Certes l’auteur continue à visiter les expositions d’art contemporain. Mais il devient de plus en plus perplexe.

Les propositions d’un Jean-Pierre Raynaud le laisse dubitatif (euphémisme !). Néanmoins le poète ne cultive pas pour autant une vision passéiste de l’art. Il défend Giuseppe Pennone, Christian Boltanski ou Bruce Nauman. Mais, lucide, sait reconnaître le caractère superfétatoire d’œuvres qui ont besoin de notice explicative afin d’en comprendre le but. L’art y perd toute valeur directe, émotive. Il empêche autant l’affect que l’intelligence au nom d’un intellectualisme forcené et terroriste.

Ce n’est pas neuf diront certains. Selon Baudelaire « le beau est toujours bizarre ». Selon lui il fallait et puiser au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau. Bien des réponses sont possibles : il y a - entre autres - tant d’inépuisable dans ce qui semble connu... Mais il est toujours plus facile de biffer l'esthétique pour le remplacer par une prétendue éthique. P-A Tache rappelle donc à une sagesse élémentaire : "Il faudrait - plutôt que s’intéresser aux Idées, censées donner un sens acceptable à la pratique de l’art s’attacher à ce qu’il est capable de créer" . Mais c’est bien là où le bât blesse. Néanmoins et n’en déplaisent aux praticiens d’un conceptualisme qui a souvent fait les preuves de son inanité : l'art produit ce que les mots ne font pas.

Jean-Paul Gavard-Perret